Aller au contenu

JEAN CHARLON, chasseur alpin au 13e BCA (1894-1914)

Parfois, l’absence de fiche matricule empêche toute élaboration du parcours d’un homme faute d’autres sources. Même si le recoupement entre le plus de sources disponibles est une règle de base dans ce type de recherche, il est possible, dans quelques cas, de réaliser la biographie d’un combattant avec d’autres sources, l’absence de fiche matricule n’ayant qu’un faible impact. Face à la difficulté de se procurer facilement ce document dans certains départements, ce n’est pas inutile de le montrer.

  • Le fonds de documents

Ce travail sur Jean Charlon a été réalisé à l’aide de six documents originaux, datés entre novembre 1913 et juin 1914 : une carte postale, deux photo-cartes, trois photographies. Ces documents, ajoutés aux sources disponibles, ont permis de découvrir son parcours et son destin.

  • De Maubeuge à Paris

C’est dans une famille de militaire qu’est né Jean, le 8 janvier 1894. Son père est alors capitaine d’artillerie au 2e bataillon d’artillerie à pied, à Maubeuge. Ce n’est pas là qu’il grandit car son père démissionne de l’armée en 1897 pour « convenances personnelles » et la famille s’installe rue Spontini dans le XVIe arrondissement de Paris. Peut-être a-t-il parcouru les allées de l’Exposition universelle de Paris de 1900 car son père en était le « délégué aux services spéciaux de la section française chargés des classes industrielles, agricoles, horticoles et militaires » à partir du 31 décembre 1898. C’est aussi à cette période que son père devient chevalier de la Légion d’honneur.

Jean fait des études au lycée Janson de Sailly, situé à quelques rues du domicile familial. Il ne se consacre pas à la construction d’une carrière civile car le 14 novembre 1913, il envoie une carte postale à sa famille depuis Briançon où il est caserné. De la classe 1914, il n’aurait pas dû être sous l’uniforme à cette époque, il a donc contracté un engagement volontaire au 13e bataillon de chasseurs alpins. Même si on ne peut préjuger de ses intentions en l’absence de sources à ce sujet, il est probable que, comme son père, Jean ait voulu faire carrière dans l’armée. Pourquoi avoir choisi une unité si éloignée de Paris, aussi exigeante que celle des chasseurs alpins ? Cette question restera probablement sans réponse.

  • Au 13e BCA de Chambéry

C’est à la caserne Joubert qu’il fait ses classes. C’est d’ailleurs le thème de la première carte postale conservée de Jean. On y voit l’entrée de la caserne, avec le poste de garde à droite (muni de son miroir et de sa boîte aux lettres comme dans l’exemple de Sens étudié dans cet article).

Symboliquement, cette carte postale montre qu’il vient d’entrer dans un nouveau monde. On peut observer derrière les hommes gardant l’entrée du quartier des soldats en tenue d’exercices peut-être en train de suivre l’école de section comme Jean à cette époque.

Il n’est pas isolé en Savoie, loin de Paris : il mentionne dans sa courte correspondance qu’il va retrouver « Jacques » au quartier. Un ami ? Son « ancien » ?

Le voici en tenue de chasseur alpin au 13e BCA : son visage de jeune homme de 19 ans n’est pas marqué par la moustache, attribut si courant sur les visages de l’époque. Il s’est fait immortaliser dans la caserne par un photographe de Chambéry et a acheté au moins deux tirages collés sur carton. On découvre les éléments spécifiques de l’uniforme de chasseur alpin : le béret, la vareuse-dolman modèle 1891 avec son col rabattu (qui peut être relevé par mauvais temps) et sur les épaules les parements destinés à empêcher les bretelles de glisser ; dernier élément spécifique, les bandes molletières.

En janvier 1914, c’est une photo-carte qu’il envoie à sa famille. Dans un paysage enneigé, il est nettement visible, toujours sans moustache, parmi un groupe de plus de soixante-dix chasseurs alpins, probablement une grande partie de sa compagnie. Il a pris soin de mettre une flèche pour indiquer sa présence.

Il écrit qu’il espère une permission, mais qu’il ne sera sûr de venir que lorsqu’il sera dans le train. Combien de fois a-t-il revu sa famille au cours de cette période à Chambéry ? Paris est bien loin. On remarque que la carte est adressée à sa mère seule. La mention bataillon en haut de la carte est postérieure.

La dernière correspondance conservée a été écrite juste avant le départ de Jean pour Lyon pour passer un examen. Il ne précise cependant pas lequel. Le recto le montre avec un autre groupe de chasseurs alpins : ce sont les élèves-caporaux de la classe 1913. Il n’y a pas à se tromper, c’est écrit sur l’image. Jean a donc suivi les cours pour devenir caporal, argument supplémentaire pour l’idée qu’il ne s’était pas simplement engagé pour devancer l’appel mais bien pour faire carrière. Ce qui pourrait être confirmé si l’examen en question était pour entrer dans une école militaire.

Une fois encore, malgré l’absence de flèche, l’identification de Jean ne fait pas le moindre doute : il a posé devant lui son sac et tient à la main son Alpenstock. Cependant, à l’inverse de son voisin, on ne voit pas ses raquettes car il a placé son sac de manière à ce que l’on voit l’étiquette indiquant son matricule au corps et son nom !

