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54 – Fontainebleau, 46e RI, 1909

Les photographies de groupe montrent souvent des effectifs réduits, une escouade, un peloton, parfois une section au cours d’un exercice ou d’une marche. Les effectifs plus importants sont moins fréquents, exception faite des photographies provenant des albums régimentaires.

La recherche concernant l’auteur de la carte est le fruit du travail de Thibaut Vallé.

  • De retour à Fontainebleau

Le hasard fait que je m’intéresse une nouvelle fois à une photographie de soldats du 46e RI de Fontainebleau. Lors de l’achat de cette photo-carte, il n’y avait aucune mention du régiment et ce qui avait attiré mon regard était le nombre important de soldats visibles.

L’appartenance à ce régiment ne fait pas l’ombre d’un doute, tout comme la localisation du cliché à Fontainebleau. Pour le régiment, on le voit sur les képis très lisiblement.

Pour la localisation à Fontainebleau, c’est l’architecture qui le dit. Les différentes CPA montrent la forme arrondie du linteau des fenêtres et des portes, le sous-bassement en pierre, le crépi.

La largeur du linteau fait penser que nous sommes devant une fenêtre et non une porte, plus large.

Le texte nous en apprend un peu plus et il va, indirectement, nous permettre de donner du sens à cette photographie et de la dater.

  • Une compagnie du 46e RI

Il ne s’agit pas là d’une déduction après décompte du nombre d’hommes visibles sur cette photographie, à savoir 87. Une compagnie sur le pied de guerre compte théoriquement 250 hommes. Nous sommes fort loin du compte. Pourtant le doute n’est pas permis, à la fois parce que l’auteur de la carte le dit très clairement et parce qu’on retrouve une partie de l’encadrement d’une compagnie.

1. Sous-lieutenant ; 2. Sergent-major ; 3. Sergents ; 4. Caporaux.

Comment expliquer ces différences ? En période de paix, les effectifs étaient inférieurs à ceux du temps de guerre. Pour faire simple, une section en temps de paix n’est composée que de deux escouades au lieu de quatre en temps de guerre. Ainsi, une compagnie est composée de 4 sections, chacune divisée en deux escouades. On trouve donc dans la compagnie 4 sergents, huit caporaux. Pour les sergents, le compte est bon. Pour les caporaux, on ne les visualise probablement pas tous, certaines manches étant cachées.


Sous-lieutenant

Sergent-major

Sergent

Sergent rengagé

Sergent

Sergent
Trois caporaux

Deux caporaux

La majorité des hommes est en veste « ras-cul » et pantalon de treillis.

Les soldats se distinguent par le port du képi ou du bonnet de police, plus ou moins porté droit ou appuyé sur une oreille.

Six hommes sont en tenue de sortie, peut-être affectés à la surveillance de l’entrée de la caserne. Parmi eux, on a un tambour. Théoriquement deux, il serait intéressant de savoir si, comme les effectifs de la compagnie, les fonctions voyaient aussi leurs effectifs divisés de la même manière que le nombre d’hommes composant une compagnie ?

Un dernier est en tenue de travail, ce qui le rend particulièrement visible sur la photographie. Est-ce un homme affecté aux cuisines ?

  • Les circonstances de la prise de cette photographie

Réunir une compagnie n’est pas chose facile, tous les hommes n’étant pas ensemble en permanence : certains sont de corvées, d’autres de garde. Il n’est pas impossible qu’une partie de l’effectif n’ait pu être présente pour une de ces raisons (sans compter les éventuels hommes à l’infirmerie ou en permission). Ce qui pourrait expliquer qu’on ne voit que 87 hommes. Ce point reste à éclaircir.

Par contre, ce qui fait moins de doute, c’est que le photographe n’a pas dû venir que pour ce seul groupe. En effet, on l’imagine mal installer son trépied et son estrade pour un cliché.

Se peut-il qu’il ait vendu ce cliché individuellement à l’occasion de la réalisation d’un album régimentaire ? Je n’en ai trouvé aucune trace.

Seule la découverte d’un autre cliché pris le même jour permettra d’assurer que celui-ci fut pris au milieu d’une série. Un indice tout de même le laisse penser concrètement : le numéro en bas à droite de l’image, permettant au photographe de retrouver la plaque pour refaire des tirages.

  • Dater la photographie

Grâce au texte et à la recherche de son auteur par Thibaut Vallé, la datation ne pose aucun problème.

« Cher cousine

Je t’envoie ma photographie et celle de tous les copains de la compagnie. En attendant la classe vient , c’est du 154 demain matin. Bonjour à tous le monde et bonne santé.

Lucien Laugaudin »

La recherche de Thibaut Vallé pour retrouver l’auteur de la carte l’a conduit à Nailly, petite commune de l’Yonne à l’Ouest de Sens.


Lucien Laugaudin y naît en 1886 dans une famille de propriétaires exploitants. D’ailleurs, après son service, il revient travailler avec son père comme nous le montre le recensement de 1911.

Avec sa date de naissance et son département de domicile, il a été possible de retrouver sa fiche matricule. On y apprend qu’il est incorporé au 46e RI le 7 octobre 1907 et libéré le 25 septembre 1909. Cette dernière date est celle qui est utile pour déterminer le jour d’envoi de la carte : 25 septembre moins 154 jours = date de l’envoi de la photographie.

