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L’expérience de la guerre dans l’autobiographie de Genevoix

Maurice Genevoix, Trente mille jours, Paris, éditions du Seuil, 1980.

Trente mille jours n’est pas à proprement parler un livre sur la Première Guerre mondiale. Il s’agit pour Maurice Genevoix, de se retourner et de voir quels furent les éléments marquants de sa vie. Pourquoi évoquer une fois de plus cet auteur si son thème n’est pas centré sur le conflit ? Tout simplement parce que le chapitre sur son année de caserne puis celui sur son expérience de combattant représentent 53 pages sur les 278 de l’ouvrage, soit 20 % du total, sans compter les allusions à son œuvre tirée de cette expérience, « Ceux de 14 ».

Ainsi, cette période a une place bien plus importante dans la vie de Genevoix que sa durée réelle. Ce n’est pas un choix éditorial ni marketing de la part de l’auteur, c’est simplement la marque de l’empreinte indélébile que fut cette guerre pour lui. C’est le regard d’un homme, 60 ans plus tard, marqué à jamais, qui souhaite transmettre ses souvenirs.

  • La vie à la caserne

Le premier chapitre ayant un thème lié à l’armée avant-guerre est le deuxième qui évoque son année de caserne à Bordeaux. On y voit très bien la place qu’avait cette étape importante dans la vie des hommes de cette époque, expérience individuelle d’un devoir collectif. Genevoix explique pourquoi elle ne fut en rien traumatisante pour lui, comment il réussit à trouver sa place, à s’accommoder des règles militaires. Il a lu Courteline et d’autres auteurs et narre quelques anecdotes où l’on retrouve la précision de ses mots, des situations. Certaines sont savoureuses. Mais la suite sera nettement moins légère. En effet, il retournera ensuite à ses études, mais c’était quelques mois avant la mobilisation.

  • Un homme marqué par la guerre 

Ce titre est une lapalissade, mais Genevoix l’a exprimé bien plus clairement que la majorité de ses contemporains.

Genevoix a été mutilé par la guerre, manquant d’y être tué mais en gardant des séquelles au bras gauche. Son texte montre à quel point la blessure fut aussi psychique.

Ce qui est impressionnant quand on lit cet auteur, c’est que les pages sur son expérience de la guerre sont d’une intensité rare, d’une précision extraordinaire. On sent que, lorsqu’il écrit, Genevoix y retourne. C’est la preuve d’un homme marqué à tout point de vue à vie, par cette blessure et ses souvenirs.

Au centre de ces pages, la mort, les morts, sa blessure, ses impressions comme celle sur le moment où il a ressenti « la puissance meurtrière du feu » (page 130) ou la blessure d’un « Que ça ? » prononcé par son capitaine en parlant des pertes de sa section.

60 ans plus tard, « Ma mémoire après tant d’années, reconnaît encore chacun d’eux et les nomme, Maignan, Butrel, Sicot, et Brun, et Porchon, et Marchal, tués aux Eparges, en février, en mars, en avril ; et les voit (…) » (pages 146-147). Il a aussi gardé intactes des sensations comme il l’explique page 132 : « Ce souvenir, cette sensation-là, ce vide persistant et glacé, tout proche, là où il y avait un homme, je ne m’en suis jamais délivré ».

  • Témoigner

Genevoix fait un travail qu’il n’avait pas réalisé dans « Ceux de 14 » : il l’écrit page 137 « … soucieux avant tout, comme toujours, de relater d’abord, de revivre, de donner ainsi à ressentir, et peut-être à comprendre, je ne pense pas avoir jamais cédé, dans mes livres sur la guerre, à l’attrait des « idées générales » ». Ainsi, dans Trente mille jours, il cherche à retrouver les grandes lignes. Se succèdent des passages descriptifs suivis de plongeons de Genevoix dans son passé. Les moments descriptifs sont des généralités, des présentations du thème abordé, alors que les souvenirs sont des dialogues, des impressions, des anecdotes.

Le lecteur de « La mort de près » y retrouvera des pages très proches de certains passages de Trente mille jours. On retrouve l’analyse sur le temps bref de certains événements mais qui sont si longs à décrire en mots. Le questionnement sur le souvenir reste central. Il est un survivant, ce qui implique que « vivre lorsqu’on a survécu, c’est constamment survivre en effet, ne pas seulement « cueillir le jour » qui passe, mais l’accueillir comme une révélation… ».

Un livre à lire en complément de « La mort de près », pour mieux comprendre « Ceux de 14 » et les conséquences, des décennies plus tard, pour les survivants de ce conflit.


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