Il écrit à une personne dénommée « J. Charlon » qui habite dans le XVIIe arrondissement de Paris, en ce début de l’été 1914, fin juin plus précisément. La végétation est en feuilles, tout comme elle l’est sur la dernière photographie, non datée mais peut-être prise à la même période que la précédente. Toutefois, elle n’a pas été prise le même jour, car son col ne porte pas la pastille indiquant que son uniforme est celui d’instruction.

Malgré sa piètre qualité, sa prise à contre-jour, on reconnaît une fois encore Jean au centre. Il est debout au milieu de camarades qui se reposent. Un groupe de chasseurs est réuni à l’arrière-plan. A-t-elle été prise lors d’une marche, d’un exercice, d’une manœuvre, lors des derniers entraînements en montagne en juillet ? Il n’y a pas de légende cette fois-ci pour le préciser.

  • Et puis ce fut la guerre

Après sa mise en alerte fin juillet, le régiment quitte Chambéry le 5 août et arrive à Épinal le 6. Le bataillon arrive dans la zone des combats autour de Gérardmer dans la nuit du 14 août. Il est placé temporairement sous les ordres de la 81e brigade d’infanterie et, une fois la frontière passée au col de la Schlucht, combat en Alsace, dans la région de Munster.

Seuls les JMO de la 41e division d’infanterie, de la 81e brigade d’infanterie et l’historique du 13e BCA, en l’absence de JMO pour le bataillon, nous indiquent les grandes étapes du parcours de l’unité au cœur de laquelle se trouve Jean.

15 aoûtCombat de SULTZERN, 10 tués, 39 blessés
16 aoûtCombat devant MUNSTER, 3 tués, 10 blessés
  • 3 septembre 1914
27 au 30 aoûtCombats autour de Mandray, 57 tués, 128 blessés.
2 au 4 septembreCombats de la tête de Béhouille, 125 tués et 271 blessés.

Difficile de déterminer les circonstances de ce qui amena au décès de Jean Charlon. Fut-il mortellement blessé comme le laisse entendre sa fiche « Mémoire des Hommes » ou « tué au combat » comme l’indique sa fiche nécrologique dans le livre d’or de son ancien lycée ? Le lieu ne fait pas de doute : il est touché lors des combats de la tête de Béhouille où le bataillon perdit 125 tués et 271 blessés en trois jours d’affrontements d’après l’historique.


Notice du livre d’or du lycée Janson de Sailly pour Jean Charlon, page 20 : CHARLON, Jean, soldat au 13e bataillon de chasseurs alpins. Tué à l’ennemi le 3 septembre 1914 au combat de La Tête-de-Béhouille (Vosges).

Lorsqu’il tomba en ce mois de septembre 1914, sa classe de recrutement, celle de 1914, commençait tout juste à être appelée sous les drapeaux.

A-t-il su quel était le résultat de son examen avant de partir ? Avait-il échoué à devenir caporal ou sa formation n’était-elle pas achevée lorsque la guerre commença ? Il n’était en tout cas que seconde classe au moment où il fut tué.

Son corps fut-il inhumé individuellement ? Ses camarades en eurent-ils le temps ? Ses adversaires ? L’intensité des combats pendant cette période, son absence dans la base de données « Sépulture de guerre » ne semblent pas mener à cette conclusion. Mais peut-être sa famille a-t-elle pu faire rapatrier le corps après guerre ?

Son nom ne figure que dans le livre d’or du XVIIe arrondissement de Paris. En l’absence d’homonyme dans les fiches « Mémoire des Hommes » et dans la mesure où un membre de sa famille habitait dans cet arrondissement, il est fort probable qu’il s’agisse de lui. Cette interrogation comme d’autres reste en suspend. La fiche matricule permettrait d’en éclaircir quelques-unes. Mais, à l’instar de nombreux combattants de cet été 1914 au destin commun, de nombreux points nous resteront inaccessibles.

  • Sources :

Acte de naissance de Jean Charlon, AD du Nord, Maubeuge 1894, 1 Mi EC 392 R 012, vue 13/580.

Dossier de la Légion d’honneur de Jean Charlon (père) : 19800035/0215/28220

C. Chacornac et Lucien Poincaré, Discours prononcés à la distribution des prix le 13 juillet 1915 : livre d’or, Lycée Janson de Sailly. Melun, imprimerie administrative, 1915. Accès direct sur Gallica.

Anonyme, Historique du 13e bataillon de chasseurs alpins (1914-1918), Chambéry, Imprimerie chambérienne, 1920. Accès direct sur Gallica.

JMO de la 81e brigade d’infanterie, SHD 26N519/1. Accès direct.

JMO de la 41e division d’infanterie, SHD 26N340/1. Accès direct.

Dekerle S., Mirouze L., L’Armée française dans la Première Guerre mondiale – Uniformes, équipements, armements, Tome 1 1914, Vienne (Autriche), Editions Verlag, 2007. Informations sur les uniformes de chasseurs alpins de la page 176 à la page 181.

Un complément et un outil de référence pour tout ce qui concerne les chasseurs alpins avant-guerre et pendant la Première Guerre mondiale  : le site des chasseurs alpins

Retour aux parcours de mobilisés

Publication de la page : 31 mars 2013

Étiquettes:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *