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GEORGES PICHON : étapes d’une vie (1894-années 1930)

Encore quelques documents épars trouvés dans une caisse sur un marché aux puces, cinq pour être précis, mais qui ont permis de retracer quelques éléments de la vie de cette famille entre 1894 et les années 1930. Une goutte d’eau dans l’histoire d’une famille qui nous autorise juste à établir quelques étapes de la vie du fils, Georges.

  • Retrouver une famille

    Les documents comportent quelques mentions qui sont un point de départ simple : la photographie de groupe porte l’inscription au stylo bille au verso : « Grands-Parents Pichon, maman et oncle Georges (tué en 1918) ». La piste est donc un Georges Pichon. Un portrait en uniforme précise le régiment : 6e régiment de dragons et on note qu’il est maréchal des logis.


    La fiche matricule donne un lieu de naissance : Levet, dans le Cher (et non Saint-Lévet comme indiqué dans la fiche du site Mémoire des Hommes). L’acte de naissance donne l’âge des parents, hélas sans précision du lieu de naissance ou de mariage. Une recherche à Levet, en particulier dans les recensements, n’a rien donné. La raison est assez simple : le père, Jules Pichon, est gendarme. D’ailleurs, toutes les images conservées le montrent en uniforme de maréchal des logis.

    Grâce aux recherches de T. Vallé, voici ce que l’on sait sur la famille de Georges Pichon.

   Jules Pichon est natif de Civray dans le Cher. Appartenant à la classe 1887, il est simple journalier quand il est reconnu bon pour le service actif. N’ayant pas tiré un bon numéro, il fait trois ans au 3e régiment de Cuirassiers. Il termine son service actif en septembre 1891. À peine un an après la fin de son service actif, en novembre 1892, il est nommé gendarme à cheval en Saône-et-Loire. Il est affecté à la brigade de gendarmerie de Pierre.

    C’est toutefois dans sa commune natale de Civray, dans le Cher, qu’il se marie le 28 octobre 1893 avec Marie Lhuillier. Cette jeune femme est née en 1872 également à Civray. Ils devaient probablement se connaître avant son départ pour la Saône-et-Loire. C’est une fois encore à Civray que se déroule la cérémonie, autorisée par le conseil d’administration de la gendarmerie de Saône-et-Loire.

    Le 1er décembre 1894 naît le premier enfant du couple, Louise. Elle voit le jour à Civray, chez son grand-père, au lieu-dit Boisratier. Absent de l’acte, tout laisse à penser que Jules est resté à Pierre à la brigade, c’est le père de Marie qui présente l’enfant à la mairie. Pour son second enfant, il est en poste à Levet, dans le Cher. C’est là que naît Georges, le 23 janvier 1896.

    C’est probablement au tournant du siècle qu’a été prise cette photographie de famille. Réalisée par un photographe de Chalon-sur-Saône, peut-être le père a-t-il été à nouveau affecté dans ce département ? On peut le penser car il n’apparaît pas dans le recensement de Levet en 1901.


    L’étape suivante est connue grâce à la naissance du troisième enfant du couple : Hélène Marguerite née en 1908. Désormais, la famille Pichon a élu domicile à Paris. Jules a raccroché son uniforme et exerce désormais la fonction d’employé d’administration. Marie est concierge. Toute la famille loge 40 bis faubourg de la Poissonnière dans le 10e arrondissement. Ils déménagent ensuite dans le 9e arrondissement, 12 rue Rougemont.

  • La famille sous l’uniforme

    Le 23 janvier 1914, Georges fête ses 18 ans. Il est alors employé de commerce, toujours domicilié chez ses parents rue Rougement. Mais trois jours plus tard, autorisation parentale en poche, il s’engage volontairement pour l’armée. Il a choisi son arme : ce sera la cavalerie, les dragons pour être plus précis. Le parallèle avec le père est flagrant : il s’engage dans la cavalerie après que son père ait été cuirassier puis gendarme à cheval.

    Son parcours précis est impossible à retrouver. En effet, étant mort à la guerre, sa fiche matricule est extrêmement laconique et les quelques documents sauvés n’en disent rien. On sait juste qu’il devient brigadier en octobre 1914 puis maréchal des logis fourrier le 10 novembre 1915 avant de redevenir simple maréchal des logis en avril 1917. Le JMO ne donne aucune indication des mutations, nominations, sanctions, pertes, il est impossible d’en savoir plus.

    On dispose de deux photographies de Georges en uniforme. Toutes deux datent de la seconde partie du conflit car il est en bleu horizon. Sur la première, aux côtés de son père,  il est brigadier. Elle a donc été prise entre novembre 1915 et avril 1917.

    Sur la seconde on distingue nettement son grade de maréchal des logis obtenu en novembre 1915. Il n’est pas impossible qu’un des deux ait été pris lors de sa permission de 1917 évoquée par la lettre de sa sœur qui sera étudiée un peu plus tard.

