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20 – Prise d’armes, 51e RI, Beauvais.

La vie quotidienne en dehors des photographies de groupes, des photographies en extérieur et prises lors des manœuvres, est peu représentée en images. Ce sont pourtant des instants riches qui illustrent ce qu’était la vie du conscrit. Une vie qui nous échappe souvent dans ce qu’elle a de plus quotidien. Cette photo carte en est un bon exemple.

  • Une image qui semble en dire bien peu

Pour une fois, l’objectif est moins de retrouver qui sont les personnes visibles ou l’homme qui a écrit la carte que de comprendre ce qui se passe à l’image. Il n’a pas écrit grand chose, « Bonjour à tes parents, Jean G. ». Nous sommes donc en position d’observateurs, un peu comme devant un tableau, à l’image de la scène du Sacre de Napoléon peinte par David : un officier supérieur (un général reconnaissable à son képi feuille de chêne et ses étoiles sur la manche) semble féliciter un autre officier supérieur (un colonel) suite à une revue dont on voit les participants à l’arrière plan.

Le grade des deux officiers pose problème car, en mouvements, ils sont légèrement flous, ce qui empêche de bien les distinguer. Et ce n’est que la première difficulté !

L’oblitération nous donne une indication sur la date : 11 octobre 1912. Ce qui laisse penser qu’il s’agit d’une revue qui a pu se dérouler en 1912. La venue d’un général, une revue, autant d’éléments qui permettraient de proposer une date plus précise grâce à la presse locale. Encore faudrait-il savoir où cette photographie a été prise.

Là encore, c’est le jeu du chat et de la souris : les détails se cachent et lorsqu’on en trouve un, l’information est difficile à confirmer ou nous échappe.
L’image a été tirée chez un photographe de Beauvais (Oise, 60), G. Bernerat, mais la carte a été postée depuis Paris pour le Loiret.

Un indice pourrait nous permettre de déterminer la localisation : le drapeau du régiment passé en revue. Par chance, la partie où se trouve le numéro du régiment est parfaitement visible. Enfin, visible, si une fois encore cette partie de l’image n’avait été légèrement floue au niveau du drapeau : retour à la case départ, le numéro n’est pas lisible.

A moins de trouver un autre cliché pris lors de cette revue, la carte semble ne pas nous permettre d’en savoir plus.

  • Le régiment hors de sa caserne

Les casernes ne disposent pas toujours de la place nécessaire pour réunir ses hommes pour les revues, comme pour les exercices d’ailleurs. Les revues étaient souvent réalisées sur une place publique. Le champ de la photographie ne nous permet pas, à première vue, de déterminer s’il s’agit d’une place publique. Cependant, des détails le laissent penser : l’architecture des bâtiments qui n’a pas la même uniformité que celle des casernes, la grille qui sépare la place de cette zone d’habitations, la présence de nombreux civils.

Pour confirmer cette idée, sachant que le postulat de départ est que la photographie a pu être prise à Beauvais, reste à vérifier l’architecture des casernes puis des places (2).
Pour les casernes, rien de proche : les casernes Watrin et Taupon ne ressemblent pas à cette place.
Pour les places, la place de l’hôtel de ville, de la gare, du jeu de paume n’ont rien de commun. Reste la place du Franc-Marché qui a une physionomie qui s’en rapproche : légèrement en pente, des bâtiments qui semblent être d’une architecture semblable. Serions-nous au bon endroit ?

La pente laisse penser que la photographie a été prise en regardant en direction de la rue d’Amiens : cette rue est à 74 mètres d’altitude à son commencement et à 84 en quittant la place du Franc-Marché. La pente ne serait pas dans ce sens si la photographie avait été prise dans une autre direction, ou les rangées d’arbres ne correspondraient pas si elles sont les mêmes en 1912 qu’en 1888 (voir plan ci-dessus).

Une confirmation peut venir du paysage actuel. Direction Beauvais, rue d’Amiens et place du Franc-Marché. La vue a beaucoup changé, la place étant désormais occupée par un centre commercial. Par contre, la rue d’Amiens semble avoir conservé ses maisons qui ressemblent beaucoup en tout cas à celles visibles sur la photo-carte. La pente de la rue est la même. On a la même architecture en briques de différentes couleurs, les mêmes entourages de portes et de fenêtres et même des chiens-assis ou des œils-de-bœuf de même style. J’en arrive même à la conclusion que c’est le haut de la rue d’Amiens qui est visible depuis la place.

La localisation est trouvée ! Cependant, faute de presse numérisée pour Beauvais, impossible de trouver, pour l’instant, la date à laquelle a pu se dérouler cette revue.
Savoir que la revue s’est tenue à Beauvais permet d’émettre une hypothèse sur le régiment des hommes présents : avant guerre on trouve le 51e RI dans la ville.

  • Par n’importe quel temps

Le temps est à la pluie, temps d’automne, ou de fin d’hiver. Les arbres n’ont aucune feuille, le sol est détrempé, les toits mouillés. Au fond, on voit quelques spectateurs : ils ont des capuches, des pèlerines, un a un parapluie et un dernier… se mouche !

Le temps n’est pas seulement humide, il est froid : on remarque que la majorité des soldats portent des gants.

Comme tout ce qui touche l’armée à l’époque, ce rassemblement est un spectacle : on voit, en plus des spectateurs, deux fenêtres ouvertes et occupées pour le contempler.

  • Une revue d’ensemble

La revue est très codifiée : place des officiers, des sous-officiers… Rien n’est laissé au hasard. Quatre compagnies sont visibles sur l’image : à notre gauche sur l’image, mais conformément au règlement intérieur à droite de sa compagnie (ou demi-compagnie ?), un lieutenant ou un capitaine.

Pour la revue d’ensemble, le Règlement du service intérieur de 1892, indique page 822. : « Le régiment, avec son drapeau, est formé dans l’ordre constitutif en ligne (…) après avoir passé devant le front du régiment (…) il ordonne au colonel de faire rompre en colonne par compagnie en ligne (…). Les compagnies sont formées sur un rang (…) les soldats à leur rang d’après contrôle ; les officiers sur un rang à la perpendiculaire à droite (…)« .

Ici, on a bien chaque compagnie mais sur plusieurs rangs, avec à la droite les officiers. On est loin de voir tous les bataillons. Mais la place est largement assez grande pour les accueillir ainsi rangés. La scène prise se trouvant alors en son centre.

  • En guise de conclusion

Au final, une image très riche, probablement localisée et à laquelle il ne manque que le numéro du régiment et une date pour en trouver le contexte exact. Et un autre cliché pour voir la disposition de tout le régiment. Ah, si les images pouvaient parler…

  • Remerciements :

Les grades des officiers ont été confirmés grâce aux connaissances de Christian Terrasson qui a pris contact pour donner ces informations et préciser que le régiment de Beauvais à l’époque est le 51e RI. Merci à lui.

  • Pour aller plus loin :

Archives départementales de l’Oise. Accès direct au site.


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