Le jeune homme qui se fait recenser au mois de décembre de l’année de ses 20 ans n’est pas majeur. Certains cherchent à s’émanciper, parfois de manière brusque en prenant de la distance avec leur famille. La préparation de la liste cantonale du conseil de révision est l’occasion de découvrir le cas de Louis René Combes qui a quitté le Tarn pour Paris, au grand dam de ses parents.
- Demande pour être examiné dans une autre commune
Louis René Combes est né le 19 février 1892. Il a passé toute sa vie à Réalmont dans le Tarn. Il a obtenu le brevet de l’enseignement primaire. Il est recensé en décembre 1912 et fait une demande afin de passer devant un conseil de révision dans le département de la Seine où il réside désormais. Le courrier suivant nous informe de sa démarche et de la réaction de son père par l’intermédiaire de cette lettre du maire au préfet.
| Réalmont, le 16 janvier 1913 Monsieur le Préfet du Tarn à Albi Au sujet de la demande d’être visité à Paris du conscrit Louis René Combes, surnuméraire des Postes à Paris. J’ai l’honneur d’informer Monsieur le Préfet que le père de ce jeune homme s’oppose formellement à ce que son fils passe le Conseil de révision à Paris & cela pour des raisons particulières. Il croit pouvoir gouverner son fils jusqu’à la majorité & vous prie en conséquence de considérer sa demande comme non avenue. Le Maire Félix Gisclard |
Bien que professionnellement actif, ce fils n’a pas 21 ans, reste mineur et son père sous-entend cet argument pour appuyer sa demande. Une copie de la réponse du bureau de recrutement nous informe que le courrier du préfet a été reçu par l’administration militaire le 21 janvier. La réponse est assez sèche car le bureau de recrutement attend la liste définitive pour préparer la liste cantonale de la classe 1912.
| Recrutement Classe de 1912 Conseil de Révision 21/1 22 Janvier 1913 M. le Maire de Réalmont Vous m’avez retourné, en me priant de la considérer comme non avenue, la demande ci-jointe formée par M. Combes Louis René, de votre commune, à l’effet d’être autorisé à se faire examiner par le Conseil de Révision de la Seine. J’ai l’honneur de vous faire connaître que cette demande ayant été formulée conformément aux instructions ministérielles, j’estime qu’il y a lieu de donner satisfaction à l’intéressé. Je vous prie, en conséquence, de vouloir bien remplir & signer l’extrait de liste ci-jointe, que vous aurez soin de me retourner d’urgence. |
Le bureau de recrutement ne voit dans la demande du père une motivation suffisante pour ne pas donner raison au fils. La réaction du père fut rapide : en plus de réitérer sa demande à ce que son fils soit examiné par le conseil de révision à Réalmont, il explique sa démarche.
| Réalmont, le 24 janvier 1913 Monsieur le Préfet M. le Maire me fait appeler pour communiquer votre 2e lettre du 22 janvier courant, lui demandant les renseignements nécessaires pour que mon fils puisse être visité à Paris. J’ai l’honneur d’informer Monsieur le Préfet que ma femme et moi tiendrions beaucoup que notre fils vienne passer le conseil de révision à Réalmont pour s’expliquer avec nous de vive voix sur son brusque départ de Réalmont le 24 Novembre dernier à la suite d’un congé de maladie de 1 mois. Je suppose que mon fils fréquente peut être quelque femme & qu’il demande à passer le conseil de révision à Paris dans l’espoir d’être versé dans un régiment de la Capitale ou de ses environs, pour pouvoir continuer ses fréquentations, que nous voudrions interrompre. Voilà le but que nous nous proposons, en insistant pour que notre fils soit visité à Réalmont, domicile de ses parents. Dans l’espoir d’obtenir satisfaction Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’assurance de mon profond respect. Combes Louis Pour la légalisation de la signature de Combes Louis apposée ci-contre à Réalmont le 24 Janvier 1913 Félix Gisclard Maire |
Le fils, bien qu’indépendant financièrement grâce à son travail aux P.T.T., est mineur et le père, s’il ne la mentionne toujours pas, le sous-entend : il a droit de faire cette demande. Surtout, il construit son argumentation autour du départ précipité et de la nécessité qu’ont ses parents d’avoir des explications. Pour l’instant, ils voient dans ce départ une influence féminine et dans sa volonté d’être visité à Paris une stratégie pour être affecté auprès d’elle. La question de mœurs suffit-elle pour leur donner raison ?
- L’après
Ainsi s’achève le dossier conservé aux Archives départementales du Tarn. La fiche matricule nous permet de comprendre ce que fut la décision finale du bureau de recrutement. C’est bien à Réalmont, suivant le désir de son père, qu’il devait se présenter le mercredi 19 février 1913 à 10h00 devant le conseil de révision, avec 77 autres jeunes gens.
Si les parents obtinrent ce qu’ils souhaitaient à ce niveau, ils ne reçurent pas les réponses attendues. En effet, leur fils ne se déplaça pas et fut considéré comme « Bon absent ». Versé au 2e régiment du génie, il arriva le 10 octobre 1913 mais ne resta pas longtemps en métropole. Dès le 1er mai 1914 il fut envoyé en Algérie à Hussein Dey. Il rejoignit le front le 14 septembre 1914, après un départ d’Algérie le 31 août et un changement d’unité. En février 1916, il passa à la compagnie 7/2 du 7e bataillon du génie. Il fut grièvement blessé au visage le 4 août 1916.
Fracture du maxillaire inférieur droit, perte de substance osseuse, rétrécissement de la commissure labiale, rétrécissement de l’ouverture de la bouche, perte des canines et des prémolaires droites en haut et en bas (soit neuf dents), d’où une gêne de la mastication et des troubles digestifs consécutifs formèrent la longue liste des séquelles de sa blessure.
Son parcours ne fut pas simple une fois revenu au dépôt en septembre 1917. Il resta quelques mois dans les P.T.T. avant de revenir comme service auxiliaire au dépôt. En 1919, son parcours fut marqué par une condamnation devant un conseil de guerre pour vol d’effets militaires, d’utilisation de fausses permissions de 3 ans de prison avec sursis. Cela ne l’empêcha pas d’être démobilisé quelques jours plus tard, muni de son certificat de bonne conduite.,
Sa vie après-guerre fut chaotique : il déménagea à de nombreuses reprises. À partir de 1932, chaque lieu de résidence fut marqué par une condamnation pour escroquerie et ce jusqu’en 1936. Il est décédé le 15 janvier 1966 à Toulouse.
- En guise de conclusion
Même s’il est tentant de relier son départ « brusque » de chez lui et son parcours postérieur, il convient de ne pas tomber dans la facilité. On ne sait rien d’autre que ce que ces deux documents, la fiche matricule et la demande de la famille, peuvent nous apprendre. La vie est bien plus complexe pour pouvoir faire des affirmations sur les choix et le parcours d’une personne.
- Sources :
Archives départementales du Tarn : https://archives.tarn.fr/accueil
– 1 R 2_191 – Fiche matricule de COMBES Louis René, classe 1912, matricule 69 au bureau de recrutement d’Albi.
– 1 R 1_570 – Dossiers individuels, année 1913.
– 4 E 222/17 – état civil de la commune de Réalmont, naissances de 1892 à 1894. Acte n°6, vue 3/59.
Mise en ligne de la page : 19 mars 2023.
