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23 – Arras, 83e RIT, fin 1914

Le drapeau est un symbole central pour les militaires. Il n’est sorti que pour les grandes occasions et dès ses classes, on apprend à le défendre. On le présente aux bleus lorsqu’ils sont jugés aptes à faire campagne. En août 1914, les drapeaux sont sortis et partent vers le front avec chaque régiment.

  • Des territoriaux du 83e RIT

Le numéro du régiment est facilement identifiable sur les cols : « 83 » de couleur blanche. Le blanc n’a pas été ajouté à la craie, ce sont donc bien des territoriaux.

Ils viennent pour l’essentiel de Vendée, ce régiment étant composé d’hommes en provenance de ce département.

La partie carte n’étant pas écrite, il convient de déterminer la date de prise de vue. Les uniformes sont un indice : tous portent une tenue de début du conflit, capote modèle 1877 pour sept d’entre eux, tenue de cycliste pour trois soldats. Le capitaine est le seul sans capote ou vareuse-dolman. À noter d’ailleurs que les officiers, encore une fois à l’exception du capitaine, portent une tenue qui empêche toute identification du grade suivant les instructions visant à éviter qu’ils ne soient victimes des tirs ennemis.

Les képis sont encore du modèle de la mobilisation, recouverts d’un manchon bleu.

Au niveau des brodequins, la situation est moins uniforme : deux ont des guêtres, un a des bandes molletières (je n’évoque ici ni les cyclistes ni les officiers). Un autre semble avoir des bottes ou des jambières. Quant au quatrième, il ne porte ni jambières ni guêtres ni bandes molletières.

Tous ces indices font penser à une époque postérieure à août 1914.

Par chance, une oblitération partielle est lisible au verso. Il est écrit : « TRESOR ET POST[ES] 5 [J]ANV 15 ». Cette photographie a donc été prise avant le 5 janvier 1915, ce qui est cohérent avec les uniformes. Il est possible d’affiner un peu si l’on détermine le lieu.

  • Où est le 83e RIT fin 1914 ?

Un seul indice peut nous aider : ce mur massif en brique de près de trois mètres de haut (pour ce qui en est visible). Il n’y a pas beaucoup de murs de cette taille. Depuis le 31 octobre 1914, le 83e RIT est à Arras. Le JMO mentionne même un blessé à la citadelle à l’occasion d’un bombardement. Or, les murs des bastions et des fossés sont hauts et sont construits avec des briques. La probabilité est donc grande que le cliché ait été pris dans la citadelle d’Arras entre le 31 octobre 1914 et le 5 janvier 1915. Le JMO et l’historique ne donnent pas d’éléments permettant d’affiner la datation ou la localisation.

  • Le porte-drapeau du régiment

Un lieu, une période : cette photographie a déjà livré quelques éléments. Un dernier est accessible : le nom du porte-drapeau. En effet, il y a un officier qui en a la charge : il s’appelle Billon. Il est nommé dans le JMO au moment du départ, donc en août. Mais est-il toujours le même fin 1914 ?

Cet homme porte une médaille peu commune : la Légion d’honneur. Direction le fichier des récipiendaires de la Légion d’honneur. Billon Louis Mathurin a reçu la Légion d’honneur en 1909. Il y a peu de doutes à avoir : un homme identifié !

Né le 19 octobre 1866 à Notre-Dame-de-Monts en Vendée, cet homme quitte l’armée en 1902 avec le grade d’adjudant après 15 ans de service. Sa carrière a essentiellement été faite dans les troupes coloniales et a été ponctuée par deux campagnes lui ayant donné droit à la médaille coloniale avec agrafe « Madagascar » et surtout « Tonkin » où il a combattu trois ans, obtenant en plus une citation à l’ordre des troupes d’Indochine (juin 1893-septembre 1896). Chevalier de l’ordre du Dragon de l’Anam et chevalier de l’ordre royal d’Anjouan des Comores, la poitrine de cet homme peut aussi s’enorgueillir de la médaille militaire obtenue en 1901.

Bien qu’à la retraite, il appartient à l’armée de réserve où il devient lieutenant puis à la territoriale où il est affecté au 87e RIT, corps proche de son domicile.

Il est décédé en 1924.

La même méthode a été utilisée pour identifier les autres officiers car deux des trois ont aussi la Médaille militaire.

Le capitaine pourrait être le capitaine Joseph Boudin, capitaine-adjoint au chef de corps, mais son dossier de la Légion d’honneur est bien trop incomplet pour avoir la moindre certitude. Quant aux deux autres officiers, il pourrait s’agir des deux lieutenants, ces quatre officiers formant une partie de l’état-major du régiment. Toutefois, ce n’est qu’une hypothèse.

  • Une image composée avec soin

Ce qui a intéressé le photographe est plus de mettre en valeur le drapeau que les hommes qui composent sa garde.

Les hommes sont également répartis de part et d’autre du drapeau, dans une symétrie dont l’axe est le drapeau, ce dernier formant également l’axe de l’image en général.

Le cadrage était fait sur le drapeau et s’efforçant de le montrer jusqu’à la hampe. De ce fait, les hommes ne représentent que la moitié de la taille de la hauteur de la photographie.

Pour marquer la pose, pour ajouter à la symbolique, les trois officiers ont sorti leur sabre et se sont mis au garde-à-vous tous comme les quatre soldats qui gardent le drapeau. Dans la symétrie, une seule fausse note : le cycliste. Il est probable que tous ces hommes appartiennent à la compagnie hors-rang du régiment.

  • Les cyclistes

Le premier cycliste, à gauche de la photographie, est bien un agent de liaison. Il a glissé un message dans « le parement en botte de la manche » de sa vareuse-dolman (je reprends les termes de Laurent Mirouze (2011), « Août 1914, l’uniforme du chasseur à pied », Les Dossiers Militaria, avril-juin 2011, n°9, page 44).

On constate aussi que son arme est nettement moins longue que celle du cycliste qui est de l’autre côté du groupe. Il s’agit d’une carabine, alors que l’autre cycliste a un fusil Lebel, nettement plus encombrant.

  • En guise de conclusion

Si elle ne dit pas à quelle occasion elle a été prise, cette image a dévoilé une partie de son sens perdu avec le temps. Au final, l’absence de vent le jour de la prise fait que ce n’est pas le drapeau qui est le mieux visible mais bien les hommes.

  • Source :

– JMO du 83e Régiment d’infanterie territoriale, SHD 26 N 791/6 et SHD 26 N 791/7.

Accès direct sur le site Mémoire des Hommes de la première cote.

– Anonyme, historique du 83e régiment territorial d’infanterie, La Roche-Sur-Yon, Imprimerie Moderne E. Hamonnet, 1920. 8 pages. Disponible sur le site de la BDIC.

– Base Léonore, dossier de Louis Mathurin Billon, LH/241/44. Accès direct au dossier sur le site des Archives nationales.


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