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Correspondances croisées des les Basses-Alpes

Balique Nicolas, L’adieu aux pays, correspondance de guerre de quatre soldats bas-alpins, précédée de Barles et les Barlatans dans la Grande Guerre, Les Baux-de-Provence, Jean-Marie Desbois éditeur, 2017. 374 pages.

Comment un éditeur local décide-t-il de se lancer dans l’aventure de la publication d’un tel témoignage ? Sachant que le marché semble saturé depuis 2014 en cette période commémorative et que ce type de document abonde dans les catalogues des éditeurs, la réponse est simple : la qualité du travail et de la correspondance. Nicolas Balique ne s’est pas contenté d’une publication brute ou noyée de notes de bas-de-page aussi inutiles qu’indigestes, il n’est pas tombé dans le piège du travail rempli de lapalissades qui nous en apprennent plus sur l’auteur que sur le sujet.

Ici, plus que la simple édition d’une correspondance reçue par une mère de la part de ses quatre fils mobilisés, il y a une contextualisation très complète qui n’est pas noyée par des statistiques, mais qui aboutit a un questionnement riche.

Le titre lui-même peut être un indicateur de la qualité d’un livre : il est ici parfaitement choisi. À la fois parce qu’il reflète bien le travail réalisé et parce qu’il fait référence à une expression très utilisée par les frères. Pas de fautes évidemment, le « aux pays » fait référence aux amis du lieu où ils vivent, « le pays ». Dans d’autres régions on aurait parlé des copains du pays.

  • Une évocation de Barles avant-guerre

La première partie du livre est une évocation de Barles avant-guerre. L’auteur nous fait découvrir ce village isolé et ses hameaux, reliés à Digne-les-Bains, la préfecture toute proche, grâce au percement d’une route inaugurée en… 1913. Sans tomber dans la présentation de géographie pure telle qu’on la trouve encore parfois dans certains ouvrages, l’auteur réussit à présenter les spécificités du lieu, de ses habitants, tous marqués par les clues qui les isolent.

  • Mémorial des Barlatans morts au combat

La deuxième partie est un mémorial racontant la mort de chacun des 37 Barlatans, chronologiquement. C’est un exercice toujours difficile car le risque est grand de noyer le lecteur dans une histoire « bataille », des détails inutiles, des dates, des régiments… Si l’auteur s’en tire bien grâce notamment à des détails enrichissant la narration, il tombe tout de même dans deux clichés peu utiles à son propos.

Pourquoi juger indispensable de rédiger une longue page sur les fusillés de Flirey en 1915 alors que les Barlatans ne sont pas concernés et qu’ils ne furent probablement ni témoins ni acteurs des faits ? Comme s’il s’agissait d’un incontournable. À l’intérieur de cette thématique, le développement de l’hypothèse du choix de trois syndiqués de la CGT pour être exécutés pose aussi problème et nous éloigne considérablement du propos du livre.

Autre problème de mon point de vue : la volonté de faire ajouter deux noms de natifs de Barles sur le monument aux morts. On est là dans une vision très personnelle qui nous éloigne de l’Histoire pour nous plonger dans un aspect mémoriel. Pourquoi passer sous silence les choix réalisés lors de l’édification du monument et la règle qui veut qu’un nom ne peut être présent que sur un monument aux morts, celui de naissance ou celui de résidence. Il n’a pas pour vocation à être uniquement celui des natifs. Ces deux hommes sont déjà sur un monument aux morts.

  • La correspondance

La partie sur la correspondance commence par la biographie des quatre frères Leydet de Barles. Essentiellement composée à l’aide des fiches matricules, l’auteur les enrichit par quelques anecdotes, questionnements et récits extraits des unités auxquelles appartenaient ces quatre hommes.

Ces éléments essentiels connus, le lecteur peut se lancer dans la lecture des lettres.

Il est pertinent d’avoir publié les courriers de juillet 1914. On découvre une correspondance tout ce qu’il y a de plus banale : le temps qu’il fait, quelques nouvelles « du pays », avec en arrière-plan le Sud et son mistral, ses orages d’été. Bien qu’on soit en paix, l’armée est présente, pour une période d’exercices de 17 jours d’un ami, devant commencer le 30 août 1914 à Digne.

Germain, stagiaire à Joinville, raconte sa mésaventure (perte de son porte-monnaie) et la demande d’une pièce de 20 francs à sa mère. Après réception du « bon de poste », il répond à une réprimande en expliquant : « Une grande partie de la faute incombe surtout à ces pantalons dont l’ouverture de la poche est fendue presque jusqu’au genou et dont la poche n’est par conséquent guère profonde. S’entassent là dedans mouchoir, porte-monnaie, blague, allumettes et c’est de chaque côté presque jusqu’au genou et dont la poche n’est par conséquent guère profonde », page 87. Cet élément donne une idée du niveau de détails que peut donner Germain à sa famille dans ses courriers. Il explique ensuite comment il reviendra le 15 août avec son fusil.