    Un détail surprend sur le cliché où il pose avec son père : ce dernier a revêtu son uniforme. Il ne s’agit probablement pas d’une volonté de paraître ainsi aux côtés de son fils. Au cours du conflit, 17802 gendarmes furent affectés aux unités prévôtales des armées d’après l’historique de la gendarmerie. Afin de poursuivre ses missions à l’arrière, on appela des gendarmes de complément : « Ces gendarmes se divisent en trois catégories : 1° Gendarmes réservistes et territoriaux ; 2° Gendarmes retraités depuis moins de cinq ans et rappelés à l’activité ; 3° Gendarmes qui, dégagés de toute obligation militaire, ont contracté un engagement volontaire pour la durée de la guerre. » explique un rapport de Millerand en avril 1915 afin de permettre qu’ils obtiennent une indemnité journalière.

    C’est probablement la raison pour laquelle Jules reprend du service, sans pouvoir dire pour l’instant s’il était territorial, retraité ou engagé volontaire. En tout cas, il pose avec d’autres gendarmes âgés. Il semble avoir le même âge que sur la photographie prise avec son fils, ce qui en ferait un témoignage de ces gendarmes de complément plus qu’un souvenir pris lors de la fin de sa carrière.


    Les circonstances des blessures mortelles de Georges sont tout aussi opaques que le reste de son parcours. En effet, le 6e régiment de dragons est plusieurs fois au combat au printemps 1918. Il est envoyé boucher les trous, tenir des positions pour faire face aux assauts allemands, d’abord en mars et avril 1918, puis fin mai à début juin 1918. Dans les deux cas, les pertes sont sévères, le rôle des mitrailleurs, auxquels Georges appartient, mis en avant dans l’historique. Mais aucune indication sur les circonstances et la date des blessures de Georges Pichon n’a été trouvée. Il est toutefois douteux qu’elles se déroulent début juin car il décède à Bar-le-Duc, assez loin de la zone des combats. Il a donc eu le temps d’être évacué.

    Après la guerre, la famille retourne s’installer dans le Cher, à Saint-Florent-sur-Cher, Place du Marché. Jules y exerce la profession d’employé. C’est là que le nom de Georges est inscrit sur un monument aux morts et probablement que le corps est rapatrié.

    Louise et Hélène quittent le domicile à leur mariage, la première en 1921, la seconde en 1930. Entre les deux, Marie est décédée. Seul Jules reste dans le Cher, ses filles étant parties à Paris. Ainsi s’achèvent ces quelques éléments sur la vie d’une famille entre 1894 et 1930. Pas tout à fait en réalité, car dans le lot, une lettre a été conservée et mérite qu’on s’y attarde un peu.

  • La lettre, 1917

Le 13 Mai 1917
    Mademoiselle,
    Je m’empresse de rendre réponse à votre aimable lettre que je viens de recevoir et qui m’a fait bien plaisir. Je me demandais en effet qui pouvait bien m’écrire, ne reconnaissant tout d’abord pas votre écriture mais en décachetant votre mot, j’ai été agréablement surpris de voir qu’il venait de vous. Je suis très heureux de vous savoir en bonne santé ainsi que vos Parents et votre petite sœur.          Je vous remercie pour vos bons souhaits et j’espère que la chance continuera à me suivre comme par le passé ; d’ailleurs par les temps qui courent, c’est avec cette seule idée qu’il faut vivre.
    J’espère que vous avez de bonnes nouvelles de votre frère. J’ai appris par mes Parents que son tour de permission approcherait, aussi vous devez l’attendre avec impatience.
    J’ai reçu de bonnes nouvelles de Robert ; je pense le rencontrer d’ici peu car je crois que nous allons prendre les mêmes tranchées de leur côté.
    Pour le moment, nous sommes au repos, mais comme je vous le disais précédemment, nous allons sans doute remonter en ligne bien que nous ne soyions (sic) pas encore remis des rudes assauts que nous avons supportés dernièrement. Enfin, il ne faut pas s’en faire et espérer que bientôt enfin viendra le jour où nous pourrons reprendre notre petite vie tranquille.
    Recevez Mademoiselle mon meilleur souvenir et présentez je vous prie mes respects à vos Parents ; bonne poignée de main à votre petite sœur.
    Maurice Leroi

    La petite sœur est Hélène. On retrouve Robert, mais on ne sait pas qui est ce Maurice Leroi. L’adresse au dos de l’enveloppe est en partie déchirée mais donne une information utile : c’est un adjudant. Une rapide recherche dans le fichier Mémoire des Hommes nous met sur la piste d’un sous-lieutenant décédé en octobre 1917 : Maurice Furcy Leroi, du 4e régiment de marche de zouaves. L’adresse indiquée sur la fiche matricule de ce Maurice ne laisse pas la place au doute, c’est le bon. Il est domicilié 24 boulevard Poissonnière où habitait la famille Pichon avant-guerre. Peu de doutes que c’est là que les enfants des deux familles se sont connus.


    Quand Maurice note qu’il a eu de la chance jusqu’à présent, la lecture de ses états de service éclaire pourquoi. Simple conscrit de la classe 1915 arrivé au dépôt du 115e RI le 16 décembre 1914, sa carrière est très rapide. Affecté dans une unité de zouaves en avril 1915, il est caporal le 11 mars 1916 puis sergent le 27 janvier 1917, il devient adjudant le 30 avril et sous-lieutenant le 30 juillet 1917 !

