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20 – 29e BCP, 1918, dépôt de Mamers

Cette recherche s’annonce une fois encore compliquée : pas de lieu, pas de date, pas de texte, mais une belle photographie de groupe tout de même. L’objectif ne va pas être de découvrir tout ce qu’elle ne dit pas, mais juste d’observer ce qu’elle nous montre et de voir jusqu’où cela peut nous mener.

  • Au 29e bataillon de chasseurs à pied

Autour de deux officiers, d’un sous-officier et d’un vétéran, 17 jeunes conscrits ont pris place. Les hommes sont neufs, les tenues et le casques sont neufs.

Même sans loupe, le numéro de l’unité est parfaitement visible : il s’agit du 29e bataillon de chasseurs à pied. Le vert des chiffres ressort particulièrement bien sur ces uniformes neufs. Oublié le « jonquille » d’avant-guerre. Le cor de chasse est visible sur le col, sur les casques des soldats et les képis des officiers.

  • Dater cette photographie ?

C’est bien là le cœur du problème : il n’y a pas de date. On l’a déjà vu, cela peut poser de grosses difficultés d’interprétation. Comme lors d’une précédente recherche, ce sont certains détails qui vont permettre de proposer une date avec un peu d’assurance.

La première question que je me suis posée est de savoir si le cliché a bien été pris pendant le conflit. Les hommes posent avec une tenue impeccable. L’un d’entre-eux porte même une fourragère. Ils sont deux vétérans l’un à côté de l’autre, mais le second n’en porte pas.

Le 29e BCP a obtenu la fourragère le 29 novembre 1918 : si le cliché avait été pris après, il ne fait pas de doutes que les deux hommes au moins l’auraient arborés. Ce n’est pas le cas, c’est donc que le soldat a obtenu cettd distinction à titre individuel. On est donc avant novembre 1918.

Les plus observateurs auront déjà remarqué ce qui pourrait être vu comme un problème mais qui n’en est pas un : le sergent appartient au 69e BCP, alors que tous les autres hommes sont du 29e BCP. Le 69e BCP est le régiment de réserve du 29e BCP et le dépôt est commun. Quelle utilité d’en parler ici sans l’avoir mentionné avant ? Le 69e BCP a obtenu la Médaille militaire le 20 avril 1918. Ses hommes devaient donc pouvoir arborer une fourragère. Or là, il n’en est rien. Difficile d’en faire une preuve pour une datation avant le 20 avril 1918 : les hommes ne portaient pas systématiquement cette fourragère pour les photographies. Il faut donc prendre cette information comme un indice qui nécessite d’être étayé et non comme une preuve absolue.

Un autre détail permet d’affiner la datation : les chevrons de présence au front portés sur le bras gauche par quatre hommes. L’expression « vieux briscards » sied à merveille à certains de ces hommes. Le sergent porte 6 chevrons (aussi appelés « brisques »), le soldat à gauche 4 comme le lieutenant et le capitaine en a 3. À raison d’un an pour le premier et six mois pour chaque chevron supplémentaire, cela représente respectivement 3 ans et demi au front, 2 ans et demi et deux ans.

C’est une indication très importante : les 6 chevrons du sergent nous apprennent que la photographie ne doit pas avoir été prise avant le début de l’année 1918.

Cette estimation ne tient pas compte du temps écoulé depuis qu’il a quitté le front. Si c’est pour blessure ou maladie, il a pu rester plusieurs mois dans un hôpital ou en convalescence. C’est encore un élément de leur uniforme qui va nous aider à y voir un peu plus clair : les chevrons de blessure portés sur la manche droite cette fois-ci.

S’il n’a effectivement jamais été blessé et s’il a été mobilisé dès août 1914 (ce qu’on ne peut assurer, n’ayant pas son identité pour trouver sa fiche matricule), cela nous donne un précieux indice que l’on peut corroborer avec un dernier élément : les 17 recrues.

Le contraste est flagrant entre les quatre anciens et les 17 jeunes soldats : les quatre ont la moustache, moins d’une dizaine pour les plus jeunes et ce ne sont le plus souvent que des moustaches naissantes. Cette jeunesse nettement visible est un indice : il s’agit des recrues d’une classe appelée au cours du conflit, des hommes âgés de 18 à 19 ans. En tenant compte du fait que la photographie ne peut avoir été prise avant 1918, il ne peut s’agir de la classe 1918 qui a été appelée sous les drapeaux en avril 1917. Il ne peut s’agir que d’hommes de la classe ou engagés volontaires suivant le sort de la classe 1919. Elle est appelée sous les drapeaux en avril 1918 (à partir du 15 environ). Une partie de la classe 1920 fut appelée en 1919, mais on revient à la question de la fourragère : les quatre anciens l’auraient probablement porté.

Cela donnerait donc une photographie prise entre avril et novembre 1918. L’équipement complet pourrait être celui fournit avant le départ vers la zone des armées ? Un dernier cliché de ces recrues avec les hommes qui les ont encadrés et formés.

  • Localiser la prise de vue ?

