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Punitions, sanctions, justice militaire

L’incorporation n’a pas comme seule conséquence que de faire quitter la vie civile à la recrue : il change également de statut au niveau de la justice. Et ses actions peuvent lui valoir des sanctions très codifiées.

  • L’échelle des sanctions

Il convient de bien distinguer les punitions et la justice militaire. Les punitions sont laissées à l’autorité militaire et concernent tous les manquements au règlement dans le service intérieur (= liés à la vie militaire). Les punitions sont données par les gradés suivant une échelle très rigoureuse. Ces punitions concernent aussi les contraventions commises par les militaires.

La justice militaire s’occupe de tous les crimes et délits concernant des militaires et entraîne un passage devant un tribunal militaire : le conseil de guerre.

  • Les punitions

Tout manquement au devoir militaire ou faute contre la discipline peut faire l’objet d’une punition, que l’homme soit de l’armée d’active ou qu’il soit un réserviste appelé pour une période d’exercices. Le tout est organisé par le règlement de service intérieur (de 1892 puis de 1910 pour la période qui nous intéresse). L’ensemble des indications qui suivent viennent de recoupements réalisés entre le décret sur le service intérieur du 20 octobre 1892 et du manuel d’instruction militaire de 1914 qui se réfère au règlement du 25 mai 1910 mais dont je n’ai pu disposer pour la rédaction de ce petit article.

Les recrues n’ignorent pas le risque de punitions : « la connaissance des règlements est la base de l’instruction militaire ». En fonction de la gravité du manquement ou de la faute, voici ce que risque l’homme de troupe :

– être consigné au quartier : interdiction de sortir de la caserne ;

– salle de police : l’homme continue son service mais le temps libre est utilisé à faire des corvées et la nuit est passée enfermé dans les locaux disciplinaires ;

– Prison : isolé ou à défaut dans les locaux disciplinaires, en commun.

– Cellule : enfermé en permanence seul, pas de service, ne suit pas l’instruction, pendant trois heures le matin et le soir corvées fatigantes ou exercices spéciaux.

Source : Cahiers d’enseignement illustrés n° 5, A la caserne, dessins par Marius Roy, page 16.
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– Envoi aux sections spéciales.

Toutes ces punitions sont notées dans le livret matricule et, sauf amnistie, suivent le conscrit. Une punition doit être faite et peut entraîner un maintien au corps pour exécution. Même chose pour les réservistes : ils peuvent avoir à rester au corps si leur punition le nécessite. Pour les soldats de l’active, les peines de prison et de cellule de plus de huit jours se doublent d’un maintien au corps après la libération de la classe.

Les punitions données peuvent être aggravées par un supérieur dans un cadre hiérarchique toujours très strict, comme le montre l’article 302 du règlement du service intérieur de 1892.

« Droit de punir :
302. (…) Le commandant du régiment peut augmenter ou diminuer les punitions ; il peut en changer la nature et même les faire cesser. (…)
Le capitaine, dans sa compagnie, peut augmenter les punitions infligées par ses subordonnés directs, et même en aggraver la nature ; il en rend compte. (…) »

    Gros plan : Le relevé de punitions du soldat Pailleux (29e BCP)

Les punitions pour un sous-officier peuvent différer de celles des hommes de troupe :

– avertissement du capitaine, soit en particulier soit en présence de deux gradés ;

– mise aux arrêts, simple (interdiction de sortie sauf pour le service) ou de rigueur (enfermé dans un local spécial) ;

– réprimande du colonel en présence d’au moins deux sous-officiers.


Ces punitions peuvent s’accompagner :

– d’une rétrogradation (le sergent redevient caporal) ;

– d’une cassation (le sous-officier redevient 2e classe) ;

– d’une révocation pour les engagés.

Les deux premières (rétrogradation et cassation) s’accompagnent d’un changement de corps.

Qui sanctionne ?

Il y a une gradation dans l’échelle des sanctions à la fois dans le grade de celui qui l’inflige et la durée.

« Droit de punir :
302. Le droit de punir s’exerce en toutes circonstances de temps et de lieu ; il n’est suspendu que dans certains cas prévus par les règlements spéciaux. Tout militaire peut être puni par un militaire d’un grade supérieur au sien, quels que soient l’arme et le corps de celui-ci. (…) »

Voici le résumé du tableau donné page 830 du manuel d’instruction militaire de 1914.

