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78 – A la recherche de l’officier de Paul Chambret, 40e RI

Le hasard d’un tour sur le marché aux puces d’Angers m’a fait découvrir cette photographie isolée. Un portrait au contraste passé et un nom, cela augure d’une recherche potentiellement fructueuse afin de mettre au moins un bout d’histoire sur un visage. C’est aussi l’occasion de s’intéresser aux documents disponibles pour les officiers, bien plus riches que ceux de la majorité des conscrits.

Une photographie

Pour faire parler l’image, un peu de contraste et la fiche matricule de Paul Auguste Chambret sont largement suffisants. En effet, il s’agit principalement de proposer une datation approximative du cliché. Avant toute chose, il faut confirmer que le nom inscrit au dos est le bon.

Un lieutenant du 40e RI est visible devant une haie. Ses deux galons de manche sont bien visibles, tout comme le képi de lieutenant.

Paul Chambret est nommé lieutenant au 40e RI le 1er avril 1907. Il conserve cette affectation à ce grade jusqu’en 1914. Le portrait du mémorial de Saint-Maixent ressemble mais la qualité de l’image n’est vraiment pas d’une grande aide.

Cliché extrait de la fiche du site
https://memorial.saint-cyr.org/PLE/CHA_NK_0004_PLE.jpg

La consultation de son dossier d’officier finit de confirmer l’identification. En effet, il comporte un cliché de Paul Chambret qui correspond en tous points avec l’image en uniforme.

Cliché extrait du dossier d’officier de Paul Chambret.
Source : SHD, GR5 YE 100047.

Nous avons donc la confirmation de l’identité et un cadre chronologique. Comment peut-on l’affiner ?

Un détail du cliché, peu visible sur l’original, apparaît nettement après travail du contraste de l’image : il porte un brassard de deuil. Pour l’instant, il n’a pas été possible de trouver la personne de sa famille pour qui il le porte.

Autre détail important, il ne semble pas porter d’alliance. Le fait est à prendre avec précaution car le doigt est presque masqué sur le cliché. Si on part de l’observation que l’alliance n’est pas visible, on pourrait alors dater le cliché d’avant le 11 avril 1911, date de son union avec Sigaud Florence Jeanne Sophie. Cette dernière signe désormais « Jeanne Chambret » sur les documents officiels.

Certificat de non-divorce et de non-séparation de corps,
Paris 15e arrondissement, 1916.
Source : SHD, GR5 YE 100047.

En savoir un peu plus sur le Lieutenant Chambret

En 1913, son stage à l’École de gymnastique et d’escrime de Joinville s’est assez mal passé, lui valant une appréciation négative « ne semble s’intéresser que médiocrement aux questions d’éducation physique ; résultats insuffisants ». Il donne satisfaction au régiment. L’appréciation de son chef de bataillon est plus positive. Il note « Commandant provisoirement la compagnie, a su à ce titre se faire apprécier par son chef de bataillon qui, pour ce semestre, l’a noté d’une façon très élogieuse. », puis pour le second semestre, « Intelligent, très vigoureux, travailleur, instruit, de l’amour-propre, le désir de se faire utiliser, remarquer. Caractère ombrageux. Nature très émotive. Comme ensemble un très bon officier se donnant tout entier. »

Il est affecté au 76e RI le 23 avril 1914. Dès le 6 août 1914, il quitte Paris à la tête de la 1ère section de la 4e compagnie. Le régiment perd plus de 400 hommes le 22 août. En mouvement tout le début du mois de septembre, le JMO porte la première mention de Vauquois le 18 septembre 1914. Le JMO reste peu précis jusqu’au 18 décembre 1914, date à laquelle il s’interrompt, sans donner d’autre organigramme des officiers. Le régiment est en Argonne pendant cette période.

Probablement pour compenser les pertes des premiers combats, il est nommé capitaine à titre temporaire le 22 septembre 1914 puis à titre définitif le 25 décembre de la même année. Aucun élément trouvé ne permet de savoir à quelle compagnie il est affecté après la mobilisation.

Non évalué en 1914, le dernier avis de sa hiérarchie date du 30 janvier 1915 montre qu’il donne désormais toute satisfaction à tous les niveaux : « Excellent officier qui a fait toujours preuve, en présence de l’ennemi, et dans les circonstances difficiles, notamment en septembre au Four-de-Paris, de tenant, de courage et d’entrain. […] proposé pour la Légion d’honneur. Officier sur lequel on peut absolument compter. »

Le destin du capitaine Chambret

Malgré l’absence de JMO pour le 76e RI à la période concernée, son sort nous est connu évidemment par la fiche Mémoire des Hommes ainsi que par la transcription de son acte de décès.