Avant de chercher à localiser, il convient de déterminer à quelle occasion ce cliché a pu être pris. Rien ne permettant de le dire, c’est une fois encore la jeunesse des recrues qui peut nous pousser à une hypothèse. En 1918, les jeunes recrues passent par plusieurs étapes avant d’arriver au front à proprement parlé : le dépôt, un 9e bataillon, le Centre d’Instruction Divisionnaire. Toutefois, la présence d’un bâtiment à l’arrière plan suggère qu’il s’agit plutôt du dépôt ici, tout comme la présence de formateurs du 29e et du 69e BCP.

Pendant la durée du conflit, le dépôt commun du 29e et 69e BCP fut transféré à Mamers, dans la Sarthe. Il n’est pas impossible que cette photographie ait été prise dans la caserne le Gaulois de Mamers, les fenêtres ayant le même aspect. Mais rien ne dit que le bataillon était dans cette caserne, et surtout les cartes postales observées ne permettent pas un rapprochement définitif avec les éléments architecturaux que l’on entrevoit seulement ici. La question reste en suspend.

  • Peut-on en découvrir plus ?

La réponse est sans ambiguïté : oui. En effet, les détails visibles sont assez nombreux pour avoir l’espoir d’identifier le capitaine et le lieutenant. Cependant, la tâche s’avère ardue en raison des inconnues sur le parcours des quatre vétérans. Le JMO du 29e BCP note les nominations, les décorations. Mais il y a tellement ! Il faudrait de très longues heures pour essayer de faire un rapprochement, sans être certain qu’il s’agisse des bonnes personnes dans la mesure ou rien ne dit non plus, en particulier pour ceux qui ont été blessés, qu’ils étaient affectés au 29e BCP avant d’arriver là. Par contre, avec une liste de l’encadrement du dépôt, les choses seraient sensiblement facilitées.

  • Des progrès visibles dans l’équipement

Les différentes photographies étudiées montrant des jeunes recrues ont toujours mis en évidence un équipement fait de ce qui était disponible, entraînant une grande variété dans tout ce qui le composait.

Évidemment, si cette photographie a été prise avec l’uniforme et l’équipement fourni pour le départ au front, il est difficile de faire une comparaison et de conclure qu’en 1918, les dépôts ont reçu un équipement plus homogène.

Je vais donc simplement aborder deux éléments de l’équipement, bien que de nombreux autres soient observables comme on peut le constater sur ce gros plan : casque adrian, couverture sur le havresac, chaussures de rechange, bretelles de suspension fauve, ceinturons modèle 1914…

Premier élément qui a attiré mon attention : le fusil. Il s’agit du Berthier 8mm modèle 07-15 du 2e type, facilement identifiable à la fente dans le bois. Il ne faut pas se laisser abuser par la perspective qui pourrait laisser l’impression que le levier a une taille différente. Ce n’est pas un levier courbe caractéristique du 1er type.

Les cartouchières sont vides. Elles sont du même modèle (1905/14 ou 1916, je suis incapable de les distinguer) : on loin une fois encore de la disparité déjà observée sur d’autres images. On remarque tout de même qu’elles appartiennent à des lots différents comme le montre le mode de fixation de la patte de fermeture. Dans certains cas, c’est une couture, dans d’autres un ou deux rivets.

  • Des visages

Qu’est donc en train d’observer ce jeune soldat, le regard détourné de l’appareil du photographe ? Son attention a-t-elle été attirée par des camarades en train d’observer la scène ou attendant leur tour ?

Comment interpréter le regard de cet homme ? La tête légèrement baissée, la bouche figée, le regard qui va vers le haut donnent une impression de tristesse, un visage craintif. Est-ce le cas ? Est-ce sa manière habituelle de poser ? Là est toute la difficulté de l’interprétation des attitudes visibles sur une photographie. La photographie est posée, l’attitude souvent choisie. Difficile d’avoir des certitudes.

Je termine par ce qui m’a le plus frappé quand j’ai vu pour la première fois cette image. Un regard encore, une position du corps totalement différents de tout ce qui est proposé par les autres hommes. Les sourires sont plutôt crispés, le regard reste le plus souvent droit. Pas de fanfaronnade, beaucoup de sérieux, d’attention sur les visages… et puis il y a le sergent, une fois encore.

Le corps est tourné, le regard est fixe, le regard figé mais pas dans la direction du photographe comme on l’attendrait ou comme le font les autres hommes. Pourquoi s’est-il mis ainsi ? Les quatre vétérans sont tous légèrement tournés, montrant ostensiblement leurs chevrons, mais là, on a en plus ce regard dans le vague.

  • En guise de conclusion

Les informations sur l’encadrement du dépôt au cours de l’année 1918 aideraient à déterminer qui sont les deux officiers et à savoir s’il s’agit bien d’une photographie prise au cours de l’année 1918 à Mamers au cours de l’instruction des recrues de la classe 1919. Car si le faisceau de présomptions amène à cette hypothèse, on constate encore une fois qu’il repose essentiellement sur des preuves indirectes, des interprétations qu’il est bien difficile de confirmer. La seule certitude est que ces bleus, quelle que soit leur classe, furent encadrés par des vétérans et qu’en l’absence de contexte, difficile de chercher à interpréter les expressions des visages encore moins d’en faire un document symbolique du traumatisme des vétérans ou des craintes des futurs combattants.


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