GENEVOIX Maurice, La mort de près, Paris, Editions de la Table ronde, 2011 (1972).
Introduit par une excellente préface de Michel Bernard qui analyse très finement le texte tout en le replaçant dans le parcours de l’auteur, ce petit ouvrage se lit vite. Il est très court mais incroyablement riche pour tout curieux sur cette période. Il est court mais d’un style clair et d’une grande profondeur bien qu’abordant un thème difficile : la mort.
Ce livre ne résume pas le monument de Genevoix qu’est « Ceux de 14 ». Ce n’est pas non plus un « best of » des meilleurs morceaux. Certes, Genevoix revient sur des faits dont il a parlé dans ses récits de guerre, mais il les aborde différemment. Il le fait pour réfléchir et nous faire réfléchir. Il revient sur cette expérience qui a mis sa vie en balance avec la mort à trois reprises : en septembre 1914 dans le bois de Loclon, en février 1915 dans un entonnoir de mine aux Eparges, en avril 1915 dans un combat près du carrefour de Calonne. Il évoque également ces moments où la vue de la mort chez les autres l’a marqué. Mais il ne le fait pas seulement par une narration d’une grande richesse de ces moments. Il nous montre aussi sa réflexion sur la question (cette réflexion est d’ailleurs centrale dans l’ouvrage) et l’évolution de sa propre vision de la mort, modifiée à la fois par l’expérience de la mort « vue », mais aussi par celle de la mort « vécue ». Tout cela avec la conscience d’avoir cette chance de pouvoir écrire cette expérience particulière dans ce contexte particulier que fut la guerre et donc de transmettre son ressenti.
A-t-il voulu faire un récit universel pour autant ? Un récit qui permettrait de mieux comprendre comment ces hommes ont pu vivre malgré le risque de la mort, probablement. Un texte résumant tous les états d’esprit, non évidemment.
Ainsi, il narre, prend du recul sur ses propres souvenirs et réfléchit, ce qui nous montre différents aspects qui seraient très difficiles à imaginer pour nous lecteurs un siècle plus tard.
La narration en elle-même est différente de « Ceux de 14 ». Elle est toujours précise mais s’attache aussi à retrouver le ressenti qu’il eut au moment des faits et comprendre. Cette partie est d’autant plus intéressante quand il évoque sa propre vision des blessés, ce qu’il imaginait et qu’il y repense une fois qu’il est lui-même dans la civière et qu’il croise les regards. Il nous fait comprendre alors que lui-même quand il regardait ces hommes ne les comprenait pas. Et donc que pour comprendre, il faut avoir vécu cette expérience.
La réflexion est présente tout au long de l’ouvrage, à la fois sur l’évolution de sa vision de la mort et dans le fait qu’il n’oublie pas qu’il écrit avec plus de 50 ans de distance sur ce qu’il a vécu. Il s’agit d’un travail rétrospectif, de reconstruction, avec toutes les limites que cela peut avoir.
Il nous permet aussi de percevoir l’évolution de la vision du jeune homme qu’il était, homme qui finit par s’abandonner, par accepter son destin. Et de faire apparaître cette approche de la mort que l’on retrouve dans de nombreux ouvrages : « Tant qu’elle frappait à nos côtés, nous nous méprenions sur elle : elle nous était comme un spectacle dramatique et bouleversant, auquel nous réagissions âprement, de toutes les forces de notre corps vivant. Il n’eût pu en être autrement. Nous nous imaginions à la place de l’homme abattu comme si cela nous eût été possible. C’est impossible, nous ne pouvions qu’imaginer ».
Et puis la force de ce petit livre est l’humanité qui s’en dégage. Caractéristique de « Ceux de 14 », on la retrouve sans arrêt, à travers les noms et la description faite, mais aussi parce que Genevoix nous entraîne vers ces hommes.
La livre s’achève avec d’autres pensées de Maurice Genevoix. Il écrit : « Ce soir, je songe à trois d’entre eux que nous avons vus « passer » ». « Ce soir », c’est le moment où il rédige ces mots et qui nous montre à quel point tout cela est ancré en lui de manière inaltérable. Il évoque les cauchemars à l’hôpital dans le livre ; ce livre nous montre que 50 ans après, il reste définitivement marqué même s’il ne souhaitait pas être vu simplement comme ce combattant de 14 dans sa vie quotidienne. Et on perçoit une fois encore que tout ce que l’on vient de lire à la force incroyable d’être une expérience vécue, non un roman. Ce qui est encore confirmé par les lignes qui terminent cet ouvrage, où il parle de ces trois hommes, et qui sont d’une émotion intense.
« Ce soir », c’est aussi le soir de sa vie, cette distance qui lui permet de reparler de tout cela, et d’aborder sans crainte la prochaine rencontre avec la mort.
- En guise de conclusion
Genevoix nous met face à ses expériences de la mort vécue et observée, mais avec la fluidité de l’écriture qu’on lui connaît et une humanité intacte. Une lecture complémentaire de l’incontournable « Ceux de 14 », mais un ouvrage qui peut être lu de manière indépendante également.
Une lecture rapide mais qui donne l’impression rare, une fois achevée, que l’on comprend mieux ce que vécurent ces hommes, bien que cela nous reste, et Genevoix nous le démontre fort bien, définitivement indicible.
- A découvrir :
Le documentaire réalisé autour de cet ouvrage : https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/48459_0