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4 – Bordeaux, 144e RI, vers 1912-1914.

Nouvelle énigme que cette photo-carte. Multiples énigmes même puisque ni le lieu, ni la date, ni l’unité, ni le nom de celui qui est sous la croix ne sont connus. Cela fait beaucoup. Mais cette carte peut nous en dire un petit peu plus..

  • Des soldats du 144e RI

A première vue, affirmer que ces hommes sont du 144e RI pourrait être présomptueux tant l’image est avare en indice. Avare, mais pas sans indices. Un zoom une fois encore permet d’avoir un brin de certitude sur ce point… ce sera d’ailleurs le seul. Le 144e RI de Bordeaux. Oh ! le 144 n’est pas bien net, je l’admets, mais il est malgré tout nettement identifiable sur deux képis, par la position qui exclue un numéro de régiment à deux chiffres et par la forme des chiffres. Il ne faut pas se laisser abuser par la forme du dernier 4 sur le képi du soldat à droite : le grain de la photographie laisse penser qu’il s’agit d’un 3. Si c’était le cas, il serait surélevé par rapport aux autres chiffres. Sinon, ce 144 n’est nulle part ailleurs.

  • Qui sont ces hommes ?

Treize hommes et deux sous-officiers au milieu d’eux. La position des hommes et la présence de ce caporal et de ce sergent rengagé peut faire penser à la photo-carte d’un groupe d’élèves caporaux. Aucun élément pour l’instant, à part ces similitudes, ne permet d’aller au-delà de l’énonciation d’une simple hypothèse.

Nous avons plus sûrement un groupe de recrues, semble-t-il assez jeunes malgré la présence d’un homme marié. Une autre hypothèse serait que nous sommes face à un groupe de jeunes soldats, des bleus, à l’instruction. Hypothèse qui est renforcée par la présence des képis d’instruction.

Ci-dessous, le caporal (à gauche avec une patelette de galonnage sur son torse) ; à droite le sergent rengagé avec son grade doré et un liseré au niveau du troisième bouton de sa manche marque de son rengagement).

  • Un homme à découvrir

Internet donne accès à de plus en plus d’outils qui permettraient de découvrir qui est l’homme sous la croix.

Il écrit à mademoiselle Rachel Coulon qui vit à Saint-Bonnet en Charente-Inférieure (Saint-Bonnet-sur-Gironde en Charentre-Maritime aujourd’hui). Ce qui laisse à penser qu’il est de cette commune ou proche est ce qu’il écrit dans sa carte :

« Ma pauvre sœur ainssi que ma pauvre grammer. Je vous écri c’est pour vous dire que je sui pas en trop mauvaise senter pour le moment mai je sui trais embaiter. Je praiférai être chez moi, travailler auprai vous ainssi qua vec ma pauvre femme. Plu grand chose a vous dire pour le moment que des compliments ainsi que mon portrait. »

Il y a bien des familles « Coulon » en Charente-Inférieure à l’époque, y compris à Saint-Bonnet. J’avais un doute vu l’orthographe de l’auteur de la carte, mais j’ai retrouvé l’acte de naissance d’une Rachel Coulon qui ne laisse aucun doute sur l’exactitude de l’identité de la personne à qui est adressée la lettre. Le plus difficile semble fait : on a la sœur, reste à vérifier tous les Coulon garçons de la commune ou du canton. Le recoupement se faisant par les parents. Hélas, pour l’instant, pas de résultat. Mais le troisième mot de la carte est-il le mot sœur ?

  • En guise de conclusion (1, décembre 2010)

Qui est cet homme ? Pourquoi son texte est-il si mélancolique ? L’aspect factuel est déjà mince, mais la correspondance ajoute aux questions que l’on se pose une fois le tour du document fait.

  • Des confirmations quatre ans plus tard

Une fois encore, c’est la mise en ligne des fiches matricules qui débloque cette recherche. Cette image a fait l’objet d’une de mes premières recherches et ce n’est pas sans plaisir que je me suis penché à nouveau dessus.

Rachel Coulon est née en 1892 à Saint-Bonnet et est la fille d’Alexis Coulon et d’Anna Biguereau. Si l’homme qui écrit est déjà marié, il doit être un peu plus âgé. Aucune trace d’un autre Coulon dans les tables décennales pour les années antérieures à 1892. Sa mère n’ayant que 20 ans à sa naissance, il ne semble pas pertinent de remonter trop loin non plus.

Les tables alphabétiques des registres matricules de Charente-Maritime vont par contre donner deux pistes. La première, Gaston Coulon est abandonnée, vu qu’il n’a jamais été affecté au 144e RI. Par contre, le second, Gustave, y a été affecté puis mobilisé.

De la classe 1911, Gustave a pour parents Alexis Coulon et Anna Biguereau… Il est donc le frère de Rachel ! Il est originaire de la commune de Saint-Georges-des-Agoûts. Les actes de naissance des enfants Coulon montrent qu’en 1891, la famille vivait chez la mère de la mariée et qu’en 1892 elle habitait dans une ferme à Saint-Bonnet.

Son père est décédé, deuxième indice concordant. Surtout il est bien indiqué comme étant marié depuis 1910, indication assez rare dans les fiches matricules pour qu’elle saute aux yeux.

Qui plus est, la description physique donne deux détails visibles sur la photographie : son visage est rond et il a le « teint coloré ». Seul élément invisible : sa bague de mariage, alors que l’homme juste derrière lui une porte une.

La qualité de son instruction scolaire a été évaluée à « 2 ». Il sait lire et écrire, mais sa maîtrise de l’écrit est très incomplète comme on a pu le constater.

Incorporé en 1912, cela nous donne une indication importante sur la période où cette photographie fut prise : entre fin 1912 et le début de la guerre.

Toujours à la caserne à la mobilisation, il partit le 6 août 1914 avec le 144e RI. Sa campagne fut courte : blessé dès le 23 août à Thuin en Belgique, il fut capturé. Mais sa blessure fut si grave qu’il dut être amputé de l’avant-bras droit. Incapable de reprendre les armes, il fut rapatrié dès mars 1915 en France et démobilisé. La dernière information disponible est qu’il  décéda en septembre 1918 (la date est incertaine car il semble qu’il y ait une erreur dans sa transcription sur la fiche matricule) à Mortagne-sur-Gironde à l’âge de 27 ans. Cette mort une fois démobilisé et d’une cause probablement non directement imputable à sa campagne font qu’il n’apparaît pas dans le fichier des morts pour la France.

  • En guise de conclusion (2, juin 2014)

Encore un bon exemple que ces recherches ne sont jamais achevées. La photographie et surtout le texte de Gustave prennent sens grâce à ces nouveaux éléments. Ils montrent que les pistes étaient les bonnes et à quel point la vie n’épargna pas Gustave Coulon. Une lettre mélancolique, triste, et un destin dramatique. Toutefois, évitons de romancer et d’imaginer que toute sa vie fut à l’image des deux seules sources permettant d’entrevoir son destin.

Il reste des questions qui trouveront à terme leurs réponses : Gustave et sa jeune épouse Flavie Auger eurent-ils des enfants ? Où la photographie fut-elle prise ? Mais il va falloir attendre la mise en ligne de nouvelles sources ou le coup d’œil d’un lecteur pour en savoir plus.

Sources :

Archives départementales de Charente-Maritime, 1 R 387 et état civil des communes indiquées.


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