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Comparer pour saisir la force de Ceux de 14 de Genevoix

MARIS Bernard, L’homme dans la guerre, Maurice Genevoix face à Ernst Jünger, Paris, Grasset, 2013, 180 pages.

À chaque lecture de Ceux de 14, je m’interroge sur la manière d’encourager la découverte de ce qui est toujours une lecture incroyable. J’ai essayé de présenter la dernière publication et son apport factuel proposé par Florent Deludet, mais je n’ai jamais réussi à me lancer dans une fiche de lecture complète. Ce livre reste une expérience, un regard d’une force qui le rend simplement incontournable, beaucoup a déjà été écrit à son sujet et il est difficile de ne pas tomber dans le piège du résumé tant il happe le lecteur.

Bernard Maris, lui, a trouvé les mots. En prenant l’angle de la comparaison avec un autre monument de la littérature de guerre, Ernest Jünger. Il arrive à en montrer toute la richesse et la spécificité de Ceux de 14, même si son propos est un peu plus général et cherche à utiliser tous les écrits où Genevoix évoque sa guerre. Son analyse s’appuie sur une connaissance très fine des textes, mais aussi de l’auteur. Bernard Maris était le gendre de Maurice Genevoix. Cependant, l’auteur offre un texte lumineux, d’une grande érudition et qui met en valeur de manière justifiée et sans complaisance les forces de ces écrits.

En montrant tout ce qui l’oppose à la vision de Jünger, il met en valeur toute la spécificité des mots de Genevoix et pourquoi il reste incontournable et inégalé.

Toute la démonstration de Bernard Maris est résumée dans sa conclusion où il note « Lisant Jünger, nous aimons la guerre, lisant Genevoix nous aimons la vie » page 102. C’est simplement le leitmotiv de l’ouvrage. Il s’attache à montrer que Genevoix s’intéresse à l’humain avant tout, au vivant. Les pages sur le regard anthropologique de Genevoix, l’absence d’analyse mais une volonté de décrire sont d’une grande clarté.

La place de l’homme dans la guerre, ce que l’on en entend, le regard sur la mort dont on est témoin ou que l’on donne, sont au cœur de la réflexion de Bernard Maris.

Bernard Maris élargit sa réflexion en utilisant tous les écrits de guerre des deux auteurs. Page 76, « Jünger est abstrait et philosophique » quand « Genevoix aime les animaux, les animaux l’aiment (…). Les animaux sont tout simplement la vie, et la guerre, affaire d’hommes, méprise ceux qui peut-être ne valent pas mieux qu’eux, mais peut-être autant ». Il oppose cette vision de la nature et de la vie à tout ce qui est industriel et mort : « Cette guerre mécanique et industrielle, productrice d’une mort de masse, est en train de tuer une société où les animaux avaient leur place. Un monde paysan, de petits métiers, de petits villages (…). La guerre des machines et des obus tombant en pluie pulvérise un monde qu’on ne retrouvera plus ».

Il évoque à plusieurs reprises le creuset que fut la guerre pour Genevoix. « Sans la mort omniprésente, Genevoix n’aurait pas donné autant d’importance aux forêts, aux animaux, aux paysages, à tout ce qui fait que la vie enchante quotidiennement les yeux et commande de l’aimer. Aimer la vie et oser regarder la mort (…) Son œil est celui d’un miraculé qui sait que la vie est un miracle de chaque instant, à respecter dans ses formes les plus ténues, et dont il ne faut jamais cesser de se repaître », page 82.

Jünger est un idéologue, « Il annonce la mort pour des idées – non pour la patrie, non pour la défense, non pour ses frères – c’est-à-dire le fanatisme », page 88. Il veut préparer la revanche. Il n’est pas démocrate « mais le côté inculte, populaire du nazisme, sinon « petit bourgeois » le heurte, page 90. Il refuse la récupération de la mort de son fils par le régime nazi.

Jünger comme Genevoix n’ont jamais travaillé, sauf dans l’écriture et des activités culturelles voisines. Mais Genevoix met en valeur les petits quand Jünger voit en aristocrate.

  • En guise de conclusion

Bernard Maris n’était pas historien mais un fin lettré, à l’écriture claire, vive et précise. Il était aussi l’époux de Sylvie Genevoix, fille de Maurice. Il était immergé dans l’œuvre et dans le souvenir de Genevoix. Certes, cet ouvrage est dans la rubrique des essais, mais il propose une excellente analyse des écrits. Il donne envie de se replonger dans les mots de Genevoix et dans toute leur singularité.

  • En complément :

La version 2013 de Ceux de 14, avec le dossier de Florent Deludet : https://parcours-combattant14-18.fr/le-temoignage-sur-le-debut-de-la-guerre/

Présentation de la version abrégée pour les scolaires : https://parcours-combattant14-18.fr/faire-decouvrir-ceux-de-14-de-genevoix-aux-plus-jeunes/

Genevoix et la mort : https://parcours-combattant14-18.fr/genevoix-temoigne-sur-un-moment-particulier-50-ans-apres/


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