Autorité pouvant infliger des punitions
Maximum de durée des punitions
Caporaux
fourriers
Sous-officiers
Caporaux (1)
Soldat
(1) Les caporaux peuvent encourir les mêmes punitions que les soldats à l’exclusion de la salle de police et de la cellule.
Caporal, caporal fourrier

2 jours de consigne
Sous-officiers
2 jours d’arrêts simples
4 jours de consigne
2 jours de salle de police (2)
(2) Peuvent être prononcés seulement par :
– les adjudants chefs ;
– Les adjudants de semaines dans leur service spécial ;
– Les adjudants dans leur compagnie.
Sous-lieutenant,
Lieutenant,
Capitaine (hors la compagnie)
4 jours d’arrêts simples
8 jours de consigne
4 jours de salle de police
Capitaine (dans la compagnie),
chef de bataillon (dans son unité),
lieutenant colonel (3)
15 jours d’arrêts simples
8 jours d’arrêts de rigueur
30 jours de consigne
15 jours de salle de police
8 jours de prison
(3) Durées moitiés moindre en dehors de leur unité.
Officier supérieur (chef de corps),
officier général (hors de son commandement)
30 jours d’arrêts simples
15 jours d’arrêts de rigueur
30 jours de consigne
30 jours de salle de police
15 jours de prison

Dans son commandement, peut infliger au total :



Général de la Brigade20 jours d’arrêts de rigueur20 jours de prison
Dont 10 en cellule (soldat seulement)
Général de la Division25 jours d’arrêts de rigueur25 jours de prison
Dont 12 en cellule (soldat seulement)
Général du Corps d’armée30 jours d’arrêts de rigueur30 jours de prison
60 jours de prison (art. 388)
Dont 15 en cellule (soldat seulement)
Plus proposition d’envoi aux sections spéciales au ministère de la guerre.

Les règlements conseillent de sanctionner avec « circonspection », mais en cas de récidive ou de faute collective, la sanction doit être plus sévère. Le supérieur (commandant de compagnie, chef de bataillon, chef de corps ou officiers généraux) peut modifier ou faire cesser la punition infligée par un de ses subordonnés. Il peut aussi proposer un sursis.

Le sursis est inscrit dans le livret matricule : la punition est annulée s’il n’y a pas de récidive pendant le sursis ; la punition est doublée en cas de récidive (punition pour la faute  exécution de la punition qui était en sursis).

Le cas des « faisant fonction » : un simple soldat faisant fonction de caporal a le droit de punition du caporal.

Si un chef souhaite une punition plus lourde que celle qu’il peut infliger, il dresse un compte-rendu qu’il remet à sa hiérarchie.

Que sanctionne-t-on ?

Ce qui est sanctionnable est listé dans l’article 314 du règlement du service intérieur de 1892. Les intitulés sont assez vagues pour permettre d’y ranger de nombreuses fautes.

« 314. (…)
Pour les fautes légères, les soldats sont punis par une ou plusieurs corvées supplémentaires. Pour négligence dans l’entretien de leurs effets ou de leurs armes, ils sont punis par un ou plusieurs jours d’inspection avec la garde.
Pour les fautes légères contre la discipline, les caporaux et les soldats sont punis de la consigne au quartier.
Pour manquer à l’appel du soir, pour mauvais propos, désobéissance, querelles, ivresse, les caporaux et les soldats sont punis de la salle de police.
Pour les fautes plus graves, particulièrement lorsqu’elles sont commises pendant un service ou en état d’ivresse, ils sont punis de la prison ; les soldats peuvent l’être de la cellule. »

Attention : les fautes notées dans l’article 314 du règlement du service intérieur ne sont pas les seules entraînant sanction. Il y a également un code de justice militaire dont le non respect conduit au conseil de guerre. D’ailleurs le militaire connaît ce risque : une partie de son livret militaire est consacré au rappel des peines que l’on encourt pour non respect des règlements militaires. De même, sont aussi sanctionnés par le conseil de guerre tout délit ou crime commis par un militaire, même lorsqu’il s’agit d’infractions de droit commun.

  • Le conseil de guerre

Comme il a été dit en introduction, le militaire dépend d’une justice militaire, justice particulière.

On trouve en France un siège de Conseil de guerre dans chaque chef lieu de corps d’armée. De composition variable en fonction du grade de l’homme à juger, il est le plus souvent composé de six officiers et d’un sous-officier pour les hommes de troupe.

Le jugement est sans appel, il est même impossible de faire appel devant la cour de cassation. La seule possibilité du condamné est de faire intervenir le conseil de révision qui se penche alors sur la forme (les règles ont-elles été respectées ? ) et non sur le fond (la condamnation). Les décisions du conseil de guerre vont de l’acquittement à la peine de mort. La peine est portée au casier judiciaire et peut être du sursis.


Pour un délit :

– Travaux publics (de 2 à 10 ans) ;

– Emprisonnement (de 6 jours à 5 ans) dans une prison militaire.

