Aller au contenu

Les vieux de la vieille, 1960

Ce film de Gilles Grangier est sorti en 1960. C’est une farce – et c’est affirmé dès le générique – mettant en scène trois amis d’un même village de Vendée vivant dans le souvenir de leur jeunesse. Mais la société a évolué très vite et ils ne trouvent plus la place qui était la leur. Plutôt que de tout raconter, le synopsis disponible sur Wikipédia le fait très bien, je propose de mettre en avant la place de la Première Guerre mondiale dans ce film.

Car ce classique du cinéma, servi par un parterre de grands acteurs, met bien la Première Guerre mondiale en avant. Elle est présente par les allusions perpétuelles à cette période chez les trois héros, sur la place qu’elle tient chez eux.

  • Trois anciens combattants

Au cours du film, les personnages nous apprennent au fil d’une phrase ou d’un dialogue quelques éléments sur « leur » guerre. 45 ans plus tard, ils en ont gardé chacun au moins un élément, bien visible lors de leur marche vers l’hospice de la Gouyette :


Jean Gabin
Jean-Marie PEJAT

Classe 1915
quartier maître fusilier

A fait les Dardanelles

Objet rappelant la guerre :
deux musettes


Noël-Noël
Blaise POULOSSIERE

Classe 1915 – 65 ans
2e classe au 43e de ligne

A fait Verdun

Objet rappelant la guerre :
un bidon du modèle 1877 « Souvenir de la guerre 14-18 » dixit son propriétaire.
Pierre FresnayBaptiste TALON

Classe 1917

Maréchal des logis, artilleur

A fait la Somme

Objets rappelant la guerre :
– un sac à dos ressemblant à un havresac de circonstance distribué aux recrues pendant la guerre ;
– des bandes molletières.

Le film suit la vie de ces trois hommes pendant quelques jours. Ils ont un sacré caractère et sont des vétérans de la Première Guerre mondiale. C’est l’association de ces deux caractéristiques qui donne tout son sens au titre du film. L’expression est une allusion à la vieille garde de Napoléon. Les trois hommes ne manquent pas de s’affirmer comme un dernier rempart, s’en prenant à tous les signes de modernité (automobiles, football, musique, télévision, jeunes diplômés…) et grognent fréquemment. Quel rapport tout cela a-t-il concrètement avec 14-18 à part le fait qu’ils aient été des combattants pendant ce conflit ? Le déroulé du film ci-dessous le montre bien : les allusions au conflit sont fréquentes.

La lecture des dialogues montre la vision qu’ils ont de leur conflit :

1 – Poulossière et Péjat retrouvent leur ami qui vient d’arriver par le car. Leur complicité reprend sur cet échange qui met en avant leur passé de conscrit :

Talon – Maréchal des logis Talon !

Péjat – Quartier-maître fusilier Jean-Marie Péjat !

Poulossière – 2ème classe, Poulossière, 43ème de ligne !

En chœur –  Debout les morts, y passeront pas, tirons-nous de là, cré nom de d’là !

On notera l’allusion aux paroles devenues légendaires « Debout les morts » prononcées par Péricard.

2 – Un peu plus tard, Talon se moque de ses camarades qui continuent de faire la fête des escargots.

Péjat – Les fêtes aux escargots, j’en n’ai raté qu’cinq dans ma vie : les années 14, 15, 16, 17, 18, quand c’était qu’c’est qu’j’étais aux Dardanelles et pis qu’aux Dardanelles y’avait point d’escargots. J’suis allé plus loin qu’Verdun et la Somme, moi. J’ai point fait une guerre d’feignant !

Poulossière – Quoi ?

Talon – Qui qu’a fait une guerre d’feignant ?

Poulossière – T’oserais insulter ceux qui ont péri sous les obus, pendant qu’d’autres faisaient danser les moukères ? Fille d’garce !

Péjat – Cré vin dieu ! Vous n’allez tout de même point comparer vos bains de boue à mes turqueries ?

Comme le montre cet échange, la guerre se réduit à un champ de bataille pour chacun, cette participation à une bataille étant le prétexte pour critiquer les autres.

3 – Le soir de la fête des escargots, se disputant, le groupe ennuie les clients du café qui finissent pas leur dire leur point de vue. Ce à quoi Péjart rétorque :

Péjat – Cré bon dieu d’veau, si on avait su qu’on nous causerait comme ça, on aurait fait exprès de la perdre…

Le client – De perdre quoi ?

Péjat – La guerre d’14 !

Ainsi, ils l’ont gagné à eux trois !

4 – La dialogue suivant fait référence à ce que l’on appellerait aujourd’hui une « légende urbaine », celle des assassinats de gendarmes à Verdun par les combattants.

Talon – Si tu avais fait la guerre, là où çà bardait au lieu de faire danser les moukères, tu saurais comment on s’en débarrassait, de ceux-là, à Verdun…

Péjat – Oui, mais, ceux-là étaient des gendarmes à pied, il y a l’homme et le cycliste, qu’il soit gendarme ou curé, un homme à vélo, c’est un homme à vélo.

5 – A cause d’un raccourci de Péjart grâce auquel ils sont perdus, Talon se couche.

Talon – Moi j’ai compris : pas de cris, pas de larmes, un artilleur ne se plaint jamais. Bah puisqu’y’a plus qu’à s’coucher et attendre la mort, j’me couche et j’attends ! Voilà !

(…)

6 – Poulossière se couche à côté de Talon et commence à chantonner. Péjat explique que Poulossière est un « péteux ». Ce à quoi il répond :

Poulossière – Un péteux qu’a quand même été au 42ème de ligne !

