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Le cas particulier des gardes civils

Les hommes qui participent à cette garde sont des civils. Ils ne sont pas mobilisés mais ils sont volontaires pour assurer des missions de police. Ce volontariat n’est donc pas présent dans les fiches matricules, alors pourquoi développer cette page dans un site sur le parcours des combattants ? Cette garde est liée au déclenchement du conflit et il est possible de retrouver les hommes qui y ont participé.

  • Les étapes de l’organisation de la garde civile (1913-1914)

L’idée d’une garde civile est récente quand la guerre est déclarée en août 1914 : c’est en mars 1913 que le premier projet naît, fruit des demandes « d’assemblées élues » et de sociétés d’anciens militaires. Il s’agit bien de la mise en place d’une idée ancienne, puisqu’on peut retrouver ses prémices vers 1890 et des propositions concrètes de sociétés de vétérans et de certains Conseils généraux, mais également de la prise de conscience par l’Armée du risque que représentent des automobiles circulant librement dans le pays. Cela aboutit à une proposition de l’État-major au Ministre de l’Intérieur en janvier 1913. De cette proposition découle la première circulaire élaborée et envoyée aux préfets pour qu’ils fassent remonter ensuite les avis la concernant. Dans ce premier projet, il n’est pas question d’une « garde civile » mais d’une « garde communale ».

D’abord restreinte aux grandes agglomérations et aux zones frontières, le ministère de l’Intérieur fait parvenir aux préfets une seconde mouture le 3 juillet 1913 prenant en compte les remontées obtenues. Afin de faire face à une éventuelle dégradation de la sécurité due au départ d’un grand nombre de gendarmes et pour faciliter la mise en place des mesures liées à l’état de guerre, il souhaite qu’un maximum de municipalités participe au dispositif. En réalité, l’accueil fut fort variable suivant le département : dans certains, il n’y eut aucune remontée, pas de structure mise en place ; dans d’autres, plutôt proches des frontières, des effectifs importants furent volontaires.

Après cette seconde consultation et un rapport, le texte de loi final est élaboré, voté et publié au Journal officiel le 7 janvier 1914.

    Gros plan : le texte du décret du 7 janvier 1914.

  • L’organisation de la garde civile

Reprenant les bases posées par les circulaires des 5 mars et 3 juillet 1913, la loi organise les détachements de garde civile. Elle est moins restrictive en ce qui concerne l’âge puisque contrairement aux circulaires, l’âge limite de 55 ans n’est pas retenu. Par contre, les volontaires doivent avoir la force physique nécessaire et être dégagés de toute obligation militaire. Ces hommes signent un acte d’engagement qui est ensuite envoyé au préfet et un chef de détachement est nommé ce dernier sur proposition du commandant de gendarmerie de l’arrondissement. Ils perçoivent une indemnité journalière mais ils doivent se nourrir eux-mêmes. Ce ne sont pas des belligérants : ce sont des auxiliaires des forces de l’ordre. Ils portent un brassard vert olive et sont armés d’un revolver, mais l’uniforme est une option à la charge de la municipalité. Je n’ai pour l’instant pas trouvé trace dans une commune de l’achat d’un uniforme.

Un exemple de brassard, dans le Territoire de Belfort :

Ces brassards étaient différents d’un département à l’autre, voire d’une commune à l’autre car leur qualité dépendait du fournisseur.

En mars 1914, les préfectures reçoivent le texte du décret (qui n’est pas publié au Journal officiel volontairement) ainsi que le modèle d’acte d’engagement à faire signer aux volontaires (le texte de la loi du 7 janvier 1914). C’est donc à cette période que les gardes civiles sont officiellement organisées. Les municipalités font remonter leurs listes et les fiches d’engagement des volontaires à la préfecture et en juin 1914, le ministère de l’Intérieur demande l’organisation des détachements. C’est un décret du préfet qui établit ces services dans les départements, autour du mois de juin 1914 (décret publié le 1er juin 1914 dans le 44 par exemple). Les rapports envoyés à l’État ne sont pourtant guère encourageants, même s’ils ne sont que partiels : la motivation semble très variable d’un département à l’autre. En Meuse, au 11 juin 1914, on compte 360 communes ayant déjà organisé leur garde civile et une centaine en train de le faire. Au contraire, l’Aisne et l’Allier semblent très en retard dans l’organisation, le document indiquant pour chacun « Rien de fait ».

