Aller au contenu

Plus qu’une bande dessinée sur Verdun, un livre d’histoire

Vivier Jean-François, Agosto Stéphan, Costes Joël, Verdun 1916, Paris, éditions du Rocher – Plein Vent , collection les grandes batailles de l’histoire de France, 2023, 48 pages.

Des bandes dessinées sur Verdun, il y en a déjà eu, en particulier les trois tomes scénarisés par Jean-Yves Le Naour pendant le Centenaire. Toutefois, par les choix du scénariste Jean-François Vivier et le trait de Stéphan Agosto mis en couleurs par Joël Costes, c’est une autre lecture de la bataille qui est proposée ici.

Une trame prévisible ?

Le plus souvent, les bandes dessinées utilisent juste la bataille comme simple contexte, comme dans L’Ambulance 13 tome 3. D’autres veulent en faire l’histoire. Raconter une bataille, c’est souvent montrer ses prémices, son déclenchement, ses moments forts et son dénouement. On peut y ajouter ses grandes figures, ses grands lieux, ses polémiques. Tel est le cas des Verdun de Le Naour avec un tome 1 qui s’intéresse à Driant et au déclenchement de la bataille, un tome 2 qui évoque « l’agonie du fort de Vaux » et un tome 3 qui s’intéresse aux « fusillés de Fleury ». On est d’ailleurs loin d’avoir une vision complète ou globale de ce que fut la bataille. Elle est un prétexte, un contexte, mais ce n’est pas le centre de l’histoire racontée. L’échelle choisie laisse la part belle aux politiques, aux officiers supérieurs, aux « personnages célèbres » plus qu’aux combattants.

En somme, c’est une trame classique que les ouvrages de vulgarisation n’arrivent pas à quitter. Ils continuent parfois de véhiculer une lecture voire des poncifs vieux maintenant d’un siècle.

Tel n’est pas le cas dans cette nouvelle bande dessinée.

Les auteurs ont décidé de construire une narration originale au service d’un récit qui nous présente réellement la bataille. On est loin des arcanes du pouvoir parisien ou du GQG de Joffre. On passe l’essentiel du temps dans la tranchée, aux côtés des combattants français. Les auteurs ont choisi de n’aborder que le point de vue français : on est dans une œuvre qui cherche à mettre au centre le combattant et la bataille comme cela est rarement fait en bande dessinée.

  • « La guerre de mouvement dans un mouchoir de poche »

J’emprunte ici cette expression de Michaël Bourlet car elle résume bien ce que fut aussi cette bataille. D’autant que cet historien, auteur d’un Verdun 1916 sorti en 2023 également et remarqué pour sa qualité et ses apports, s’est chargé de la relecture historique du scénario. C’est un gage de sérieux et de qualité.

Michaël Bourlet ne s’y trompe pas dans sa préface : la manière de présenter la bataille est originale. Ce mot « original » veut simplement dire qu’elle sort de ce que l’on a l’habitude de lire, ce qui en fait un ouvrage bien plus pédagogique et humain que les autres.

Derrière le scénario et le dessin, on a une œuvre qui cherche à donner une vision générale de la bataille, mais pas seulement car cet aperçu de la bataille de février à décembre 1916 ne forme qu’une partie du travail. On suit les différentes étapes de la bataille, aidé par les deux deuxième et troisième de couverture où sont imprimés de fort belle manière une carte du secteur et un canevas de tir du secteur autour de Douaumont. Ne manque que la rive gauche sur la carte pour que le tout soit complet.

On observe également la brutalisation du conflit par la débauche des moyens utilisés par les belligérants au cours de la bataille (artillerie de divers calibres, lance-flamme, gaz, tactiques meurtrières). En ce sens, cette bande dessinée peut être un support pédagogique de qualité pour faire découvrir les moments paroxystiques de ces combats, sans mettre de côté sa temporalité : départ en renfort vers la première ligne, combats, incertitude et attente de la relève.

Les actions choisies sont un autre atout réel de la bande dessinée. Il ne s’agit pas de saynètes qui se succèdent, imaginées par le scénariste en fonction de l’image qu’il se fait de la bataille, de ce qu’il imagine. En effet, on note qu’une sorte de parenthèse s’ouvre dans le récit sur 13 pages. Il s’agit de la narration de la tentative de reprise du fort de Douaumont par les Français le 22 mai 1916. On suit des hommes du 74e régiment d’infanterie dans cette vaine attaque. L’opération a bien existé, les faits et anecdotes narrés sont réels. Ces pages sont très denses et sortent réellement de ce que l’on a l’habitude de voir en bande dessinée.

Le soin du détail va plus loin encore. Ce n’est pas une représentation approximative de ces journées. En effet, le dessinateur a également la casquette de spécialiste du 74e RI passionné du premier conflit mondial en particulier dans son aspect humain et artistique. Il a publié deux articles sur ce sujet1. Ses dessins s’inspirent dans certains cas de clichés d’époque. De ce fait, le récit des combats du 22 mai est précis, fidèle aux événements. L’anecdote du lieutenant Bazoche, dernier officier d’une compagnie, tué d’une balle dans la tête et la réaction des soldats est ainsi réelle2. On reconnaît même certains paysages de mai 1916 comme le ravin du Bazil et autour du monument du 3e bataillon du 74e RI3.

Guerre et mémoire combattante

« Histoire » et « Mémoire » ne reflètent pas la même chose. L’Histoire est le récit des faits tels que peuvent les exposer les historiens avec la matière disponible, sans jugement ni parti-pris quand la Mémoire est l’interprétation donnée par un groupe en fonction de sa grille de lecture. Les auteurs ont réussi à parler des deux en prenant sept anciens combattants en pèlerinage avec les marques de la mémoire de la guerre à cette époque tout en racontant l’histoire de la bataille et du combat du 22 mai 1916. On y observe également les conséquences physiques pour les lieux et pour les hommes qui s’y sont battus. Ainsi, le monument du bataillon du 74e RI est-il aussi réel4, comme ces pèlerinages d’anciens combattants5.

  • Choix graphiques

Concernant ces choix graphiques, j’ai été particulièrement marqué par trois options pertinentes et utilisées au service du récit.

Le premier choix concerne les vignettes qui ont des tailles variables, adaptées à ce que cherche à montrer Stéphan Agosto. Ces variations de taille enrichissent le visuel, dynamisent le propos. On a de grands cadres pour des paysages, des lieux-clefs et des moments mis en valeur, avec des plans très larges, parfois aériens. Les deux pages (pages 16-17) sur la Voie Sacrée sont un très bel exemple, avec une image sur deux planches et quelques cases complémentaires pour dire et montrer l’essentiel sur ce point. Certaines vignettes donnent cette impression d’œuvre à part entière comme la scène du monument aux morts ou celle des croix à Douaumont (et son hommage à Flameng6) dont Stéphan Agosto avait partagé le crayonné au cours de son travail.

Compte Twitter / X de Stéphan Agosto, consulté le 2 novembre 2023

Le deuxième point est la richesse symbolique proposée par le dessinateur, complétée par la mise en couleurs réalisée par Joël Costes. Les images au crépuscule ou la nuit, rarement montrés dans les autres bandes dessinées sur la Première Guerre mondiale, sont très bien rendus, voire magnifiques. Dès la page une, le ton est donné, le procédé est repris page 26 : le crayonné ci-dessous ne donne qu’une partie de l’aspect final aidé par la mise en couleurs. Le crépuscule se répand sur le reste de la planche, se mêlant à certaines cases et à certaines bandes.

Compte Twitter / X de Stéphan Agosto, consulté le 2 novembre 2023

Dans d’autres cas, le maelström vécu par les soldats est retranscrit visuellement par des bandeaux et des vignettes de tailles différentes. Ainsi, l’intensité du combat est rendue par le découpage original d’une planche en sept bandeaux.

Le troisième élément notable est le soin pour représenter la guerre de manière réaliste en évitant toute violence visuelle gratuite. L’application du dessinateur pour rendre crédible les postures, les situations fait que tout est dessiné avec soin. L’allure générale des uniformes est très bien rendue, les équipements ne sont pas oubliés et sont correctement représentés. J’ai des cartouchières pleines, contrairement à ce qui est visible dans pratiquement toutes les représentations cinématographiques, y compris les plus récentes !

  • En guise de conclusion

On est donc face à une bande dessinée qui en plus de présenter les grandes phases de la bataille de Verdun en 1916, offre au lecteur une plongée intense dans un combat de la bataille sans que le récit n’en soit rendu compliqué. Il permet aussi d’observer la brutalisation, la mémoire combattante dans les années 1930. Il donne au final un aperçu réussi de cette bataille et de sa place dans la mémoire. À ces qualités s’ajoute un scénario simple sans être linéaire, donnant un aperçu général de la bataille sans tomber dans l’interminable énumération de faits ou une attention concentrée sur un court moment, anecdotique par rapport à la bataille en général. Aux côtés des hommes, le tout est une très belle représentation de ce qui a pu se passer au cours de l’année 1916 dans ce secteur. Le soin pour représenter de manière réaliste chaque détail est aussi particulièrement notable. On est loin d’une représentation qui « ressemble à » mais qui est loin de la réalité. Sans tomber dans l’hyper pointillisme au bouton de capote, on a des lieux réels, des attitudes et des uniformes réalistes. Et les choix graphiques ajoutent à la qualité générale d’un album, vous l’aurez compris, apprécié et même coup de cœur.

Une bande dessinée à découvrir, un vrai travail de présentation de la bataille en 48 pages pour tous les publics, du scolaire au grand public en passant par les curieux de cette période ou de cette bataille ; tout comme le livre de Michaël Bourlet sur le sujet.

  • En complément :
  • Remerciements :

A Denis D. et Valérie Q. pour les riches échanges sur la bande dessinée.


  1. AGOSTO Stéphan, « Le 74e RI devant Douaumont, 22-25 mai 1916 », Tranchées n°6, 1ère partie, juillet-septembre 2011, p. 36-45.
    AGOSTO Stéphan, « Le 74e RI devant Douaumont, 22-25 mai 1916 », Tranchées n°7, 2e partie, novembre-décembre 2011, p. 24-36. ↩︎
  2. AGOSTO Stéphan, « Le 74e RI devant Douaumont, 22-25 mai 1916 », Tranchées n°7, 2e partie, novembre-décembre 2011, p. 31. ↩︎
  3. AGOSTO Stéphan, « Le 74e RI devant Douaumont, 22-25 mai 1916 », Tranchées n°6, 1ère partie, juillet-septembre 2011, p. 45. ↩︎
  4. http://74eri.canalblog.com/archives/2009/05/25/13852170.html, consulté le 2 novembre 2023. ↩︎
  5. http://74eri.canalblog.com/archives/2007/04/27/4758264.html, consulté le 2 novembre 2023. ↩︎
  6. http://vlecalvez.free.fr/Hommes28eri_flameng/Flameng.html, consulté le 2 novembre 2023. ↩︎

Retour à la liste des livres

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *