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55 – Jouer à la petite guerre (1), 1914

   Jouer à la guerre est une activité que l’on pourrait imaginer réservée aux enfants, surtout en période de conflit. Certains allant du jeu au passage à l’acte en rejoignant des unités mobilisées, combattantes ou non, afin de faire le coup de feu. Ces derniers ont été étudiés par Manon Pignot, L’appel de la guerre. Des adolescents au combat, 1914-1918. Cependant, ici il s’agit d’hommes mobilisés, donc appelés à être en contact avec la guerre qui jouent à ce que la légende de l’image appelle « la petite guerre ».

Collection Archives municipales de Besançon

    Afin d’avoir une meilleure lisibilité de la photographie dont l’originale est particulièrement pâle, les images utilisées ont été retravaillées.

  • Jouer à la « petite guerre »

    Difficile de savoir qui est à l’origine de la légende lisible au verso de la photographie. Est-ce l’auteur ? Un homme visible ? Un membre de la famille d’un soldat ? Un collectionneur ? Un archiviste ? Elle n’est pas de l’époque de la photographie. Le cliché est daté de 1914 par la gravure réalisée par le photographe sous le nom du lieu. Par contre, la mention « 1914-18 » montre une inscription ultérieure.


    La localisation de la scène est simple car elle est donnée au verso : « à Dannemarie (près de Blamon) ». Nous sommes donc dans la gare de Dannemarie-sur-Crète, petite commune du Doubs et non dans la fameuse commune de Dannemarie d’Alsace connue pour son viaduc (voir le récit de ses destructions ici https://combattant14-18.pagesperso-orange.fr/JMO/JMO_021.html ).

Comme l’indique sa légende, il s’agit de soldats français en train de s’amuser. Cette légende est parfaitement adaptée au cliché. En effet, on y voit un groupe de soldats français en train de tenir en joue un soldat allemand, à gauche du groupe, reconnaissable à son casque à pointe. 

    Le soldat s’est déguisé. Il a passé une veste par dessus sa capote dont il a rabattu les rabats, il s’est coiffé d’un casque à pointe et le tour est joué. Le sourire est de rigueur et la pose peu martiale avec son fusil Gras, modèle français distribué à certaines troupes.

    Le casque a-t-il été fourni par le photographe ou un soldat se l’est-il procuré grâce à un soldat français passé par la gare, impossible une fois encore de le dire. La seule certitude est que ces hommes n’ont pas pris ce casque au combat car, s’ils sont armés de fusils, leur rôle n’est pas vraiment celui de combattants.

  • Dannemarie-sur-Crète, loin du front

    Ces hommes ne sont pas vraiment des combattants et un détail trahit leur fonction : ce sont des GVC, chargés de la surveillance des gares et des voies ferrées. 

    Ces GVC appartiennent aux classes les plus anciennes mobilisées, on le voit bien ici. Leur équipement est sommaire, le plus souvent une capote, un képi, un fusil d’un ancien modèle. Il est aussi disparate, la capote pouvant se réduire à une veste. Ces effets sont ceux qui restent dans les casernes après l’équipement du régiment d’active, de celui de réserve et du régiment territorial. Ainsi, l’homme à l’arrière plan a-t-il un pantalon de treillis théoriquement réservé aux exercices. La mobilisation ayant vidé les magasins, cette situation est pour ainsi dire la règle pour les GVC, avec une absence de jambières ici remplacées par quelques bandes molletières. Une écharpe complète les effets de l’homme allongé, laissant penser que nous ne sommes plus à l’été 1914.

    Aucun de ces hommes n’a de cartouchière visible, mais presque tous ont mis la baïonnette au canon. Cependant ce qui identifie ces hommes à des GVC à coup sûr sont les brassards que certains portent. On y devine le « GC » désignant ces unités.

    Ils jouent la scène devant le chef de gare et son chien qui semblent plutôt impassibles.

  • La gare de Dannemarie-sur-Crète

    Cette photographie ne montre pas que cette scénette militaire. Elle propose une vue très riche de la gare. Les hommes se sont positionnés sur les voies, là où un passage planchéié permet de rejoindre le quai opposé.

    Au moins deux CPA de cette partie de la gare existent, mais elles sont rares et je n’ai pu m’en procurer une bonne copie libre de droits. Heureusement, le modèle de gare visible ici se retrouve aussi dans celle de l’Isle-sur-Doubs.
Cette gare possède la même architecture à l’exception des volets battants qui sont remplacés par des  volets roulants à Dannemarie-sur-Crète.

Collection particulière

    On retrouve un passage planchéié (1), un auvent (2), une horloge surmontée par ce qui ressemble à une lampe de chef de gare (3) et deux affiches (4). On peut imaginer où le photographe s’est placé pour faire son cliché, sur le quai.



    L’heure n’est hélas pas visible en raison de l’état du document original et d’une numérisation de faible qualité. Par contre on voit très bien le placard publicitaire à droite et l’affiche placardée sur la gauche.

    Il s’agit de l’affiche de la mobilisation générale d’août 1914. La gare était un lieu important dans un village d’un peu plus de 160 habitants en 1911 comme Dannemarie-sur-Crète et il n’est pas étonnant que ce lieu ait été choisi pour placarder l’information.
    L’affiche encadrée à droite est très connue. Fort logiquement, elle invite les voyageurs à partir vers les Baux-de-Provence, destination simple depuis cette gare. D’ailleurs, elle est mise sur le quai qui est à destination de Dijon qui donne accès au Sud ensuite. 

    Cette affiche réalisée par l’artiste connu sous le nom de « Marco » date de 1912 est facile à reconnaître.
Une meilleure qualité d’image aurait permis de mieux percevoir l’intérieur de la gare et l’affiche accrochée au mur en particulier. Les reflets dans les vitres auraient aussi été intéressants à observer. 

    Un dernier élément intrigue sur cette image. On observe un homme avec un chevron sur la manche gauche. Cela ne correspond à rien de réglementaire. 

  • En guise de conclusion

    Cette photographie est riche de nombreux éléments à étudier et permet d’illustrer le fait que certains  hommes se mettaient en scène dans des attitudes guerrières plus ou moins sérieusement à défaut de voir le combat de près.

    Reste une dernière question qui nécessite encore quelques investigations : le donataire a-t-il pu hériter du cliché par un membre de sa famille affecté aux GVC en 1914 ? Recherche en cours.

  • Sources

Archives municipales de Besançon, PH168. Positif sépia de 1914, Acq. 351 (don Marcel Petitjean, 1994).
https://memoirevive.besancon.fr/ark:/48565/pxv3sm1z2kc4/7a82f59c-9070-4513-b1bd-d6265ef02d59

  • Illustrations

– Affiche de la mobilisation : ici

– Affiche PLM « Baux de Provence » : https://www.masterposters.fr/en-vente-les-baux-de-provence-trains-plm-affiches-anciennes-13543.html

  • Pour approfondir le sujet

Pignot Manon, L’appel de la guerre. Des adolescents au combat, 1914-1918, Anamosa, 2019.  

Le site des GVC : https://gvc-14-18.pagesperso-orange.fr/legvc.html


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