La préfecture a un rôle central dans l’organisation et la gestion des détachements avant la guerre ; elle va avoir un rôle tout aussi prépondérant à la mobilisation.

  • La mobilisation

Conformément aux instructions, les arrêtés des préfets donnent officiellement naissance aux détachements autour du 5 août 1914 (des détachements ont commencé à fonctionner dès le 2 ou le 3 août dans certains départements, d’autres comme en Mayenne, le 7 seulement). La nomination du chef intervient par un arrêté du préfet dans la semaine qui suit. Le règlement de la question des indemnités journalières est fixé par un arrêté ministériel le 4 août 1914.

    Gros plan : le texte de l’arrêté du 4 août 1914 fixant le montant des indemnités des gardes civils.

Point commun tout de même, des barrages ont été prévus par les préfectures, généralement sur les ponts, parfois à des carrefours importants. Toutefois, cela n’empêcha pas les municipalités d’organiser des patrouilles sur le territoire communal, des postes fixes près de certains centres administratifs (c’est particulièrement vrai pour les grandes villes). Cela aboutit à une grande variété de cas sur lesquels les documents sont souvent peu précis.

Un exemple de cette diversité des organisations : Précigné et Parcé sont deux communes séparées d’une quinzaine de kilomètres dans la Sarthe. La première dispose de 12 gardes civils, la seconde de 10. Aucune n’a fait l’achat d’un revolver comme elles en avaient la possibilité. Leur organisation est fort différente. Archives départementales de la Sarthe, 1 M 532.


Ville de Précigné
Garde civil (sic)

Deschamps, chef de la garde civil (sic)
à Monsieur le Préfet de la Sarthe

Monsieur le Préfet,
En réponse à l’ordre du 16 octobre courant, j’ai l’honneur de vous envoyer les renseignements demandés.
1° Nous avons un poste central à la commune, gardée jour et nuit par deux gardes, dont un continuellement de faction sur la place (deux de jour et deux de nuit).
2° Nous avons ajouté en plus un planton à la mairie.
3° Chaque semaine à tour de rôle, un homme est prélevé sur mes services pour servir d’auxiliaire à la gendarmerie.
4° Comme la commune est très étendue (la seconde de la Sarthe comme superficie territoriale) d’accord avec monsieur le maire, je n’ai pas d’autre poste fixe, mais chaque 24 heures (jour et nuit) j’envoi (sic) deux hommes à un poste que je leur désigne au dernier moment de préférence un carrefour sur une route importante où ils doivent séjourner le temps que je leur indique en même temps que l’itinéraire qu’ils doivent suivre afin de veiller au bon ordre de la commune (conformément à la circulaire de monsieur le Préfet en date du 22 août).
5° Chaque fois qu’une plainte est adressée à la Mairie, je me porte personnellement avec un homme à l’endroit indiqué afin de constater les faits qui ont motivé la plainte.

Le chef de détachement de la garde civil (sic)
Deschamps


Parcé, le 18 octobre 1914

Chef des Gardes civils de Parcé
à Monsieur le Préfet de la Sarthe

En réponse à votre lettre du 16 courant, j’ai l’honneur de vous faire connaître que le détachement de Parcé comprend 10 hommes.
Il n’y a qu’un seul poste permanent au pont de Parcé : deux hommes sont en permanence de 4h.30 du matin à 8h.30 du soir. Ils sont relayés toutes les 4 heures.
Ceux qui ne sont pas de garde au pont font des patrouilles sur les routes de jour et de nuit, de façon à exercer chacun un service de 10 heures sur 24.

Le chef des Gardes civils,
Gallais

Certaines communes décidèrent même de financer intégralement un service de garde. Il s’agit probablement d’une réponse à la dissolution de leur corps. La loi du 5 avril 1884 les autorise à le faire avec des personnes bénévoles patrouillant à titre gratuit. On trouve mention de ces gardes dans les documents et il semble que dans le Maine-et-Loire au moins, on ait nommé ces corps « Garde communale » pour les distinguer des « Gardes civiles » officielles. Mais peut-être le vocable a-t-il été utilisé ailleurs ? Il n’a pas été trouvé dans certains départements étudiés (Mayenne et Sarthe) et dans d’autres il a été mentionné explicitement (Loire-Atlantique et Maine-et-Loire). Un document indique que tous les gardes civils du Morbihan furent volontaires gratuitement.

En voici un exemple qui mentionne ce service sans solde et son organisation, à Grand-Auverné (Loire-Inférieure à l’époque). Archives départementales de Loire-Atlantique, 2 Z 315.


Le Maire du Grand-Auverné
à Monsieur le Sous-Préfet de Châteaubriant

11 août 1914

J’ai l’honneur de vous adresser une seconde liste de volontaires qui se sont engagés par écrit à servir sans solde dans la garde civile du Grand-Auverné.
Leur service est commencé, mais le chef de poste seul est armé ; quelques gardes ont des fusils vides et ne possèdent pas de munitions.
Quelques chaînes ont été fixées ; mais elles reposent sur la route et ne sont tendues qu’en cas d’absolu besoin.
Voici le rôle assigné aux gardes sans armes. Chacun d’eux est chargé de surveiller dans les environs de leurs demeures, hameaux, fermes et écarts, et de prévenir le poste établi au bourg de la présence de vagabonds, de l’atterrissage des ballons ou aéroplanes étrangers, etc… sur le territoire de la Commune.
Ce service de police nous paraît très suffisant pour le moment et nous vous prions d’en ordonner la suppression dès que les circonstances le permettront.

Pour le maire du Grand-Auverné,
L’adjoint Chataigner

Certaines communes dépassèrent même leurs prérogatives en instituant leur garde civile sans attendre l’autorisation du préfet. C’est ce que nous apprend la demande d’une épouse suite au décès de son mari consécutif à une chute en service. Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 10 R 40.


Préfet du Département d’Ille & Vilaine
à Monsieur le Maire de Saint-Germain-sur-Ille.

Aux termes de la requête ci-jointe appuyée d’une attestation délivrée par vous, Mme vve Alphonse Doussin sollicite un secours de l’Etat. Sa demande est basée sur ce fait que son mari, garde civil, aurait succombé des suites d’une chute faite le 13 Août alors qu’il se rendait à son poste pour participer à la garde de la voie ferrée.
Permettez moi, Monsieur le Maire, de vous faire observer que la garde civile de St. Germain s/ Ille a été seulement constituée par arrêté du 19 Août et que ce n’est qu’à dater de la notification de cet arrêté que M. DOUSSIN ou ses ayants-cause pouvaient se prévaloir de sa qualité de garde civil.
Du reste les instructions que vous avez reçues n’ont jamais indiqué que les gardes civils devaient coopérer à la protection des voies ferrées et des ouvrages d’art.
Il vous suffira de vous reporter à cet effet à la circulaire de mon prédecesseur du 14 août qui définit d’une manière précise le caractère et l’étendue de la mission de ces corps spéciaux de police.
Si, comme j’ai lieu de le supposer, il s’agit d’un appel qui, dès le début des hostilités, a pu vous être adressé pour obtenir le concours bénévol de citoyens à la surveillance des voies ferrées, vous voudrez bien informer Mme. DOUSSIN qu’elle devra faire parvenir sa demande à l’autorité qui est intervenue auprès de vous en vue de l’organisation de certaines mesures de protection dont je ne méconnais pas l’opportunité, mais qui sont demeurées étrangères à mon administration.
J’ajoute au surplus que le nom de M. DOUSSIN ne figure pas sur l’état nominatif de l’escouade de gardes civils formée à ST. Germain s/ Ille. Cet état auquel sont joints les engagements des intéressés comprend seulement, en effet, les noms de M.M. Chenevière, Thominot, de Coniac, Nourry, Lebret, Tizon, Delépine, Chalmel, Huchet et Cintré.

Le Préfet.

Ainsi, la mairie a non seulement mis en place son service avant la date officielle mais en plus, les missions données ne correspondent pas à celles de la Garde civile.