Péjat – Oh ben c’est pas étonnant qu’les Prussiens aient pris le fort de Vaux !

Poulossière – Le fort de Vaux et moi, on t’emmerde !

7 – Dernier dialogue évoquant 14-18, celui où Péjat, vexé que son raccourci ait conduit à se perdre, critique le ballast d’une voie ferrée sur lequel les trois camarades marchent.

Péjat – On paie des impôts et bien pi on a l’droit de rien dire, faut subir ! J’ai connu ça en Turquie mais sous Abdel Hamid. Seulement moi, les Abdel Hamid et les Baptiste Talon, j’ai plutôt envie de leur coller au cul un pétard d’14 juillet comme à Louis XVI. Vive 89 !

Poulossière – D’habitude, y s’arrête toujours à la guerre de 14-18. L’est pourtant pas saoul…

La guerre, pour ces hommes, c’est aussi aller voir la tombe d’un camarade peut-être mort au combat, mais l’image n’est pas assez nette pour l’affirmer. On voit une plaque émaillée qui était souvent placée sur les tombes pour se souvenir de ces hommes. Le problème étant que ces plaques pouvaient être aussi utilisées comme plaque toute simple. Dans le cimetière, il est aussi fait allusion au monument aux morts. Il est mentionné car c’est un point de repère dans le cimetière comme la guerre reste un point de repère pour les trois hommes.

  • Le conflit, un ciment pour ces hommes

L’importance du conflit n’est pas visible que dans les objets et dans les dialogues. Elle passe aussi par un sentiment d’appartenance à un groupe particulier. Malgré les querelles, leur statut d’ancien combattant de 14 leur fait faire front commun en cas de mise en difficulté de l’un d’entre eux. On peut aussi y voir une marque de leur amitié, mais leur argumentation passe alors aussi par 14-18 (lors de la fête aux escargots par exemple).

Le pinard est un autre ciment. On peut se demander si, indirectement, ce n’est pas aussi une allusion à la consommation d’alcool au cours du conflit. Il aida à tenir et resta une habitude bien après le conflit chez certains. Est-ce le cas ici ?

  • L’oubli des autres générations

Paradoxalement, mais aussi probablement de manière volontaire pour mieux marquer le trait de la caricature, les autres hommes de leur génération ne parlent jamais de la guerre. Pas une allusion. On peut se demander dans quelle mesure ce « baroud d’honneur » d’une génération qui disparaît n’est pas un résumé de ce que fut la vie pour de nombreux anciens combattants.. D’un côté, les tenants d’un passé glorieux, victorieux, qui en parlaient à tort et à travers au point d’entraîner l’exaspération des proches ; et les « taiseux » qui en gardaient le souvenir sans en parler. Finalement, tout comme il y a eu 8 millions de parcours individuels, il y a eu environ 6,7 millions de destins d’anciens combattants. Ces oppositions sont d’ailleurs mises en évidence par Grancher dans son ouvrage dès les années 1930 même s’il se passe dans le milieu urbain.

La jeune génération est au diapason : aucune allusion sur leur vision du conflit. Ces jeunes sont présentés comme aimant les loisirs, la fête et le sport.

  • Des anciens combattants dans la distribution

Un film tourné dans les années 60 avec des personnes d’un certain âge, on peut imaginer que certains aient été des combattants de  la Première Guerre mondiale. Et bien, c’est le cas.

En se penchant sur la biographie des trois acteurs principaux, on constate que Jean Gabin, né en 1904, était trop jeune pour avoir été mobilisé, mais que ses deux partenaires sont nés en 1897 ! Si Jean Gabin, à 56 ans, joue le rôle d’un homme de 65, Noël-Noël et Jean Fresnay ont l’âge d’avoir été combattants en 14-18, ce que confirment leurs biographies. De la classe 1917, les deux hommes ont été mobilisés en 1916. Cependant, je n’ai pas trouvé le détail de leurs affectations.

  • En guise de conclusion

Un film savoureux où la gouaille des acteurs et les répliques ciselées de Michel Audiard font merveille. Un film qui n’est pas à proprement parlé sur la Première Guerre mondiale, mais qui parle d’hommes qui ont fait ce conflit.

Il peut paraître étonnant de développer ainsi le rapport à cette guerre visible dans ce qui est assumé comme étant une farce. Mais ce film montre malgré tout, en étant caricatural j’en conviens, le rapport que pouvaient entretenir certains anciens combattants avec la guerre de 14. Ces hommes, on les moquait gentiment dans un livre et dans ce film.

De plus, il nous montre une époque et une vision des anciens combattants que la vénération médiatique des derniers anciens combattants a fait perdre un peu de vue. Ce film nous rappelle que quelque fut marquant ce conflit pour ces hommes, il y eu tout un vécu avant et après pour ceux qui en revinrent et que la vie de ces hommes ne pouvait pas se limiter à ces années.

Ce film me fait aussi penser à un reportage de la rubrique de Pierre Bonte dans le Petit rapporteur. Il y interviewait une paysanne et son mari. Et ce dernier de partir dans la narration de sa guerre, et sa femme de le couper en disant :

« Tout le temps i’m’casse la tête avec ça !

Sitôt qui voit du monde, allez le r’voilà avec sa guerre de 14 !

Oh ! I’m’casse les pieds quand i cause de ça !

  • Voir le film

Outre des diffusions régulières sur la TNT, on peut facilement se procurer le film en VOD ou en achetant le DVD commercialisé en 2009.

  • Sitographie

Sur l’expression « vieux de la vieille », le site Expressio.

La fiche du film sur Wikipédia.

Pour retrouver une grande partie des dialogues de Michel Audiard, un blog.


Revenir aux autres films & documentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *