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Bribes d’un témoignages d’un officier du RICM

MÉLÉRA César, Verdun (juin-juillet 1916), la Montagne de Reims (mai-juin 1918), Paris, Les éditions de la Lucarne, 1925. 134 pages.

Ce sergent puis sous-lieutenant appartenait au RICM. S’il fut mobilisé dès le 2 août 1914 dans les troupes coloniales, il passa au RICM en novembre 1915. Ne sont publiés ici que deux passages de ses carnets correspondant à deux moments particuliers : les violents combats à Verdun en 1916 et l’offensive allemande en Champagne en 1918. On ne peut que regretter ce choix tant le récit est riche et précis. Au quotidien, il note ce qu’il observe en mots choisis et en phrases brèves, incisives, parfois nominales.

Il écrit au fil de sa pensée et ses carnets ne semblent pas avoir fait l’objet d’un travail de réécriture par les personnes qui se sont chargées de la publication. En effet, l’auteur est décédé le 25 octobre 1918 et n’a donc pu retravailler cet ensemble.

On ne sait hélas rien des choix réalisés pour cette publication, ni qui en fut à l’origine. On peut en tout cas regretter que seules deux parties aient été imprimées car la richesse factuelle et stylistique en aurait fait un témoignage de premier plan.

Ainsi, sans introduction ni présentation autre qu’un court résumé de sa campagne, on le suit depuis l’annonce du départ vers le front le 6 juin 1916 du Bois Saint-Pierre jusqu’au secteur de Tavannes/Vaux pour tenter de libérer le fort de Vaux de son encerclement. Une fois en ligne, le récit s’intensifie. Il n’appartient pas aux troupes d’attaque et nous donne donc les informations régulièrement, telles qu’elles lui arrivent. Il y a parfois une réflexion personnelle « Des tas de connaissances ont fini avec la souffrance ; d’autres commencent à la connaître », page 20.

Page 21, il fait appel à Maurras pour fustiger les politiques et l’état major qui n’ont préparé aucune défense entre Vaux et Tavannes. Il va falloir tenir le terrain avec des hommes. On découvre vite la vie dans le fort de Tavannes, les nuits dans la gaine centrale, le bombardement incessant, la santé chancelante, les consignes de sacrifice, les corvées à l’extérieur, la liste des blessés, des tués et « Six hommes tués net par un obus dans la gaine centrale. Un chanteur comique, à côté, a un succès fou. », page 26. Cela donne une bonne idée du récit que l’on découvre au fur et à mesure des pages et ce style bref et incisif déjà mentionné.

Le 13 juin 1916, le récit est long, sans découpage horaire. Il a des mots percutants page 27 : « Blessés qui râlent pour de l’eau. Impossible : deux litres pour quatre jours. Des morts à moitié enfouis d’eux-mêmes dans la boue. On n’a pas le temps d’enterrer, à peine celui d’enlever les blessés. Franchi la vallée de la Mort avec bonheur. Quelques arbres débranchés encore debout. Odeur de charnier. »

Il s’étend longuement sur la guerre industrielle au milieu de laquelle il se trouve. Les sons, les horreurs en sont les éléments classiques, mais il y ajoute toujours des réflexions personnelles. Comme presque toujours dans les témoignages, il enregistre ces hasards : un obus tombe dans le cratère qu’il vient de quitter. « Gayol tué d’une balle au cœur : il a eu de la chance », page 26.

La souffrance, la peur, l’acceptation de la mort, tous ces thèmes sont évoqués page 28 « La chair tremble, mais le cœur pas. Marc Aurèle a raison contre Platon ».

Il est enterré vivant, « Passé un quart d’heure horrible, ne pouvant savoir encore si j’étais au complet », page 29. Les obus sont des « tonneaux de choucroute » page 30 ou « Le 137 revient ; je l’entends au loin entre tous avec son bruit de tram sur un rail rouillé » page 28. « Fait enterrer Gayol la nuit. Il est déterré et cisaillé en deux par un obus ». « Se battre d’homme à homme au lieu de se battre contre la ferraille. La faillite de la guerre, la faillite de l’art militaire, l’usine ici encore tue l’art » écrit il pages 30-31.

La dernière journée avant la relève est une succession de noms de tués et de blessés, de mots montrant sa fatigue extrême. Une fois encore, il utilise des formules courtes, simples mais qui en disent autant que de longs paragraphes. La description du tunnel de Tavannes est dantesque, tout comme celle de ses hommes : « Revenu seul avec une troupe lamentable : « casquée de fer, vêtue de glaise, trempée de sueur autant que d’eau ». » En un paragraphe, il résume toute la bataille de Verdun, page 35 :

« Verdun est terrible, pas plus que ne fut Arras ou l’Yser en 1914, il est terrible en ce qu’on y est obligé de soutenir une guerre de rase campagne contre des moyens de forteresse ; il est terrible parce que l’homme s’y bat contre du matériel en ayant la sensation de taper dans le vide ; il est terrible encore plus parce qu’il est impossible d’y manger, d’y avoir chaud et surtout d’y dormir. »

Après 20 jours de repos, l’unité fait un second passage à Verdun, en juillet 1916 dans le secteur de la Cote 304.