Très vite, le coût de tous ces gardes civils et leur utilité très relative le plus souvent, poussent l’État à demander aux préfets de restreindre les effectifs des détachements en fonction de la population de la commune. Certains préfets vont aller jusqu’à supprimer des détachements dans des communes éloignées d’axes importants dès le mois d’août. Dans tous les cas, les effectifs sont strictement encadrés par un arrêté préfectoral à partir d’août. Ils peuvent toutefois varier d’un département à l’autre, la décision finale étant prise par le préfet, non par un texte venant du sommet de l’État et s’appliquant uniformément. Ainsi, dans le Maine-et-Loire, la préfecture décide que l’effectif des détachements sera de 12, 15, 20 ou 25 gardes en fonction du nombre d’habitants quand dans la Mayenne les effectifs varient de 6 hommes pour les communes de moins de 1000 habitants à 18 pour celles de plus de 4000 habitants. En Sarthe, 12 maximum pour les communes de moins de 3000 habitants et 15 pour les autres, avec en réalité des effectifs variants de 3 à 80 (pour Le Mans).

Plus globalement, l’État demande un rapport à ses préfets en septembre 1914 et en dresse un bilan précis le 7 octobre à l’aide des réponses obtenues. Sur 50 départements ayant répondu, 34 ont réduit le nombre de gardes ou de postes, 4 ont supprimé le service (Meuse, Haute-Garonne, Hérault et Landes), 2 n’avaient pas mis en place de Gardes civiles et les derniers sont en attente ou souhaitent maintenir leurs effectifs, le plus souvent en raison de nombreux étrangers sur leur territoire (réfugiés et travailleurs étrangers) alors que les effectifs de gendarmerie sont bas. Dans plusieurs cas, les gardes sont en fait des volontaires qui ne sont pas rémunérés. La Loire souhaite conserver ses gardes et a déjà fait de grosses dépenses, les gardes civiles ayant pris en charge les anciennes fonctions des GVC (surveillance des voies de chemin de fer, de postes fixes).

On le voit, la grande variété de situations montre l’importance des décisions des préfets voire des maires (ce sont eux qui décident la baisse des effectifs en Vendée). Malgré tout, c’est la préfecture qui garde la main sur les détachements et ce jusqu’à ce que l’État décide de mettre fin à cette expérience.

  • Une garde diversement appréciée

Les rapports conservés dans les diverses archives sont le plus souvent muets sur l’organisation, le quotidien du service. Toutefois, on peut percevoir ses difficultés. à travers quelques rapports envoyés au préfet. La perte de bras dans des communes déjà vides des hommes de 20 à 48 ans mobilisés est un premier motif d’insatisfaction.

Malgré la sélection des gardes, il y eut des déconvenues en raison de l’absentéisme de certains volontaires et un questionnement sur l’intérêt même de cette garde de la part de certains habitants. Voici le cas de Pré-en-Bail en Mayenne, qui met en évidence un premier grief à l’encontre de certains gardes civils (Archives départementales de la Mayenne, R 1102)


Pré-en-Bail, le 18 août 1914

Le Maire de Pré-en-Bail
à Monsieur le Préfet de la Mayenne

J’ai l’honneur d’appeler votre bienveillante attention sur l’organisation actuelle de la garde civile de la commune de Pré-en-Bail.
Les rondes de nuit faites par cette garde causent de la frayeur dans le village et les hameaux et ne permettent pas à nos agriculteurs d’avoir un repos réparateur qui leur serait cependant si utile, au moment des moissons, après de longues heures de labeur dans les champs. Au passage de la garde, les chiens aboient et toute la ferme est réveillée.

J’ai reçu à ce sujet plusieurs plaintes et tous les conseillers municipaux affirment que les gardes civils ne possèdent pas, en général, le calme et le sang-froid nécessaires à leurs fonctions.
M. Raiffaud, brigadier de la gendarmerie de Pré-en-Bail, a reçu, de son côté, plusieurs plaintes motivées et doit adresser aujourd’hui un rapport à l’autorité militaire.
D’accord avec lui, j’ai dressé une liste de tous les notables de Pré-en-Bail, sans distinction de parti, désirant faire partie de la garde civile. Nous avons l’honneur de vous soumettre cette liste.
M. Lainé, négociant, ancien capitaine de l’armée territoriale, accepterait le commandement de la garde civile.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de mes respectueux et biens dévoués sentiments.

Le rapport de gendarmerie est plus précis : les gardes buvaient, tapaient aux portes la nuit pour avoir à boire. Pire, le chef du groupe est souvent en état d’ébriété, ce qui ne l’empêche pas de sortir son revolver chargé « au moindre bruit », et d’arrêter « sans motif et pas très correctement les voyageurs automobilistes qui passent ». Suite à ces interventions auprès du préfet, la garde communale fut intégralement remplacée.

