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67 – Un militaire, vraiment ?

Parfois on a du mal à s’imaginer qu’un cliché ait un lien, même lointain avec la Première Guerre mondiale. Ce cliché sombre appartient à cette catégorie d’images qui ne retient pas l’attention et pourtant…

  • Un cliché qui ne dit rien ?

Avec ses ombres marquées, son éclairage insuffisant venant de la gauche, cette photographie semble avoir été prise en intérieur par un non professionnel.

Certes, elle a voyagé, mais son auteur ne nous a donné aucun élément pour nous mettre sur une piste quelconque. Les choses devaient lui paraître bien trop évidentes pour nécessiter un commentaire. De même, il ne prend pas la peine de s’identifier sur la photographie, le destinataire devant le reconnaître à coup sûr. Mais pour nous…

Si la carte n’est datée, l’oblitération n’est pas d’une grande aide. En effet, elle est simplement illisible sur sa majeure partie. L’année est peut-être 1912. La commune pourrait être « LA FERTE-BERNARD » en Sarthe. Si tel est le cas, ce ne sera qu’un complément pour confirmer une éventuelle piste.

Aucun uniforme n’est identifiable avec certitude. Heureusement, Étienne est un peu plus loquace sur  son quotidien au moment de l’envoi. Il donne notamment son prénom – Étienne donc – et son nom, Tortevois.

  • Tout est dans le texte !

Étienne écrit, mais de manière plutôt phonétique. Voici la transcription de son mot, où j’ai scrupuleusement respecté l’orthographe originale.

« Chère Patron

je vous envoi ces deux mot pour vous donner de mais nouvelle qui sont toujours binne je vous dirait que je vas mennaler pour deux mois en comvalaicanse  disi peux sa comance a aitre bonb nous somme bientô de La classe sa aproche je vais rantrere aprais les bleux il oront plus de service que moi car je nait encore que 50 jour et je su[is de] la classe sa ces de la vinne je finie ma carte en vous souhaitans bien le Bonjour a tous

Etienne Tortevois »

L’image n’en montre rien, pourtant Étienne est bien un soldat ! L’allusion à l’arrivée des bleus, les 50 jours avant la classe le prouvent, tout comme l’indication de son départ prochain en convalescence. Est-il à l’infirmerie ? Dans un hôpital ?  Cette dernière hypothèse pourrait expliquer la présence d’un homme portant un tablier. Les autres hommes pourraient être alors des malades. Mais le cliché pourrait tout aussi bien avoir été pris à la caserne : il pourrait avoir été pris lors d’une corvée, dans un atelier ou aux cuisines par exemple.

Il est peu probable que la photographie ait été prise chez son patron. L’auteur n’aurait alors probablement pas manqué de le signaler, d’autant plus qu’il n’a pas donné de nouvelles depuis un certain temps. Toutefois, l’hypothèse d’un cliché pris dans un contexte civil ne doit pas être éliminée, aucun élément des tenues n’évoquant l’armée. A moins que la marque noire en haut à droite de la chemise de cet homme ne montre l’immatriculation d’un effet militaire.

Il est temps maintenant de chercher si Étienne peut être retrouvé. On a une identité, un département (la Sarthe, grâce à l’oblitération) et une période probable, vers 1912.

  • Étienne Tortevois au service actif

La recherche dans les tables des recrues sarthoises autour de 1912 a vite été concluante : on trouve un Étienne Adrien Émile Tortevois, classe 1910, matricule 676 au bureau de recrutement de Mamers dans la Sarthe. La provenance de la photo carte, oblitérée à la Ferté-Bernard est cohérente puisqu’il y vivait et y était né. Le niveau d’instruction correspond bien au « 2 » de sa fiche matricule, son écriture étant peu assurée et phonétique.

Il ne faut pas voir d’incohérence entre la date écrite, « 1912 » et ce qu’il écrit, à savoir qu’il est dans 50 jours de « la classe ». Il précise « je vais rantrere aprais les bleux il oron plus de service que moi ». Effectivement, s’il a deux mois de convalescence, les bleus passeront plus de temps à la caserne que lui.

  • En savoir plus sur cet homme

Évidemment, qui dit fiche matricule et photographie, dit tentative pour identifier Étienne. La mission n’est pas simple pour un piètre physionomiste mais la fiche matricule est très précise sur certains points. Voici le tableau récapitulatif et les cinq portraits.

Informations de la fiche matricule

Yeux : marrons

Cheveux : Châtains

Front : Inclinaison verticale, hauteur moyenne, largeur grande.

Nez : Dos rectiligne, base relevée, hauteur moyenne, largeur grande.

Lèvres : non renseigné

Menton : non renseigné






Si, par chance, son dossier d’ancien combattant est conservé aux Archives départementales, il ne contient hélas ni d’ancienne carte renouvelée ni de photographie qui auraient pu nous aider dans cette identification.

  • Étienne Tortevois, combattant de 14-18

Étienne fut mobilisé dès le 2 août 1914, bien que devenu réserviste après la fin de son service actif. Intégré au 103e RI, affecté à la 3e compagnie, il participa à toutes les opérations du régiment jusqu’à sa première blessure lors des combats du 24 février 1915 en Champagne. Une fois guéri de sa blessure par éclat d’obus à la main droite, il réintégra sa compagnie jusqu’à sa commotion pas éclat d’obus lors de l’offensive de septembre 1915, toujours en Champagne. Évacué le 27 septembre vers l’hôpital de Melun, il ne retourna pas au front. Dès le 12 novembre 1915, il fut détaché à l’usine Jumeaux de Boessé-le-Sec. Son affectation au 104e Régiment d’Artillerie Lourde fut probablement administrative. Son métier d’avant-guerre semble donc lui avoir permis de rester à l’arrière, de bénéficier d’un sursis en 1919 avant sa démobilisation en août de la même année.

  • En guise de conclusion

Même s’il n’y a aucune certitude concernant le fait que ce cliché ait été pris dans une caserne, ce document est l’occasion de mettre un visage sur un mobilisé de 1914. Malgré son caractère isolé, ce document ne nous éclaire pas moins, une fois encore, sur le laconisme de la fiche matricule. Où il n’y a que la mention de son incorporation et de sa libération du service actif, on découvre grâce à cette photo carte qu’il alla en convalescence. Son dossier d’ancien combattant a aussi permis de mieux cerner son parcours en 1914-1915 mais pas pour le reste du conflit.

  • Sources :

Archives départementales de la Sarthe : https://archives.sarthe.fr/

Fiche matricule de Tortevois Étienne, classe 1910, matricule 676 au bureau de recrutement de Mamers, 1 R 1203. Vue 268/775.

Dossier d’ancien combattant de Tortevois Étienne, 3 R 364.


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