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69 – Arsène Alancourt, 82e RI, 1913-1914

   Comment se retrouve-t-on à travailler sur la vie d’un cycliste professionnel ? À la base, il n’y a que l’achat de deux photos cartes qui avaient pour particularité de représenter le même groupe, si large qu’il a nécessité deux clichés de la part du photographe : technique assez inhabituelle qui a attiré mon attention. La lecture du nom a été une seconde étape, une fois les documents acquis.

  • Fusionner les deux images

    Le photographe a légèrement déplacé son appareil, ce qui conduit à un décalage empêchant de recoller exactement les deux images. Toutefois, le résultat de la réunion des deux photographies n’est pas si catastrophique.

    Une partie des hommes se retrouve sur les deux clichés. Ont-ils bougé entre les deux ? Des mises en parallèle permettent de voir les changements d’attitude de quelques-uns d’entre eux.

  • Un petit déplacement latéral

    Certains lèvent la tête quand d’autres restent dans une immobilité complète.

    Un seul homme semble indifférent à ce qu’il se passe, voire même légèrement agacé, le caporal sur la droite. Celui sur la gauche a un sourire goguenard sur le premier cliché.

  • Quelle caserne ?

    Les hommes visibles appartiennent au 82e RI. On distingue le numéro sur ce képi.

    Deux casernes sont occupées par le régiment : une à Montargis, l’autre à Troyes. L’architecture visible n’est pas commune avec ses arcades imposantes. Seule celle de Beurnonville de Troyes a cette particularité. Toutefois, il ne s’agit pas des arches des bâtiments principaux. Les piliers sont différents. On peut penser qu’il s’agit de ceux qu’on entrevoit sur la droite du bâtiment central.

    Une autre carte postale confirme la présence des piliers dans cet espace. 

    Une autre vue dont il n’a pas été trouvé de copie de taille suffisante confirme l’emplacement où furent probablement prises les photographies : derrière au niveau du bâtiment entre les deux grands ensembles visibles.
https://www.jschweitzer.fr/les-aubois-tr%C3%A8s-c%C3%A9l%C3%A8bres/mar%C3%A9chal-beurnonville/

  • Qui est Arsène ?

    La recherche sur internet a permis de découvrir très rapidement qui est Arsène Alancourt. Retrouver sa fiche matricule a été simple : il écrit à sa mère, ce qui nous donne son domicile : Clichy. Surtout, il est un coureur cycliste célèbre après-guerre.

    Lorsqu’il est recensé en décembre 1912, c’est d’ailleurs la profession qu’il donne : coureur cycliste. Il a tout simplement gagné le championnat de cyclisme amateur en 1912. Il termine deuxième en 1913 avant d’être incorporé le 9 octobre 1913 au 82e RI. On sait grâce aux photographies qu’il est affecté à Troyes et non à Montargis.
    Les photographies ont été prises après octobre 1913, avant la mobilisation d’août 1914 sans qu’il soit possible de préciser, faute d’arbres ou de détails parlants.

    Dans son courrier, il écrit à sa mère, veuve depuis 1905. Il évoque un retour de permission. Il a dû la passer dans sa famille 7 rue des cailloux à Clichy et raconte son difficile retour :

« Je suis arrivé à bon port, pour prendre les billets à la gare comment que c’était boulot, mais il y avait tellement de monde dans notre train qu’ils ont remis d’autre (sic) wagons et il est parti 20 minutes en retard, on est arrivé après minuit et demie mais cela n’avait pas d’importance car on était tellement nombreux qu’il y ont pas fait attention. Aujourd’hui il tombe de l’eau. Bien le bonjour, Arsène. »

    Ses obligations militaires ne mirent pas un terme à sa pratique du cyclisme, même si on peut s’interroger sur la manière utilisée pour poursuivre ses entraînements. En effet, alors qu’il est toujours sous les drapeaux, il participa à un nouveau championnat de France amateur. En 1914 il est classé 3e des 17 inscrits. Ce dernier championnat se déroule le 26 juillet 1914.
    La seconde carte n’apporte qu’une petite précision :

« Sur cette carte là, on voit le coin de la fenêtre de notre chambre au premier, et il y a aussi mon petit copain le garçon de bistrot.
Arsène
J’espère que moi, vous me reconnaîtrez sans que j’ai besoin de vous faire signe ».

  • Où est Arsène ?

    S’il a eu la bonne idée d’indiquer par une croix l’emplacement de son ami le garçon de bistrot sur la photographie, il n’a laissé aucun indice pour dire où il se trouve lui-même.

    Par chance, Arsène Alancourt a été un coureur cycliste professionnel connu après la Première Guerre mondiale. Une photographie, reprise pour des cartes postales, nous donne une vision précise de son visage en 1923.

    J’ai donc comparé cette photographie avec tous les hommes visibles. Grâce à la forme du visage, à la forme des oreilles, à certaines proportions, je suis arrivé à la conclusion qu’un seul homme correspond, visible sur les deux clichés, avec dix ans de moins :

  • De corvée de pommes de terre

    Scène classique de la vie de caserne, la corvée d’épluchure permet à certains conscrits de se mettre en scène. Les pommes de terre ont été jetées en vrac sur le sol. Une fois épluchées, elles doivent rejoindre la bassine métallique, pour l’instant occupée !

    Un autre a placé un bidon de la classe (voir cet analyse d’image) sur son képi (3e homme en partant de la droite ci-dessous).

    Ce que l’homme tient n’est pas une bouteille, mais bien une pomme de terre plantée sur son couteau.

  • Arsène Alancourt pendant la guerre

    La fiche matricule n’est pas très loquace concernant le parcours de mobilisé d’Arsène Alancourt. Il est simplement noté qu’il était en campagne du 2 août 1914 au 25 août 1919 à la 1ère compagnie du 82e RI. Même s’il a pu être temporairement évacué sans que cela ne soit indiqué, une telle longévité est exceptionnelle. Toutefois, ses citations nous montrent qu’il n’est pas un simple fantassin. Il fait fonction d’agent de liaison. C’est un petit entrefilet dans L’Auto n° 5538 du mardi 28 mars 1916. qui nous en apprend un peu plus : « Un de nos meilleurs cyclistes indépendants, ancien champion amateur (route), cycliste du colonel. »

    Il est évacué le 25 novembre 1918 au 25 mars 1919 sans que la raison soit connue. Il retourne au 82e RI du 28 mars à sa mise en congé le 25 août 1919.

    Toujours affecté en 1919 au 82e RI, il participe sans l’ombre d’un doute au défilé du retour du régiment à Montargis le 3 août. Peu nombreux devaient être les hommes ayant fait le départ en août 1914 et le retour dans la ville. Pourtant, si sa fiche matricule affirme sa présence dans le régiment, unité combattante du 2 août 1914 au 11 novembre 1918, il n’est pas cité dans le JMO comme ayant suivi le régiment depuis le début du conflit. Vingt-trois noms de soldats présents au 82e RI « sans interruption » sont listés le 19 juillet sans celui d’Alancourt. Son évacuation du 25 novembre 1918 au 23 mars 1919 en est-elle la raison ?

  • En guise de conclusion

    Arsène marié en 1922, fit une carrière de cycliste professionnel de 1922 à 1928, réussissant à gagner une étape du tour de France en 1924. Il vécut toute sa vie à Clichy, jusqu’à son décès en 1965.

    Sa carrière est très bien mise en fiche sur des sites de cyclisme dans plusieurs pays d’Europe, mais sa vie avant et au cours du conflit est simplement vide, sa fiche matricule n’aidant guère à en savoir plus que ce que nous apprennent ses trois citations. La photographie ne nous donne qu’un instantané de la vie de cet homme qui vécut 73 ans, y compris 6 sous l’uniforme, et dont on ne connaît finalement presque rien. Tout comme on ne sait rien de ses neuf frères, aucun d’entre eux n’est disparu pendant le conflit, alors que sept ont dû être mobilisés. Ce serait un cas assez exceptionnel qui mériterait d’être étudié.

  • En complément :

L’excellent travail concernant le retour du 82e RI à Montargis est à découvrir en neuf articles sur ce blog :

http://poilusdelame.blogspot.com/

Le film du retour du 82e RI à Montargis :
http://memoire.ciclic.fr/7121-retour-du-82e-regiment-d-infanterie-a-montargis

  • Sources :

Archives départementales de l’Aube :

– 8 Fi 11080 : carte postale de la caserne Beurnonville de Troyes.
http://www.archives-aube.fr/ark:/42751/s005f86fecf38675/5f98474734857

Archives de Paris :

– D4R1 1676 : fiche matricule de ALANCOURT Arsène, classe 1912, matricule 2693, bureau de recrutement de Seine 2e bureau.

Service Historique de la Défense :

– SHD 26 N 665/4 , JMO du 82e RI, 1918-1919.

  • La carrière d’Arsène Alancourt :

http://www.memoire-du-cyclisme.eu/amateurs/chpt_france_1914.php
http://www.siteducyclisme.net/coureurfiche.php?coureurid=112

  • Ernest Alancourt en images dans Gallica :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53116367m.r=Ars%C3%A8ne%20Alancourt
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90548139.r=Ars%C3%A8ne%20Alancourt
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5412071x/f13.item.r=Ars%C3%A8ne%20Alancourt.zoom
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9053639j


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