Ce rapport de gendarmerie évoque lui l’absentéisme et le manque de rigueur dans la commune de Saint-Maurice, dans le département de l’Orne. Archives départementales de l’Orne, R 433-2.


4e Corps d’Armée
Gendarmerie nationales4e Légion
Compagnie de l’Orne
Arrondissement de Mortagne
Brigade de Saint-Maurice
n° 265

Objet : sur le service du Corps des Gardes civils

A Saint-Maurice, le 19 octobre 1914

Rapport du Maréchal des Logis Bégin
commandant la brigade de Saint-Maurice-les-Charencey
Sur le Service des Gardes Civils de Saint-Maurice

Le commandant de la brigade a l’honneur de rendre compte que, conformément aux ordres du chef d’escadron commandant la compagnie, il a invité les Gardes civils à faire des tournées dans des communes déterminées de la circonscription de la brigade.

Le Garde civil Janvin, vu le premier, a nettement déclaré qu’il ne pouvait pas s’absenter de chez lui. Il est cordonnier.
Les Gardes Bertrand et Cerné ont déclaré qu’ils feront les tournées qui leur seront indiquées, mais que ce service en leur plaisait guère. Bertrand, notamment, a sollicité d’être réintégré dans son ancien emploi de la Régie, pour la durée de la guerre.

Le chef d’escouade, monsieur Richard, n’a pu être entendu étant absent depuis six jours.

Le service des Gardes civils n’a, depuis sa création, à part quelques tournées faites avec les gendarmes lorsque l’effectif de la brigade était réduit à deux hommes, consisté à surveiller et à arrêter pour vérifier les laisser-passer des personnes montant les automobiles qui passaient sur la grande route, n’a plus guère d’utilité ; aujourd’hui il ne passe presque plus de voitures automobiles et aucun étranger.

La brigade étant à l’effectif de quatre hommes peut assurer d’une façon absolue, la surveillance de la circonscription d’autant plus que le calme le plus grand règne dans toutes les communes.

D. Béguin

Le 20 octobre suivant, le capitaine, commandant l’arrondissement demande la résiliation des engagements, suivi en cela par le commandant de la compagnie le 22 octobre. À Mesle-sur-Sarthe, il demande la résiliation de plusieurs gardes civils en raison de leur absentéisme. Ces demandes ne seront pas suivies d’effet, le décret mettant fin aux gardes civiles étant déjà arrivé à la préfecture.

L’avis de la gendarmerie était important, les gardes civils étant théoriquement ses auxiliaires. L’armée eut aussi à faire remonter au ministère de l’Intérieur des critiques à l’encontre de certains postes. Ici, c’est le manque de formation des gardes qui est pointé du doigt. Archives départementales de l’Orne, R 433-2.


Le Mans, le 24 octobre 1914

Le Général Faure
Commandant la 4e Région

à Monsieur le Préfet du Département de l’Orne
Alençon

Il m’est signalé que de nombreux incidents se produisent journellement à l’occasion de la vérification par les gardes civils des automobiles circulant sur les routes. Certains gardes, en effet, ne paraissent pas apporter toujours le tact nécessaire dans l’accomplissement de leurs fonctions, ce qui incite les personnes voyageant en automobile à ne pas se plier de bonne grâce aux exigences qui leur sont imposées et qu’elles trouvent, à tort ou à raison, vexatoires.
C’est ainsi que les gardes, mal renseignés sur leurs devoirs, demandent la production de permis de couleur rouge, pour les militaires, bleue pour les civils, alors que ces pièces ne sont exigibles que des conducteurs automobiles circulant dans la zone des armées (Département d’Eure-et-Loir pour la 4e Région).

Il est donc à désirer que ma note de service du 12 octobre 1914, que j’ai eu l’honneur de vous communiquer à la date du 18 octobre 1914, sous le N° 5200, soit connue de tous. Elle résume les prescriptions réglementaires relatives à la circulation des automobiles en temps de guerre ; sa stricte application assurera le bon fonctionnement du service. (…)

Je vous serais donc très obligé de faire procéder à la révision des emplacements des postes civils et de faire supprimer ceux qui feraient double emploi avec les postes des G.V.C. Ainsi que ceux qui ne vous paraîtraient plus nécessaires.