Paul Chambret participe aux attaques pour prendre Vauquois le 17 janvier 1915 puis le 28 février. Cette seconde tentative permet de prendre pied dans le village. Une troisième attaque prévoit l’enlèvement de tout le village. La participation du 76e RI fait l’objet d’une mention dans le livre sur les combats de la butte de Vauquois page 164 :

« Lors de l’assaut du 15 mars 1915 dans le village de Vauquois, « Les pertes au 76e RI sont très lourdes. […] le capitaine Chambret, les sous-lieutenants Permy, Saunan ; Dumont, Michaud et Marc sont tués. »

On y découvre le contexte précis de sa mort, lui qui était un des rares officiers restant du début de la campagne du 76e RI. Sa citation, fort élogieuse, est à prendre avec les précautions d’usage : « N’a cessé depuis le début de la guerre d’être pour sa compagnie un exemple de bravoure et de droiture. Après l’avoir entrainée contre les tranchées ennemies dans les circonstances les plus difficiles, est tombé grièvement blessé ; s’est alors mis à crier à ses hommes : « Hardi, mes petits gars ! » S’étant soulevé pour indiquer à son lieutenant un emplacement de mitrailleuses, a été tué d’une balle au front. »

Inhumé sur place, son corps n’a pas été restitué à la famille. Il repose toujours au pied de la butte de Vauquois dans la Nécropole nationale de La Maise.

Sépulture de Paul Chambret, Nécropole nationale de La Maise, 2019.
Déposé par jchb67 – Licence CC-BY-NC-SA 2.0 Creative Commons
Généanet, https://www.geneanet.org/cimetieres/view/11333086

Une tragédie en appelle une autre

La triste histoire de la famille Chambret ne s’arrête pas là. Ce que ne disent pas les documents de l’armée, c’est que Paul et Jeanne Chambret ont déjà une fille, née le 7 février 1912, Paule Jeanne Florence Angèle. Surtout, quand Paul part, son épouse est à nouveau enceinte de quelques mois. Son fils naît le 11 novembre 1914 à Paris. Prénommé Jean Felix Paul Florent, son père ne semble pas l’avoir vu une seule fois. Son livret matricule d’officier ne comporte aucune entrée concernant une permission après celles du 8 au 15 avril et du 30 avril au 3 mai 1914, avant-guerre.

La tragédie vient du décès de cet enfant dès le 8 septembre 1916.


On note l’erreur de prénom pour Paul Chambret dans l’extrait du registre des actes de décès de son fils.
Source : SHD, GR5 YE 100047.

En guide de conclusion

Perdu au milieu de papiers divers sans rapport avec l’officier, le carton sur lequel était encollée la photographie portait heureusement un nom au dos. Ce n’est toutefois pas la garantie d’une biographie très complète, malgré l’identité retrouvée ou le dossier d’officier. L’absence du JMO pour 1915 et ses informations laconiques pour 1914 empêchent de retracer avec exactitude son parcours de guerre entre la mobilisation et son décès. On peut juste observer la prise de galons. Les documents nous confrontent tout de même aux conséquences de son absence mais aussi à d’autres drames.

Il reste des pistes à explorer pour en savoir un peu plus : travailler sur la nombreuse famille de Paul Chambret pour faire des hypothèses de datation du cliché, voir s’il existe des documents complémentaires au SHD sur le parcours du 76e RI, sa structure jusqu’en mars 1915.

Sources :

Archives départementales du Maine-et-Loire :

– Fiche matricule de Chambret Paul Auguste, classe 1900, matricule 1 au bureau de recrutement de Cholet.
https://www.archinoe.fr/v2/ark:/71821/caa7324cefd4fda143c59db979589a6d

Service Historique de la Défense :

– SHD GR 26 N 662/1 : JMO du 76e RI, année 1914.
– SHD GR 5 YE 100047 – dossier d’officier Chambret
– Pas de JMO pour la période de sa mort.

Autres sources :

– Pas de dossier de la Légion d’honneur trouvé.

– Saint-Cyr : fiche https://memorial.saint-cyr.org/PLE/CHA_NK_0004_PLE.jpg

Ouvrages consultés :

– Amis de Vauquois, La butte meurtrie, Vauquois, la guerre des mines 1914-1918, Verdun, Les Amis de Vauquois et sa région, 2007. 384 pages.

– Anonyme, Historique du 76e RI, Historique de la Campagne 1914-1918, Paris, Imprimerie Charles-Lavauzelle, 1920. 51 pages.
http://tableaudhonneur.free.fr/RI-076.pdf


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