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École des caporaux

Le caporal est le premier maillon hiérarchique dans l’armée, après le 2e classe. Pierre Chaine en montre toute l’importance dans son ouvrage « Mémoire d’un rat », pages 55-56 : « La vérité : c’est que les soldats n’obéissent jamais qu’à un caporal : c’est à sa voix qu’ils se livrent, mangent, combattent, travaillent et se reposent. Tâche d’autant plus ardue que les hommes avec qui doit traiter directement le caporal ne sont responsables que de leur personne et que chacun d’eux garde sur son chef la supériorité de n’avoir pas de galon à perdre ».

Cet article ne porte que sur les soldats devenus caporaux avant la guerre. Il vise à expliquer les fonctions d’un caporal et comment on le devenait.

Reconnaitre un caporal

Sans remonter à l’explication étymologique (du latin caput qui signifie « tête »), le caporal est un homme du rang, il n’est pas sous-officier. Il a des fonctions et une formation particulière. Il est chef d’une escouade, c’est-à-dire qu’il commande un groupe de huit à quinze hommes en temps de paix. Il peut donner des ordres et punir ceux qui ne respectent pas le règlement dans les limites du code de justice militaire, à savoir 2 jours de consigne (voir article à ce sujet)

Pour le différencier du soldat de 2e classe ou de 1ère classe, il a deux galons rouge en bas de chaque manche.
Soldat de première classe :

Caporal :

Difficilement discernable sur les photographies en noir et blanc de l’époque, les caporaux rehaussaient fréquemment leurs galons à la craie pour les faire ressortir. Grâce à cette astuce, le contraste est meilleur avec le reste de l’uniforme.

De gauche à droite : un soldat de 1ère classe, un caporal, un soldat de 2e classe

Cela peut se révéler un piège si on n’y prête pas assez attention : les adjudants ont deux galons dorés qui ressortent à peu près de la même manière sur les photographies. Toutefois, avec une simple loupe et le plus souvent à l’œil nu, il est possible de bien différencier les deux : la craie passée sur les galons de caporal est rarement uniforme et dépasse souvent sur la manche. Le reste de l’uniforme est souvent taillé sur mesure pour les adjudants, tout comme son képi à fausse jugulaire dorée, alors que l’uniforme du caporal ainsi que son képi sont ceux de la troupe.

Un sergent et un caporal du génie :

Le tissu utilisé pour les galons des sous-officiers est plus fin et présente des motifs visibles avec une numérisation fine de l’image ;

Sur la tenue de travail, le caporal accrochait une patelette (un morceau de tissu), plus ou moins fantaisie, afin de le distinguer des soldats de 2e classe.

  • Devenir caporal

Pour devenir caporal, il y a des conditions fixées sur la base de la loi du 14 avril 1832, toujours en vigueur au moment du déclenchement de la guerre, malgré des modifications. En plus de savoir lire et écrire, il faut maîtriser un socle de connaissances (service de place, service intérieur…) et il faut avoir « servi activement au moins six mois, comme soldat, dans un des corps de l’armée ». (Article 1er). Outre les volontaires, il pouvait y avoir des désignations pour suivre l’école des caporaux suivant la qualité de la page d’écriture réalisée à l’incorporation.

Les hommes ayant obtenu le Brevet d’Aptitude Militaire peuvent de droit intégrer l’école des élèves caporaux et le devenir au bout de 4 mois de service. Pour tous les autres, il s’agit de soldats choisis pour leur moralité, leur conduite, leur aptitude au commandement et leurs connaissances professionnelles. Les recalés de la précédente formation sont aussi admissibles pour repasser l’examen.

Les élèves caporaux forment un peloton spécifique : ils sont soit formés dans leur compagnie, soit réunis pas bataillon.

En plus de leur participation aux exercices des hommes de leur classe, ils reçoivent un complément d’instruction théorique et pratique :

    – instruction individuelle poussée ;

    – apprentissage du commandement, des mouvements, des rectificatifs à apporter selon les  fautes commises, des fonctions à remplir dans les différents services.

La photographie ci-dessus, éditée sous la forme d’une carte postale, hélas d’une piètre qualité, montre un cours un peu trop beau pour être vrai. Le cadre est marqué par de nombreux symboles (Marianne, nom de batailles de 1870, couleurs nationales). Sous le regard du sergent, un officier fait une théorie sur les ouvrages de défense en campagne. On peut se demander pourquoi le caporal est aussi en train d’écouter attentivement un cours qu’il connaît, obligeant les autres élèves à se serrer alors qu’il y a de la place sur l’autre banc.

Leur formation nécessite l’apprentissage des règlements divers, souvent réunis sous la forme d’un digest reprenant les éléments spécifiques à maîtriser pour le caporal. Cet ouvrage est parfois montré sur les photographies de groupes d’élèves caporaux. Ici, les élèves caporaux de la 11e compagnie du 58e RI, à une date inconnue, tenant le Livre du Gradé des éditions Berger-Levrault.

Cet enseignement semble encadré par un sergent rengagé et un caporal : les photographies de groupes d’élèves caporaux d’une compagnie montrent souvent cet encadrement, comme sur la cette photographie montrant des élèves caporaux de la 4e compagnie du 130e RI, ou sur la photo-carte dont un gros plan a été présenté précédemment.

Le chef de bataillon établit un classement qu’il présente au chef de corps qui arrête la liste des promus. Une fois devenus caporaux, ils entrent en fonction.

Cette formation est identique chez les chasseurs à pied et dans le génie, chacun intégrant les spécificités de l’arme. Ci-dessous, les élèves caporaux de la 1ère compagnie du 21e bataillon de Génie (5e régiment du génie), en 1911.

Au 13e Bataillon de Chasseurs Alpins, en 1914, les élèves caporaux de tout le bataillon (classe 1913) :

  • Les fonctions du caporal

Le caporal surveille les soldats au niveau de leur conduite, de la subordination et de « l’exactitude à remplir leurs devoirs ». Outre leurs fonctions dans leur escouade, les caporaux alternent dans la compagnie pour le service de semaine et dans le régiment pour les services individuels.

Caporal d’escouade : il est chargé de tout ce qui est relatif à l’instruction, au service, à la tenue, à la police et à la discipline. Il loge dans la chambrée de son escouade. Dans cette chambrée, il veille aux soins de propreté personnelle des hommes, fait faire les lits, ranger, préparer les hommes de service, ceux qui doivent assister aux classes d’instruction. Il fait changer le linge blanc au moins une fois par semaine, veille à ce que le linge soit raccommodé après le blanchissage et que les chaussures soient en bon état. Le samedi matin, il fait mettre « dans le plus grand état de propreté » tous les effets et « battre au grand air » couvertures et matelas.

Il distribue le prêt reçu du sergent-major. Il forme les recrues de son escouade aux détails du service intérieur, il leur enseigne le paquetage, l’entretien des armes et de tous leurs effets.

Il tient un carnet (modèle VIII d’après le règlement) ; il rend compte au sergent. Il présente l’escouade au sergent de section lors des rassemblements. Il fait l’appel de son escouade et le rend à l’adjudant de compagnie.

Caporal de chambrée : dans le cas où plusieurs escouades habitent la même chambrée, le plus ancien caporal est le chef de chambrée.

Au réveil, il fait lever les soldats, découvrir les lits, fait l’appel et aérer les fenêtres. Il rend compte des malades, signale les événements de la nuit. Un soldat doit balayer le plancher, épousseter et essuyer les tables, les bancs, les planches à pain, à bagages et les râteliers d’armes, enlever les ordures.

Il assure la police de la chambrée (il empêche de fumer au lit, de se laver dans la chambre, de dégrader ou salir les effets). Il préside les repas pris en commun. Il s’assure que la cruche d’eau est remplie, fait éteindre la lumière au signal et fait l’appel du soir.

Il doit être présent lors de la visite d’un officier dans la chambrée (article 182).

Caporal de semaine : sous les ordres du sergent de semaine, il le seconde dans les détails du service de semaine. Il réunit les hommes commandés pour les corvées, il veille à la propreté du quartier et est chargé de conduire les punis.

Deux caporaux posent au milieu de soldats de corvée. Celui au centre est probablement le caporal de semaine.

Caporal d’ordinaire : désigné par le capitaine pour un mois. Il est chargé de la distribution des achats pour la compagnie par le sergent-major. Il est de service de cuisine (surveillance des cuisiniers, de la propreté des locaux, des ustensiles,… ). Il est chargé du blanchissage.

  • Être caporal dans les documents

Sur les courriers, le grade était souvent indiqué dans l’adresse. Mais c’est dans la fiche matricule que l’on trouve la trace de la prise de fonction de caporal.

On trouve parfois les états de service collés sur la fiche matricule, mais cela dépend du bureau de recrutement, la majorité n’utilisant pas cette méthode. Dans le cas présenté ci-dessous, il s’agit tout simplement du premier feuillet du livret matricule

Cette information figure également dans les états de service qui font partie du dossier individuel des récipiendaires de la Légion d’honneur.

  • Sanctions et promotions

Un caporal peut être puni de la même manière que les soldats à l’exclusion de la salle de police et de la cellule. Il peut également être cassé de son grade ou réintégré comme seconde classe sur sa demande.

Une fois caporal, un homme pouvait devenir caporal-fourrier ou sergent.

  • Sources :

LATOUR Jean-Claude (2013). « Août 1914. La compagnie d’infanterie », GBM 104, avril, mai, juin 2013, pages 9 à 20.

Anonyme, Le livre du gradé d’artillerie à l’usage des élèves brigadiers, brigadiers et sous-officiers d’artillerie de campagne, contenant toutes les matières nécessaires à l’exercice de leurs fonctions et conforme à tous les règlements parus jusqu’à ce jour, Paris, Berger-Levrault, 1915.

Il est, avec celui de cavalerie, le seul actuellement accessible sur Gallica. Il est mis, bien que concernant l’artillerie, à titre d’exemple de ce type d’ouvrage. Accès direct sur Gallica.

Louis-Philippe Ier, Ordonnance du 16 mars 1838 sur l’avancement dans l’armée, précédée des lois des 14 avril 1832, 19 mai 1834, 4 août 1839 et 23 juillet 1847, Paris, Editions J. Dumaine, 1862. Accès direct sur Gallica.

  • Remerciements :

À Marc Ansparch pour l’autorisation de publier des extraits d’un livret d’escouade.


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