    On comprend aussi qu’il parle de sa chance car il a fait preuve d’un courage exemplaire : il est décoré trois fois en un an après avoir été blessé le 12 août 1916, pour avoir été un agent de liaison particulièrement audacieux en décembre 1916 et pour sa maîtrise sous le bombardement en mars 1917. Sa dernière citation est posthume et date du 13 novembre 1917 : « Jeune officier de 20 ans d’une rare bravoure, modèle de devoir et d’esprit de sacrifice. Déjà 3 fois cité. A fait de sa section une troupe d’élite. A été mortellement frappé à la tête de ses zouaves le 23 Octobre 1917 au cours de l’attaque du Fort de la Malmaison. »

    Reste le dernier personnage mentionné dans la lettre, Robert. Il s’agit du frère de Maurice. Ce Robert a plusieurs caractéristiques intéressantes pour notre enquête. D’abord, il est affecté au 6e régiment de dragons en 1913, le même que Georges ! Impossible de dire s’ils étaient dans le même escadron, mais la coïncidence est frappante. Peut-elle explique-t-elle l’engagement volontaire de Georges dans ce régiment en janvier 1914 ?

    Ensuite, il est également maréchal des logis, comme Georges. Il est grièvement blessé le 30 mars 1918, pendant la même période que Georges, mais avec des conséquences moins dramatiques. Il ne retourne plus au front, ses soins et sa convalescence durant jusqu’à la mi-juin, puis il reste certainement au dépôt jusqu’ à sa libération le 26 août 1919.

    Sa citation le 9 avril 1918 est aussi instructive : « Sous-officier modèle de sang froid, de courage et de dévouement, a demandé d’aller au combat pour venger son frère tombé à l’ennemi. Le 3 Mars, chef de liaison du capitaine grièvement blessé au cours d’une mission, a continué son service jusqu’à ce que ses forces le trahissent, disant qu’il n’avait pas voulu en rendre compte pour donner l’exemple. »

    Le dernier rebondissement vient du mariage de Louise. C’est bien Robert Leroi qu’elle épouse le 25 juin 1921 à Saint-Florent-sur-Cher. On comprend mieux que cette lettre ait été conservée précieusement si l’on en juge son état impeccable mais moins qu’elle ait été seule dans cette caisse.

  • En guise de conclusion

    Suite à un décès, faire appel à des personnes pour vider une maison conduit à la fois à la perte du contexte des documents familiaux laissés et à un éparpillement. Dans le cas présent, de cette caisse remplie de papiers déchirés et mélangés par les manipulations des acheteurs, cinq documents ont permis de remettre en lumière quelques bribes de l’histoire d’une famille, histoire probablement perdue des descendants de Louise et de sa fille qui les avaient pourtant soigneusement conservées depuis plus d’un siècle.

  • Sources

Archives de Paris :

D4R1 1945 : fiche matricule de PICHON Georges, classe 1916, matricule 876 au bureau de recrutement Seine 6e Bureau.

D4R1 1885 : fiche matricule de LEROI Maurice Furcy, classe 1916, matricule 649 au bureau de recrutement de Seine 6e bureau.

D4R1 1766 : fiche matricule de LEROI Robert Alfred, classe 1913, matricule 725 au bureau de recrutement de Seine 6e bureau.

Archives départementales du Cher :

– 2R 544 : fiche matricule de PICHON Jules, classe 1887, matricule 238 au bureau de recrutement de Bourges.

https://www.archives18.fr/ark:/41383/s0053ba944a54c99/53ba944ac9155

– 3E 5465 : état civil de la commune de Civray, actes de naissances 1883-1903. Acte de naissance de Louise Pichon.

https://www.archives18.fr/ark:/41383/s00512b7634e48c5/512b763502689

– 3E 5546 : état civil de la commune de Levet, actes de naissances 1883-1902. Acte de naissance de Georges Pichon.

https://www.archives18.fr/ark:/41383/s00512b794cea65f/512b794d09dac

– 3E 6723 : état civil de la commune de Saint-Florent-sur-Cher, 1918-1932.

https://www.archives18.fr/ark:/41383/s005ddf943a74061/5ddf946959321

https://www.archives18.fr/ark:/41383/s005ddf943a74061/5e0f0dd987806

Sur la gendarmerie pendant la Première Guerre mondiale :

Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 22 avril 1915 :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63541746/texteBrut


Ministère de la Guerre, Historique de la gendarmerie : guerre de 1914-1918, Paris, Henri Charles Lavauzelle, 1920, 104 p.

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6235185h/texteBrut


Service Historique de la Défense :

SHD 26 N 878/26 : JMO du 6e régiment de Dragons.

Anonyme, Historique du 6e régiment de dragons pendant la guerre de 1914-1919, Évreux, Imprimerie Ch. Hérissey, 1920, 110 p.

  • Remerciements

À Thibaut Vallé qui a été d’une aide toujours aussi grande pour retrouver les informations généalogiques de cette famille.

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Publication de la page : 11 novembre 2022

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