Général Faure

Plus généralement, c’est l’utilité de ces gardes qui remonta le plus vers le pouvoir central : certains préfets refusèrent simplement de les mettre en place (c’est le cas dans les Hautes-Alpes), d’autres ne les convoquèrent près de quinze jours après la mobilisation (le 15 aout pour la préfecture d’Ille-et-Vilaine) et la majorité réduisit au strict minimum les effectifs et ne conserva des gardes que dans les grandes villes. Les rapports indiquent que la population est calme et que, conjugué au coût du service, il convient de le limiter voire de l’arrêter. C’est ce qui fut fait.

  • La dissolution des gardes civiles

Inutilité le plus souvent et coût important poussent le gouvernement à dissoudre les dernières gardes civiles. Cette dissolution se fit en trois étapes : la fin effective des détachements de gardes civils puis le remboursement des frais aux municipalités et finalement la remise des armes à des dépôts militaires.

La décision de dissoudre les détachements est connue grâce à un décret du 21 octobre qui fixe au 1er novembre 1914 la fin du ce service spécial. Il est intéressant de constater qu’à cette date, il est aussi fait mention d’une garde communale, sous entendant qu’il ne s’agit pas de la même chose.

La question financière va se poursuivre ponctuellement, bien au-delà de la fin 1914, d’abord dans les communes n’ayant pas envoyé toutes les pièces justificatives pour le remboursement des frais avancés (et au final parfois pour s’entendre dire qu’il est trop tard) ; ensuite pour la gestion des armes.

   Gros plan : Texte du décret mettant fin aux gardes civiles.

  • Le problème de l’appellation

On trouve dans les documents au moins quatre expressions différentes pouvant concerner la garde civile. Elles sont d’ailleurs utilisées en 1914 indistinctement, en particulier dans la presse.

Garde civile : nom simplifié de ce corps, officiellement dénommé « corps spécial de garde civile »

Garde civique : nom donné à un service similaire en Belgique à la même époque.

Garde communale : premier nom donné à la garde civile, avant juillet 1913. La confusion est accentuée par l’existence de tels corps en France dans le passé qui ont pu laisser des traces dans les mémoires et par la conservation de l’appellation longtemps après son abandon dans de nombreux documents locaux.

Dans le manuel d’instruction militaire 1914 publié par la librairie Chapelot, un article page 991 mentionne l’existence des « Gardes communales ». Il ne s’agit pas là d’une erreur de la maison d’édition, le travail éditorial pour cette édition 1914 ayant été réalisé en 1913, probablement avant le changement d’appellation.

Gardes civils communaux : nom rencontré dans un rapport de préfet, qui évoque les hommes plus que le corps.

Police civile : cette appellation n’apparaît pas dans les documents lus, mais ce brassard accompagné de sa carte de membre de la garde civile de Clichy semble attester que cette initiative locale est bien une garde civile.

Le brassard :

La carte :

  • Les Gardes civils décédés sont-ils « Morts pour la France » ?

L’âge des volontaires, la nécessité de servir la nuit, sous la pluie ont entraîné des décès imputables au service (je n’ai pas trouvé trace pour l’instant de garde civil tué dans l’exercice de son service par accident ou victime d’un malfrat). Par contre, des hommes décédés des suites d’un problème de santé lié à leur prise de service, il y en a. Par exemple, en décembre 1919, le préfet de Mayenne reçoit une demande en provenance de Pré-en-Bail de la part d’une veuve : son mari est mort des suites de son service de garde civil, elle veut donc recevoir une pension. Le préfet demande quoi faire au ministre de l’intérieur.


À Monsieur le Ministre de l’Intérieur
(Direction de la sûreté générale – 1er Bureau)

J’ai l’honneur de vous transmettre le dossier d’une demande formée par madame Tirot qui sollicite une pension de l’Etat en qualité de veuve d’un garde civil décédé à Pré-en-Bail, le 31 octobre 1914.
Madame Tirot appuie sa demande de pension sur ce fait que son mari a contracté une pneumonie en service commandé et qu’il est mort des suites de cette maladie.

Un corps de gardes civils a été constitué régulièrement dans la commune de Pré-en-Bail, suivant arrêté préfectoral du 25 septembre 1914 dont une copie est ci-jointe, mais le nom de M. Tirot ne se trouve pas parmi ceux qui le composaient.