Pour un crime :

– Peine de mort avec ou sans dégradation ;

Précision importante dans ce cas, c’est l’article 187 qui est appliqué :

« Article 187 : Tout individu condamné à la peine de mort par un conseil de guerre est fusillé. »


Il est modifié par la loi du 30 décembre 1911 :

« Article 187 : En temps de paix, les condamnés à mort par un conseil de guerre ou par un tribunal de la marine siégeant dans la métropole auront la tête tranchée.

Néanmoins, seront fusillés ceux qui auront commis un crime exclusivement militaire.« 

– Travaux forcés à perpétuité ou à temps (de 5 à 20 ans) dans une colonie autre que l’Algérie ;

– Déportation (à vie sous régime spécial de surveillance) ;

– Détention ( de 5 à 20 ans) dans une forteresse ;

– Réclusion (de 5 à 10 ans) dans une maison de force ou maison centrale ;

– Dégradation militaire : dégradation civique et perte du droit d’appartenir à l’armée.

  • La procédure

La police judiciaire militaire rassemble les preuves, livre les auteurs à l’autorité. Le rapporteur procède à l’interrogatoire des preuves puis des témoins. Suivent la mise en jugement et la convocation devant le conseil de guerre.

L’examen est public mais peut interdire le compte-rendu dans la presse. Une fois l’examen achevé se tient la délibération. Il s’agit de répondre à des questions et de fixer une peine. L’accusé est-il coupable du fait qui lui est imputé ? A-t-il été commis avec des circonstances aggravantes ? Atténuantes ? Chaque réponse est « résolue contre l’accusé » à la majorité de cinq voix contre deux.

Le jugement est public et il n’est pas possible d’en interdire la publication.

  • Comprendre par l’exemple

Voici deux affaires qui se sont terminées devant un conseil de guerre. Il s’agit de narrations des faits et des suites. Les sources sont indiquées pour chaque affaire. La première est assez classique, un cas de désobéissance ; la seconde, un crime commis par des militaires sur une civile, affaire qui eu un retentissement important dans l’ouest de la France.

    Gros plan : Outrage par parole et menace contre un supérieur au 130e RI

    Gros plan : Le crime de Verron (Sarthe)

  • Et dans la fiche matricule ?

Des punitions infligées au cours du service militaire, il ne reste quasiment aucune trace dans la fiche matricule. Au mieux, on trouvera mention d’un changement de corps, d’une rétrogradation ou si l’homme s’est vu cassé de son grade. Les changements de corps sont aussi notés, mais sans qu’il soit possible le plus souvent d’en déterminer la cause. Au final bien peu de choses. Voici un exemple qui fait apparaître plusieurs éléments liés à sa mauvaise conduite :

On peut deviner un service avec de nombreuses punitions quand l’homme est libéré longtemps après les autres hommes de sa classe et qu’il ne reçoit pas de certificat de bonne conduite.

Par contre, en ce qui concerne les condamnations par le conseil de guerre, étant donné qu’il s’agit de condamnations par un tribunal, elles apparaissent sur la fiche matricule. C’est le cas également d’une exécution suite à une condamnation à mort par le conseil de guerre.

  • La suite de la recherche :

Une autre conséquence des punitions ou des condamnations devant le conseil de guerre peut-être de ne pas recevoir son certificat de bonne conduite. Voir la page à ce sujet.

  • Pour approfondir le sujet abordé par cette page :

    Gros plan : Le relevé de punitions du soldat Pailleux (29e BCP)

    Gros plan : Outrage par parole et menace contre un supérieur au 130e RI

    Gros plan : Le crime de Verron (Sarthe)

  • Sources :

Journal militaire, 103e année, année 1892, deuxième semestre. Librairie militaire de L. Baudoin, Paris, 1892. Accès direct au règlement sur le service intérieur des troupes d’infanterie du 20 octobre 1892 sur Gallica.

Manuel d’instruction militaire, Librairie Chapelot, Paris, 1914.

Code de justice militaire pour l’armée de terre (9 juin 1857). Annexes, formules, modèles et dispositions diverses. 6e édition, mise à jour des textes en vigueur jusqu’au 1er octobre 1908, Editions H. Charles-Lavauzelle, Paris, 1908. Accès direct à l’ouvrage sur Gallica.

En complément, on peut se reporter vers le Code-manuel de justice militaire pour l’armée de terre, annoté d’après la jurisprudence de la cour de cassation et des conseils de révision, suivi d’une tenue d’audience très complète à l’usage des présidents et juges des conseils de guerre, des codes criminels, des dispositions concernant les opérations militaires…3e édition entièrement mise à jour. Editions H. Charles-Lavauzelle, Paris, 1895. Accès direct sur Gallica.


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