Deux longues lettres de Germain montrent la tension croissante fin juillet, la recherche d’informations, les discussions à Joinville. Il est un spectateur et un narrateur de ce qui se passe à Paris. Puis vient l’ordre de retourner à son régiment, le 163e de Nice, par train, le matin du 1er août. Finis les espoirs de permission après les grandes manœuvres.

À partir de la mobilisation tous les frères écrivent à leur mère. Si Félix et Maxime sont assez laconiques et factuels, Germain est plus structuré, il raconte, il rassure, il exprime une assurance de façade. Ses courriers sont les plus développés et le resteront. Il s’intéresse à des points rarement évoqués : les solidarités au village par exemple ou les moments passés avec « les pays ». Il émet aussi des avis, des espoirs : il imagine une guerre courte, les retrouvailles prochaines des quatre frères, que certains n’iraient même pas dans le Nord… Déjà au mois de juillet il écrivait : « Ma conviction profonde est que tout cela s’arrangera. Les gouvernements si criminels soient-ils réfléchiront à deux fois avant de faire couvrir la terre de cadavres ». Ses courriers sont régulièrement marqués par des jugements sur le futur qui, à l’aune de ce que nous savons, sont terriblement naïfs et faux.

Les solidarités sont parfaitement visibles dans ces courriers. Évocation des pays rencontrés au dépôt ou avec qui on est envoyé au front (chaque frère liste les pays qui sont dans leur compagnie voire leur escouade) ; solidarités qui se mettent en place afin de gérer l’absence des hommes et l’incapacité qu’a la maman à écrire.

C’est là que le choix des notes de bas de page révèle toute sa pertinence : quand certains ouvrages noient littéralement le lecteur dans une série d’informations plus inutiles les unes que les autres, l’auteur a fait ici le choix de ne donner que quelques précisions sur les personnes citées dans les lettres.

  • Des constantes

La première constante de ces courriers a déjà été évoquée : il s’agit de l’indication du sort des pays ;  dans un premier temps pour annoncer où ils sont affectés, avec qui, dans un second temps leur destin, blessure, capture, disparition, mort.

Deuxième constante, le courrier arrive relativement mal. Si les informations circulent parfois avec une rapidité étonnante (la capture de deux hommes le 10 septembre est dans les courriers dès le 12), d’autres n’arrivent jamais. Maxime semble être dans un régiment où le courrier disparaît souvent et n’arrive pas régulièrement. C’est à la fois pour constater qu’absence ou retard sont au cœur d’un grand nombre de lettres ou de tentatives d’explications. Reste que l’importance de ces courriers est considérable. L’absence est toujours notée, non comme un reproche mais comme un manque. Par exemple, Odilon, dont la correspondance commence en septembre 1914 avec son appel, écrit page 182 : « je commençais à me faire de la bile vu qu’il y avait 8 jours que je n’avais reçu aucun signe de vie ».

La réception est toujours notée comme un plaisir, une joie. Chacun écrit les délais sans nouvelles et les dernières reçues des uns et des autres. Mieux, Germain note dans une lettre début décembre 1914, page 294 : « Ce soir, j’ai revu Louis et Fernand très bien portants aussi et tout joyeux toujours. Vous pouvez dire à leur mère que je les ai engueulés parce qu’ils me disaient qu’il y avait longtemps qu’ils n’avaient écrit (il y avait huit jours), et ai dû leur faire comprendre que huit jours c’est beaucoup lorsqu’on est en guerre et que les correspondances n’arrivent pas toujours régulièrement. J’espère qu’à l’avenir ils seront plus sages ».

Par contre, chacun a une écriture spécifique, ce qui fait qu’on peut avoir l’impression de lire trois correspondances différentes.

Je l’ai déjà dit, Germain est celui qui détaille le plus ce qu’il vit, ce qu’il pense. Il explique la vie dans les tranchées, les relèves, les bombardements, les souvenirs du pays et des pays, les rencontres avec son frère Félix qui appartient au même régiment. Il mentionne les faits exceptionnels comme l’exécution de Benjamin Crayssac pour automutilation. Il en profite dans sa lettre du 5 octobre 1914 pour constater à quel point la guerre l’a déjà changé : il est devenu sévère, il n’est plus clément. Il disserte sur le rôle essentiel des femmes. Il évoque la mise à l’épreuve de son socialisme face à la réalité de la guerre. Lui raconte en détails une attaque très meurtrière qui a échoué, la violence des bombardements pages 208 et 209.