Par la lettre du 28 Novembre dernier qui est versée au dossier, M. le Maire de Pré-en-Bail atteste que, comme beaucoup d’autres gardes civils qui n’ont pas figuré sur la liste, M. Tirot fut requis par M. Huet, chef de poste à la date du 17 octobre 1914 pour donner son concours aux mesures de sécurité générale que l’état de guerre imposait aux communes.

Je vous prie de bien vouloir examiner cette demande avec bienveillance et y donner la suite qu’elle vous paraîtra devoir comporter.

On ne sait pas la suite qui fut donnée à cette demande. Théoriquement, la question ne se pose pas : ces hommes ne sont pas des mobilisés, ils ne sont pas militaires. Ils ne sont donc pas considérés comme des « Morts pour la France ».

Un nouveau marché :

Il s’agit non ici de la confection des brassards ou des armes, mais des formulaires mis en place pour la gestion des gardes civils. Voici la transcription d’une lettre conservée aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine (cote 10 R 40) :


Réquisitions militaires
(Loi du 3 Juillet 1877).
Service de la garde civile
(Décret du 7 janvier 1914).

Circulaire du Ministère des Finances (Direction générale de la Comptabilité
publique) du 24 Août 1914.

Paris & Nancy, le 26 Août 1914.

     Monsieur le Préfet,

     Nous avons l’honneur de vous informer que nous sommes en mesure de vous fournir les modèles prescrits par la Circulaire de la Direction générale de la Comptabilité publique du 24 Août 1914, concernant le Paiement du prix des services requis et des fournitures réquisitionnées, ainsi que le Paiement de la solde des gardes civils et le Remboursement du prix de leur revolvers.
     Nous vous serions reconnaissants de vouloir bien nous réserver votre commande, en faisant utiliser à cet effet le bordereau ci-joint.
     En vous remerciant à l’avance, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Préfet, l’assurance de notre haute considération.

Berger-Levrault

Adresser les Commandes à l’Imprimerie administrative Berger-Levrault à Nancy ou à Paris, 5 & 7, Rue des Beaux-Arts.

Des exemplaires vierges des formulaires complètent la lettre. L’absence du bordereau de commande et le fait que l’on trouve lesdits formulaires complétés dans des courriers adressés au préfet montrent que la commande fut passée. La circulaire fut publiée le 24 août, les modèles étaient prêts chez l’imprimeur le 26, c’est dire la réactivité de l’entreprise. Entreprise qui dut regretter la fin du service, synonyme de fin d’un marché potentiel.

  • Retrouver un membre de sa famille volontaire pour être garde civil

Il est possible de retrouver si un membre de sa famille a fait partie des volontaires des gardes civiles assez facilement. Avec en tête ce bémol important avant de se lancer dans une telle recherche : toutes les communes n’ont pas organisé un service de garde civile. Comme cela a déjà été dit, la part de communes en ayant une est même très variable d’un département à l’autre :

DépartementNombre de communesCommune avec une garde civilePourcentage de communes ayant une garde civile
04 – Basses-Alpes2556324 %
05 – Hautes-Alpes
00 %
 35 – Ille-et-Vilaine
356
193
54,2 %
49 – Maine-et-Loire3835013 %
53 – Mayenne2745420 %
55 – Meuse586460 ?78 %
61 – Orne511458,8 %
72 – Sarthe3854411 %

Comprendre cette diversité passe par une étude politique, sociologique, démographique, géographique qui dépasse largement l’objectif de cet article. Pour revenir à la recherche d’une personne ayant été garde civil, en l’absence de statistiques nationales sur la question pour l’instant, il s’agira donc dans un premier temps de découvrir les communes concernées. Sans faire de généralisation abusive, on note toutefois que plus la commune est peuplée, plus il y a de chance qu’elle ait organisé une garde civile.

Étant sous l’autorité de la préfecture et les archives départementales ayant reçu le dépôt des archives des préfectures et des sous-préfectures, c’est le lieu privilégié pour trouver des informations sur ce thème. Il ne faut pas négliger pour autant, surtout pour les communes les plus importantes, les archives municipales : on y trouve parfois des informations plus volumineuses qu’aux archives départementales.

