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60 – Souvenir de Villefranche-de-Rouergue

Deux jeunes hommes photographiés alors qu’ils sont au dépôt du 76e RI. Tel est le début de la recherche qui nous a conduits dans une ville sans garnison ni caserne : Villefranche-de-Rouergue dans l’Aveyron. L’occasion de découvrir le parcours des soldats Foucault et Guyon du 76e RI et leur passage dans la petite commune.

  • De jeunes hommes au dépôt

La localisation des deux prises de vue ne fait pas l’ombre d’un doute. C’est écrit sur l’une des deux photos cartes : le cliché a été pris à Villefranche-de-Rouergue dans l’Aveyron.

« Villefranche le 19 Septembre 1915
Chere Tante et Cher Oncle
Souvenir De Villefranche
Il faudrat me dire si je suis bien tirer à par le quépit
Monsieur Guyon

Soldat au 76e Dinf 30e Comp
Villefranche De Rouergue
Aveyron »

L’indication de la 30e compagnie précise qu’il s’agit de jeunes soldats affectés au dépôt loin du front, confirmant l’impression donnée par les uniformes. Les tenues sont classiques de celles fournies dans la structure, composées d’effets usagés et d’effets neufs obtenus au compte-goutte et donnant cette impression d’uniformes dépareillés. Or, il n’y a ni dépôt ni caserne dans cette commune ou dans ses environs.

  • Pourquoi Villefranche-de-Rouergue ?

Avant d’imaginer des permissionnaires, il faut s’intéresser à la structure du dépôt du 76e RI localisé à Rodez depuis septembre 1914. Ce n’est pas exactement tout un dépôt qui est en place à Villefranche-de-Rouergue, mais on sait grâce aux articles publiés dans Le Narrateur de Villefranche-de-Rouergue qu’une antenne du dépôt y est installée. Cette antenne est organisée en décembre 1914 afin de servir de centre d’instruction pour les soldats des classes appelées pendant la guerre.

Au 1er mai 1915, 1816 hommes sont présents au dépôt du 76e RI à Rodez, dont 310 pour être envoyés en renfort. 327 sont à Villefranche-de-Rouergue. Les effectifs présents dans cette dernière sont donc réduits à quelques centaines de soldats mais ils augmentent très vite car au 25 mai, ce ne sont pas moins de 1205 hommes qui se trouvent dans la petite ville avec l’arrivée de la classe 1916 à partir du 15 mai. Au 25 juillet 1915, les effectifs sont retombés à 710. Hélas, ce sont les seules informations disponibles sur ce centre d’instruction dans les archives du SHD.

Si la documentation au SHD sur cette antenne est pratiquement inexistante à l’exception des effectifs, cela permet tout de même de confirmer que ces jeunes hommes sont photographiés au moment de leur instruction avant tout envoi au front et appartiennent soit à une classe appelée pendant la guerre, soit à des récupérés de classes plus anciennes.

  • Un même photographe ?

Même si leurs capotes sont de deux modèles différents, tout laisse penser que ces deux soldats ont été photographiés par le même professionnel. Les points communs sont nombreux : rouleau d’épaule unique à droite, chiffres du numéro du régiment passés à la craie, uniforme bleu gris de fer typique des effets fournis dans les dépôts, ceinturon, position et décors à l’arrière. Même si une des deux images est moins contrastée, on voit aisément qu’il s’agit du même décor floral qui sert d’arrière-plan et que les deux hommes se tiennent sur un tapis. On note finalement le même manque de soin dans le cadrage du tirage qui ne se gène pas pour montrer ce tapis. Les tirages à la chaîne ne permettaient peut-être pas le même soin car même si un seul cliché dispose du cachet, ces deux photographies ont été réalisées par « P. Dintilhas » qui a apposé son cachet au verso de l’une des deux.

En réalité le seul photographe trouvé avec un nom proche à Villefranche est Paul Dintilhac et non Dintilhas. L’observation d’autres clichés confirme l’identification. En effet, on y retrouve la même technique sans soin pour le tapis et la mise en valeur du sujet.

  • Destin des deux hommes

Il est temps de s’intéresser aux deux hommes immortalisés par le photographe pour lesquels on dispose d’un nom : « William Foucault » pour l’un, « Guyon » pour l’autre.

GuyonWilliam Foucault

Si pour William Foucault, en raison de la rareté de son prénom, l’assurance de trouver la bonne fiche matricule existe, tel n’est pas le cas pour le soldat Guyon en l’absence de toute information complémentaire. Ce dernier nous laisse juste un indice, en plus des traits de son visage : il est toujours à Villefranche-de-Rouergue le 19 septembre 1915.

Un William Foucault et deux « Guyon » ont été découverts. Tous sont de la classe 1916 et ont été affectés au dépôt du 76e RI pour leur instruction avant envoi dans la zone des armées.

William Foucault est natif d’Ingré, village situé au nord d’Orléans. Il est ouvrier agricole quand il est appelé. Il rejoint le 76e RI le 12 avril 1915 où il est immatriculé n° 8432. Il passe au 15e RI le 8 décembre 1915 puis au 155e RI le 15 mai 1916. C’est probablement à cette date qu’il rejoint une unité combattante. Il est tué le 12 août 1918 à Conchy-les-Pots.

Pour « Guyon », on dispose de deux prétendants. Voici un tableau comparatif des éléments disponibles.

Guyon Maurice Fernand, matricule 8658Guyon Maurice, matricule 8378
Front large vertical, visage ovale, 1, 58 mVisage rond, 1,61 m.
Classe 1916, LoiretClasse 1916, Seine-et-Marne
76e RI du 12 avril 1915 au 25 septembre 191676e RI du 13 avril 1915 au 18 août 1916
411e RI du 25 septembre 1916 au 19 août 1917404e RI du 18 août au 11 septembre 1916
Tué à la Cote du Poivre le 19 août 1917Tué à Belloy-en-Santerre le 10 septembre 1916

Il est pratiquement impossible de départager ces deux candidats. En effet, ils sont tous deux encore au 76e RI au 19 septembre 1915 et donc potentiellement à Villefranche-de-Rouergue. La seule différence est la forme du visage. William Foucault a le visage rond. Il ne ressemble pas dans sa forme à celui de notre « Guyon ». Or le « Guyon » de Seine-et-Marne a un visage rond, donc par élimination, il pourrait s’agir de celui du « Guyon » du Loiret. Mais je n’irai pas plus loin que l’hypothèse car l’indice est pour le moins mince et un autre Guyon pourrait exister.

  • En savoir plus sur le 76e RI à Villefranche-de-Rouergue

Rien ne vaut les témoignages pour en apprendre plus en l’absence de sources nombreuses au SHD et d’articles de la presse locale précis à ce sujet. Il existe un fonds numérisé à l’occasion de la Grande collecte de 2014 disponible en ligne sur le site des Archives départementales du Loiret.

Le cliché ressemble beaucoup aux deux étudiés, même pause, un fond de studio, un uniforme très proche, mais il a été pris à Rodez comme l’atteste la mention au dos.

Seule certitude, ce jeune caporal, Louis Derenne, n’a pas croisé la classe 1916. Classe 1914, il arrive au 76e RI le 10 septembre 1914, y gagne ses galons de caporal le 9 novembre. Il reste un temps avec la classe 1915 avant de partir au 416e RI le 1er avril 1915.

Pour la seconde photographie, deux éléments plaident pour un passage devant le photographe de Villefranche-de-Rouergue. Le décor à l’arrière-plan avec ses plantes aux feuilles très caractéristiques ressemble à celui des deux portraits. Dans ce qu’il écrit au verso, il sous-entend qu’il n’est plus à Rodez car il note « Aujourd’hui, corvée de lavage dans l’Aveyron. Endroit pas si pittoresque qu’à Rodez ». Surtout, ce fonds comprend une exceptionnelle correspondance. Dans cette dernière, à partir du 17 décembre il indique être dans la ville qui nous intéresse en écrivant sur une carte postale de ladite ville ! « Partis de Rodez à 1h. de l’ap. midi, arrivés à 9h au soir avec tout notre barda sur les reins et sur les bras. Couchés en billets de logement chez les Villefranchois. Reçus à bras ouverts : voilà 30 ans qu’ils réclament des soldats ! (…) ».

Le 25 janvier 1915, il écrit à sa tante : « Mes soldats sont tous très gentils avec moi et je tâche de le leur rendre le plus possible, sans dépasser la limite. L’autre jour, je me suis fait photographier avec eux. Je t’enverrai aussi cette photo. » Il est le caporal au centre, debout avec son 1,72 m.

J’invite à découvrir la correspondance de ce caporal. Elle est très dense et pratiquement quotidienne. On y découvre des moments importants et l’organisation à son échelle de la vie à Villefranche-de-Rouergue pendant ses trois mois de présence dans la ville (décembre 1914-février 1915).

  • En guise de conclusion

S’il y a encore des doutes sur l’identification du soldat Guyon, cette petite recherche permet au moins d’expliquer la présence de soldats dans une ville sans garnison. Il doit exister bon nombre de clichés de jeunes soldats pris dans cette commune. Ainsi, si vous voyez passer des photographies de jeunes soldats du 76e RI, observez le tapis et le décor, il s’agira peut-être d’un cliché pris à Villefranche-de-Rouergue où l’antenne resta jusqu’à 1917 environ.

  • Sources :

Service Historique de la Défense (Vincennes) :

SHD GR 7 N 1997, Centres d’instruction, dossier de la 16e région militaire.

Archives départementales du Loiret :

1 R 88022 : fiche matricule de Guyon Maurice Fernand, classe 1916, matricule 1073 au bureau de recrutement d’Orléans.

1 R 88023 : fiche matricule de Foucault William Émile Alexandre, classe 1916, matricule 1697 au bureau de recrutement d’Orléans.

10 Num 163 : Fonds Derenne, photographies.
https://www.archives-loiret.fr/ark:20522/e005a93c577e8f8d/5a93c577f1d5b.fiche=arko_fiche_62223b46c13e5.moteur=arko_default_62bd9d78b7d06

10 Num 121 : correspondance entre Louis Derenne et sa famille.

Archives départementales de Seine-et-Marne

1 R 1443 : fiche matricule de Guyon Maurice, classe 1916, matricule 42 au bureau de recrutement de Fontainebleau.


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