Les thématiques abordées sont différentes : son avis très dur sur un suicidé, sa grande fierté pour son régiment, la gestion difficile des hommes (il veut faire casser un sous-officier). Il mentionne aussi les combats, d’abord les « cartons » qu’ils font puis sa participation à une attaque de nuit pour prendre trois avant-postes et quelques mètres de boyaux. D’abord très évasif à chaud, ce n’est que plus tard qu’il détaille son action. Certaines formules restent simples et efficaces, voire avec des figures de style (ici, un oxymore) : « La pluie déterre les cadavres. Tout est sinistre, un calme effroyable », page 49.

Page 52, il décrit : « Peu dormi. Réveillé par les mouches. Ces horreurs sont belles. Être délivré de cette odeur fade qui étouffe ». Il évoque le courage des soldats mais décrit aussi des faits moins glorieux : un camarade rétablissant l’ordre à coup de crosse à un moment critique ou un autre « fonçant de l’avant » et tué. La perte des camarades n’est pas simplement écrite sous la forme d’une note. C’est une pensée pour une épouse et des enfants qui ne savent pas encore.

Il évoque les tirs allemands trop courts, des travaux allemands qui n’arrivent pas à être interrompus. Le 21 juillet, le régiment est relevé et prend la direction du Bois Saint-Pierre pour partir au repos. « On couchera ce soir dans la paille » note-t-il page 57, ce qui est un luxe après des semaines dans les tranchées.

Pas un mot sur son troisième séjour à Verdun en août 1916. Il fut grièvement blessé à cette occasion dans le secteur de Fleury-devant-Douaumont. La seconde partie de l’ouvrage s’ouvre sur des réflexions sur les combats qui viennent de se dérouler. On est maintenant en juin 1918, mais il compare ce qu’il vient de vivre à Verdun « un art sanglant qui ne ressemblait en rien au charnier, à la pourriture de Verdun », page 66. Il s’agit en fait d’une introduction à la narration de la période du 25 mai au 3 juin 1918.

Pendant plusieurs jours, les hommes ne savent rien. Puis il y a les bruits avant de voir. Quand les ordres deviennent clairs, « l’anxiété disparaît, mais les cœurs se serrent » (page 68). Le régiment vient renforcer les Anglais en recul. La tension augmente après un calme trompeur. « Adieu les tranchées, elles sont loin maintenant, c’est la rase campagne sans artillerie, à un contre cinq » (page 75).

Il continue les métaphores et les images page 75 : « L’herbe ne pousse plus où le Turc a posé le pied, mais elle flambe là où le Boche va poser le sien. Progrès et Kultur ».

Les jours de combat s’enchaînent. On y découvre une guerre méconnue, celle des combats de replis lors des offensives allemandes. Là, clairement, l’objectif est de ralentir les Allemands, de leur faire payer chèrement la prise de chaque village, le passage de chaque cours d’eau. Il a à sa disposition deux mitrailleuses territoriales. Même si le premier réflexe est de creuser des trous individuels pour se protéger, on est loin des combats de tranchée.

Les effectifs fondent, les connaissances tombent, l’eau et les munitions manquent. Il écrit page 88 qu’il tue un officier allemand lors d’une attaque massive, puis c’est un combat en tout petit groupe. Il tue encore. L’ennemi est visible, proche. Des groupes s’infiltrent, les compagnies disparaissent. La nuit tombe, les Allemands n’avancent plus, les Français partent pour être relevés. L’auteur note quelques mots durs contre les civils peu accueillants et qui se sont enfuis. Le chapitre s’achève sur le bilan de ces quatre jours.

Plusieurs chapitres thématiques de la page 107 à la page 136 achèvent la lecture. Il s’agit des textes des citations pour les soldats du régiment. On retrouve le nom des hommes qu’il a mentionné dans ses écrits. Le choix est clairement fait de mettre en valeur l’héroïsme voire le sacrifice de ces hommes. S’en détache l’image d’une unité d’élite. Il termine par ses observations sur les jeunes trop émotifs et qui tombent plus que les plus âgés, sur une analyse de la bataille et sur les leçons pour le combat d’infanterie.

  • En guise de conclusion

S’il donne à voir des combats dans des circonstances particulières dans une unité particulière à travers les yeux d’un homme ayant sa vision des choses, ce livre a justement le mérite d’ajouter cet aspect du conflit aux yeux du lecteur. Il fait découvrir, au cœur de l’action, deux combats. Si l’auteur est très descriptif, il nous immerge dans ses actions. S’il ne parle pas de ses émotions, on les devine parfois dans certaines formulations, ou dans certains détails donnés. Le tout dans un style particulier entre notes brèves et envolées métaphoriques : ce livre est à découvrir et est disponible librement dans Gallica.

L’ouvrage est librement consultable sur le site de la BNF :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65626297

Portrait de César Méléra tiré de l’ouvrage.
  • Pour en savoir plus sur l’auteur :

Archives départementales de l’Aisne :

1R2_0183 : fiche matricule de Méléra César, classe 1904, matricule 176 au bureau de recrutement de Laon.
https://archives.aisne.fr/ark:/63271/vta56dfafa923166919/daogrp/0/1


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