  • Aux archives départementales

Il n’est pas toujours facile de retrouver la trace des quelques boîtes ou liasses contenant les dossiers des gardes civiles du département. Le classement n’a pas été fait de manière uniforme d’un département à l’autre. Voici les cas rencontrés :

Série R : le classement de loin le plus fréquent. La garde civile étant mise en place à la mobilisation, elle est classée dans les affaires militaires.

Série M : la garde civile étant sous l’autorité du préfet, on peut trouver des cotes dans cette série.

Série Z : les sous-préfectures ayant souvent reçu la gestion des gardes civiles de leur circonscription, on peut trouver des documents dans cette série.

Archives communales déposées : il arrive que l’on y trouve des rapports, des documents sur l’organisation du service. Mais c’est assez peu courant.

Que trouve-t-on ?

  • Les circulaires, instructions, textes de lois et autres documents officiels envoyés au préfet en vue d’organiser le service (1913-1914).
  • Les originaux des rapports et des enquêtes envoyés au ministère de l’Intérieur ainsi que la correspondance transmise aux maires.
  • La liste des communes et des effectifs prévus pour le projet de service de 1913 puis la même documentation pour le service réellement mis en place à partir de juin 1914. Cette liasse comprend théoriquement une liste nominative par commune et les originaux des actes d’engagements signés par les volontaires.
  • Moins systématiquement, on peut trouver la liste des points de contrôle, les communes ayant fait l’achat d’armes pour les gardes, des rapports d’incidents, des rapports sur des volontaires (excès de zèle, alcoolisme, absentéisme…).
  • Les comptes de dissolution, le coût des gardes pour les communes, les demandes de remboursement des communes pour les frais, la cession des armes au dépôt indiqué… peuvent faire l’objet d’une chemise de documents dans certains départements.

Il est possible de trouver d’autres éléments non listés ci-dessus (comme des brassards dans un département) mais aussi quasiment rien. Dans ce dernier cas, je vous conseille de ne pas vous concentrer sur le mot « garde civile » mais d’élargir la recherche aux expressions suivantes : « garde communale », « garde civique » voire « garde mobile » sans oublier que les bornes chronologiques sont 1913-1914.

   Gros plan : Le garde civil Hilarion Daumas.

Attention : inutile de chercher dans les fiches matricules. L’information sur la participation à la garde civile n’existe pas puisque le service ne dépendait pas du ministère de la Guerre.

  • Aux archives municipales

On peut trouver suivant le cas des documents complémentaires de ceux des archives départementales, en particulier les rapports quotidiens du chef de détachement. Mais ce n’est pas systématique. On trouvera plus souvent les points surveillés et les listes de volontaires.

  • En guise de conclusion

Les gardes civils sont des volontaires à découvrir. Même s’ils n’ont pas un rôle direct dans les combats, ils n’en restent pas moins des hommes ayant quitté leurs activités pour devenir auxiliaires de la gendarmerie en raison de l’état de siège décrété dans le territoire.

Même si leur rôle fut modeste, il reste largement méconnu faute de sources variées : à part les dossiers des préfectures, souvent assez complets heureusement pour nous, l’iconographie est à découvrir tout comme d’éventuels témoignages écrits.

Une étude sur les motivations des volontaires serait aussi intéressante. Une première ébauche d’analyse a été réalisée à Nice, mais la variété sociologique de la population en France en 1914 nécessiterait des comparaisons entre départements mais aussi catégories sociaux-professionnelles.

  • Remerciements :

Cet article n’aurait jamais vu le jour sans une question posée par « Jarkov » sur le forum Pages 14-18 qui a aiguisé ma curiosité et l’aide de Yannick Le Gratiet (iconographie et documents du SHD) et Arnaud Vaillant (brassards et carte d’identification). Mes remerciements à tous.

  • Sources :

Pour tout ce qui concerne l’avant 5 mars 1913, l’évolution du projet d’une garde communale, on lira avec le plus grand intérêt les interventions de Yannick le Gratiet sur le Forum Pages 14-18 réalisées grâce à une source du SHD, SHD 7 N 203.

Loi du 5 avril 1884. Texte intégral sur Gallica.

SHD, 7 N 202.

L’étude sociologique de la garde civile de Nice, publiée sur le site des AD06. Accès direct au document.


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