Comme Félix, Maxime écrit moins et dit moins. Ainsi, les combats de fin septembre sont éludés par un « À ce sujet, je ne vous en dis pas plus long », page 195. Il s’inquiète pour les activités de sa ferme. Au détour de courriers, on découvre des anecdotes très intéressantes : Maxime a toujours besoin de papier à cigarette « car ont (sic) est obligé de fumer des lettres », page 195 ; en novembre 1914, il décrit l’arrivée des jeunes de la classe 14 et explique «  Ces jours-ci, nous avons reçu 40 hommes par compagnie pour combler, pour la deuxième fois, les vides créés dans nos rangs. Parmi les derniers arrivés (…) Boeuf Firmin, qui est non seulement à ma compagnie, mais que j’ai pu faire mettre à mon escouade en priant le capitaine (…). Nous avons, pendant deux nuits, guère dormi, car vous pouvez penser que j’avais beaucoup de choses à lui demander », pages 277-278.

Odilon, incorporé en septembre car de la classe 1914, permet de découvrir le monde du dépôt et de l’instruction des jeunes hommes. Ses courriers sont riches en détails de l’annonce de l’envoi de sa photographie à sa mère, page 201 à l’explication page 250 de la manière dont sont classés les hommes pour savoir qui partira en renfort en premier. Il développe évidemment ses sorties et ses nombreuses rencontres avec les pays. Il raconte par exemple l’imbroglio autour d’un colis qui lui était destiné mais qui avait été envoyé au magasin de corps au lieu du magasin de compagnie (pages 280 et 281). Il quitte finalement le dépôt en janvier 1915 au moment où le livre s’achève.

Les demandes des frères sont peu nombreuses si l’on excepte les nouvelles attendues de manière insatiables : un peu de papier à cigarette, quelques articles de journaux, parfois un peu de charcuterie. Les demandes d’argent sont peu nombreuses et seul l’envoi d’effets chauds est clairement réclamé et même renouvelé quand c’est une paire de chaussettes en coton qui est envoyée au lieu de la paire en laine attendue. Les conseils sont les mêmes : n’envoyer que ce qui est demandé car il n’y a pas moyen de stocker autrement qu’en portant le contenu des colis. À cette occasion, on voit une fois encore les solidarités familiales jouer. La partie de la famille Leydet installée dans le village voisin de La Javie a une part active dans les correspondances et les envois de colis.

  • La fin des espoirs naïfs

Octobre marque un changement considérable dans les lettres du plus prolixe des frères, Germain. Il constate que Barles lui a caché le sort de pays… ce qu’il a également fait de son côté ! On voit là le besoin de chacun de rassurer l’autre. Mais c’est rarement exprimé de manière aussi franche. À son frère Odilon, il annonce la mort de son ami d’enfance et n’exprime plus l’optimisme dans la future réunion des frères. Il lui écrit « tes trois frères sont eux aussi en danger là où leur devoir les a placés (…) Prépare-toi à recevoir pareille nouvelle chaque jour (…) », page 216. Cette sincérité, on la trouve ensuite dans toutes ses lettres comme si une barrière avait cédé. Il écrit sans filtre, mais pas sans précaution. Cependant, il en dit beaucoup plus que ses frères et que bon nombre de correspondances. Chez Germain, fin octobre, la mort est omniprésente : celle des pays, mais aussi la sienne éventuelle par un obus sur son abri. Il note « les deuils des uns devront être ceux de tous et j’espère que les survivants seront dignes des morts », page 247. Ce sort qui lui semble inéluctable lui fait écrire plus tard, page 320, « Je te prie de conserver ces bouts de papier sur lesquels j’écris ces hâtives notes. Ce seront de moi le dernier souvenir ou bien des documents que plus tard je serai heureux de retrouver ».

Pour Germain, il s’agit aussi d’affirmer ses contradictions : socialiste et pacifiste, il n’en fait pas moins son devoir mais espère pouvoir lutter ensuite activement contre la guerre. Il en profite pour dénoncer vivement une autre contradiction : « Depuis deux mois, il [Odilon] est soldat et on l’envoie à la guerre ! (…) Pauvres enfants ! Je les ai vus ces bébés qui nous viennent de notre Provence, tout souriants, mais combien peu aguerris ! Ils seront comme nous de la chair à canon et bravement ils mourront, et leurs corps d’enfants s’étaleront dans la plaine. Mais pourquoi nous disait-on il n’y a pas deux ans que deux années de préparation militaire ne faisaient pas un soldat puisque deux mois suffisent aujourd’hui ? » Il ajoute plus loin : « Parfois, je ne vous le cache pas, devant tant de saletés, devant tant de mensonges et de lâcheté, je me demande si vraiment il ne vaudrait pas la peine que j’y laisse ma peau : ça ne dure qu’une minute », page 276.