La carte a été écrite vers le 25 avril 1909. La photographie est donc antérieure à cette date, sans qu’il soit possible de préciser de combien de temps, quelques jours ou quelques semaines ? Cette date en tout cas est cohérente avec la présence des pompons sur les képis dont l’usage disparaît vers 1910.

  • Retrouver Lucien Laugaudin dans le groupe

La tâche n’est pas mince mais la finesse du grain de l’image permettant de bien distinguer chaque visage, j’ai essayé de le retrouver à l’aide des indications fournies : cheveux châtains, front large, nez fort, bouche moyenne, menton rond, visage ovale. Un « nez fort » n’est pas une caractéristique fréquente et c’est ce détail qui a permis de faire une sélection de visages.

Mais une fois de plus, l’entreprise est compliquée par l’appréciation de ce qu’est un « nez fort », un « visage ovale », un « menton rond ». Un « nez busqué » est-il un « nez fort » pour autant ? Si tel n’est pas le cas, on peut éliminer le candidat de gauche sur l’image ci-dessus et celui du milieu (qui a d’ailleurs un visage plutôt rond) sur celle ci-dessous.

Seule une autre photographie pourrait nous permettre de conclure voire de constater qu’aucun des candidats n’était le bon.

Peut-être les Archives départementales de l’Yonne conservent-elles un exemplaire de sa carte d’ancien combattant, voire son dossier. En effet,sa fiche matricule indique son existence.

S’il a survécu à la guerre, il n’en est pas revenu indemne. Sa fiche matricule est une longue succession de périodes à l’arrière (au dépôt d’abord puis dans des hôpitaux) et au front avant sa capture en mars 1918. Il est blessé trois fois (11 novembre 1914 par shrapnell, 10 mars 1915 par balle dans le dos et à l’épaule droite, 11 septembre 1917 au bras droit et à la tête par balle) et intoxiqué par gaz le 18 mars 1918.

Au retour de captivité, il est versé au service auxiliaire en raison de sa blessure au visage : la plaie transfixiante par balle avait touché la fosse nasale et le palais. Dans sa sécheresse administrative, le document ne dit pas quelles étaient les conséquences de cette blessure au quotidien mais évoque une « destruction du lobe gauche du nez, fistulette située sur le voile osseux du palais. »

  • Retrouver la cousine

« Mademoiselle Berthe Roblot, à Parois par Sens (Yonne) » a été facilement retrouvée grâce à ces indications et au fait qu’elle soit née dans le même village que Lucien, Nailly.

La consultation des actes de naissance de Lucien et de Berthe montre qu’ils sont du même milieu, ont sensiblement le même âge et même s’ils ne sont pas cousins germains, il y a fort à parier que des ancêtres communs se trouvent rapidement soit du coté Roblot, soit du coté Fesneux. En effet, quand on regarde l’arbre généalogique des deux familles, ces noms sont communs.

Le terme cousine employé dans la carte peut alors être interprété comme un surnom affectueux plus que comme un lien familial établi.

  • Pour terminer en images

Des détails attirent l’œil sans que l’on puisse en donner le sens à chaque fois. Deux hommes montrent leur montre.

Un autre met en évidence une clef.

Un homme est musicien comme l’atteste le col de sa veste (deuxième homme en haut à gauche sur l’image ci-dessous). Il est entouré d’une majorité d’hommes sans moustaches. Aurait-on placé la jeune classe en haut et les plus anciens en bas ? La question se pose car les hommes imberbes se trouvent essentiellement dans la moitié haute de l’image.

Sourire n’est pas l’attitude la plus adoptée par ces soldats. La majorité est sérieuse, certains forcent le trait au point de paraître durs.


L’importance de se tenir droit sur une photographie est nettement visible ici. L’homme à gauche sur l’image ci-dessous paraît bien petit par rapport à ses voisins.

Toujours sur l’image ci-dessus, on voit la montre d’un caporal. J’ai essayé de lire l’heure, mais le grain de la photographie n’a pas permis de conserver cette information.

  • En guise de conclusion

À défaut d’avoir pu mettre un visage sur le nom du soldat ayant envoyé cette photographie, on a au moins pu déterminer la date de sa prise, le lieu, proposer un contexte qui reste à vérifier, et en savoir un peu plus sur l’auteur. Les sources sur internet, de plus en plus nombreuses, permettent à nouveau d’en découvrir d’avantage sur ces documents, dès l’instant qu’ils donnent quelques indices pour le faire, ce qui n’est pas toujours le cas. On y observe à la fois les contacts qui existaient au sein de la famille, au sens large ici, mais aussi ce qu’une compagnie représentait approximativement en temps de paix.

  • Sources :

Archives départementales de l’Yonne :

– Recensements de la commune de Nailly 1901 et 1911, 7 M 2/114.

– État civil de la commune de Nailly, 2E 274/13.

– Fiche matricule de Lucien Laugaudin, classe 1906, matricule 271 au bureau de recrutement de Sens, 1 R 688, vue 390/714.


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