  • L’inéluctable

Tout lecteur des biographies des quatre frères saura que l’histoire finit mal. On découvre donc le courrier de Germain qui annonce à la famille la mort de Félix. Les lettres suivantes sont, un temps, plus optimistes, il n’est plus question que de disparition. Ces courriers sont d’une grande émotion. Ils le sont d’autant plus que Germain décrit ses recherches, les questions posées aux camarades de son frère. Il note la diversité des réponses, en particulier l’omission de la réalité quand on connaît son statut de frère et, au contraire, la vérité crue quand il n’indique pas qui est cet homme pour lui :  encore des éléments peu souvent décrits dans les témoignages et les correspondances. Une fois de plus, le lecteur omniscient voit les courriers rédigés avant d’avoir l’information, continuer de parler de tout comme si de rien n’était, et pour cause.

  • Quelques manques

Oh ! Pour moi, ils ne sont pas nombreux.

D’abord, le lecteur éloigné de Barles ne pourra que regretter de ne pas avoir une carte localisant le village et montrant l’isolement qui était le sien avant 1913.

Les photographies sont réunies dans un cahier dans le livre, mais auraient mérité d’être signalées dans le texte.

Ensuite, si la biographie des quatre frères est complète, le lecteur aura malgré tout un peu de mal à visualiser qui est qui dans un premier temps. Pourquoi ne pas avoir utilisé le rabat vierge de la couverture pour mettre un petit rappel : Maxime Leydet, agriculteur, 1883-1950 ; Germain Leydet, instituteur, 1892-1916 ; Odilon Leydet, berger, 1894-1917 ; Félix Leydet, berger, 1886-1914.

Finalement, l’auteur a fait en annexe un gros travail de recherche sur les Barlatans mobilisés. Ces mêmes Barlatans sont fréquemment cités dans les lettres. Pourquoi alors ne pas avoir marqué d’un astérisque les hommes connus des frères Leydet ? Cela aurait permis au lecteur de prendre conscience de l’importance des liens entre « pays ». Contact pris, l’auteur m’a indiqué que c’était initialement prévu.

On le voit, rien de fondamental ne peut-être reproché à ce livre, ce ne sont ici que quelques détails qui ne nuisent pas à la qualité de l’ensemble.

  • Quelques inexactitudes dans la transcription ?

À quelques occasions, je me suis demandé s’il s’agissait d’une erreur de transcription ou présente dans l’original.

– Page 62 : il est question de « Combes » dans la Somme. Des combats en 1916 se déroulèrent à « Combles ».

– Page 141 : la date indiquée est 9 août, ne faut-il pas écrire 9 septembre ?

– Page 183 : Odilon explique qu’il va changer de casernement « pour faire place à la classe 19 qui va rentrer », le 4 octobre 1914. Il ne peut s’agir de la classe 19, appelée en 1918. Ce peut être la classe 14 ou éventuellement la classe 15.

  • Les annexes

Le livre s’achève sur la liste des natifs de Barles mobilisés avec quelques indications sur leur affectation et leur sort. Il est important de bien rappeler qu’il s’agit d’une liste des natifs et non des domiciliés en août 1914.

Les sources sont citées en fin d’ouvrage et, pour une fois, celles trouvées sur internet sont listées au même titre que celles trouvées dans des ouvrages « papier ».

  • En guise de conclusion

Un ouvrage réussi qui trouvera sa place dans la bibliothèque des lecteurs curieux de l’histoire de la commune de Barles ou du département des Alpes-de-Haute-Provence en général. Mais les personnes intéressées par le conflit et même le grand public trouveront leur compte en parcourant cet ouvrage à la lecture facile sans pour autant être simpliste. La correspondance est d’une grande richesse, fourmille d’anecdotes sur le front et permet de visualiser mieux que beaucoup d’autres écrits l’importance de la relation épistolaire. On perçoit les changements dans les lettres à mesure que la guerre dure.

À la fin de la lecture, comme l’auteur et comme le lecteur que je suis, je ne doute pas que ceux qui découvriront ces lettres auront la frustration de ne pas avoir les suivantes. Hélas, personne ne sait ce qu’il en est advenu.

Je finis en notant que cette correspondance sera déposée à la fin de l’année 2017 aux Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence. Cette initiative, en plus de la publication de ce livre, est la meilleure garantie que ces documents seront conservés convenablement et ne subiront pas le sort de la suite de la correspondance : gardée dans une collection privée inaccessible ou détruite.


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