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18 – Au dépôt, 1917, Dreux (?), 101e RI

Pas d’unité clairement identifiée, un nouveau groupe mais une image symptomatique de la guerre qui se prolonge et dont le texte, bien que court, nous fait découvrir un aspect de la vie des jeunes recrues pendant la guerre.

  • À la caserne

Derrière ce classique de la photographie de militaires, le groupe à la caserne, se cache la réalité d’une guerre qui dure. Certains des hommes ont l’air jeunes, à peine sortis de l’adolescence, voire peut-être à peine âgés de 17 ans (âge minimum pour s’engager). La cigarette ou la pipe ne suffisent pas à les vieillir ! La majorité n’a pas encore de moustache, ce qui leur donne un aspect particulièrement juvénile par rapport aux clichés de groupe habituels. Paul qui a écrit cette carte est probablement l’un de ces jeunes.

Plusieurs indices montrent que l’on est dans un dépôt, à une date avancée dans le conflit : outre la jeunesse des conscrits, les guêtres de l’un des hommes sont d’un modèle de la production d’urgence et le mélange des képis entre anciens modèles et modèles bleu horizon (modèle 1914, plus bas que les modèles 1884).

Surtout, les trois hommes portant une veste et non un bourgeron et un pantalon de treillis – à l’exception du cycliste à l’extrême droite du groupe – ont trois chevrons sur le bras gauche. Ce sont des chevrons de présence au front qui indiquent deux ans de présence dans la zone des armées (un an pour le premier chevron, six mois pour chacun des suivants).

Cela donne un cliché pris entre 1916 et 1918 (les chevrons commençant à être portés au second semestre 1916). Savoir qui est Paul permettrait d’être plus précis.

  • Qui est Paul ?

Paul a signé de son prénom ; il s’adresse à madame Gauchery, habitant rue du Val à Châteaudun, en la vouvoyant. Il lui écrit sans rien dire de superflu, sans indication sur qui elle est pour lui. Ce pourrait-il que ce soit sa mère ? Il la rassure sur le fait qu’il est entouré de bons types, qu’il ne gaspille pas son argent vu que la photographie ne coûte que deux sous et qu’il n’en a acheté qu’une. Un peu comme le ferait un jeune garçon.

Pour essayer de confirmer cette hypothèse avec des éléments concrets, direction le recensement de 1901 sur le site des Archives départementales d’Eure-et-Loir (28). On trouve rue du Val Saint-Aignan un Gauchery Auguste et son épouse Amélie Lecœur, ainsi que leur petite fille Marcelle née en 1899 et leur fils… Paul, né le 5 septembre 1898 ! Paul, classe 1898, appelé en avril 1917, tout cela colle bien avec ce que l’on peut interpréter du texte et de ce que montre l’image.

A noter que la rue du Val Saint-Aignan est toujours appelée par les Dunois « rue du Val », un siècle après que Paul ait mis ce nom usuel sur l’adresse de sa carte. Il n’y a donc pas d’erreur d’identification. Voici une vue récente (2012) de la maison que sa famille devait occuper.

Il manque peu de chose pour avoir une certitude. En effet, après une observation très fine de l’image dont le grain empêche une numérisation aussi poussée que pour d’autres images, il me semble percevoir le numéro du régiment sur trois bonnets de police : je pense lire « 101 ».

Pour un Dunois, une affectation au dépôt du 101e RI n’est pas illogique, c’est un des régiments d’infanterie les plus proches de Châteaudun : il se trouve à Dreux. La fiche matricule de Paul Gauchery nous permettrait d’être sûr : s’il est bien affecté au 101e RI, plus de doute, c’est notre homme.

  • Solidarités à la caserne

Le texte de Paul ne dit pratiquement rien de son quotidien mais met en lumière un aspect très important de la vie au dépôt : l’intégration dans un groupe. D’ailleurs, il est significatif que Paul n’ait pas besoin de donner d’explication, la situation est simplement classique.

« Je vous envoie un groupe où il y a mon caporal et Deschamps, cela ne ma pas coûté cher, ils les vende 2 sous c’est pourquoi j’en ai acheté une. Le caporal là c’est le meilleur type qui existe. Le numéro 2 c’est mon ancien qui est son copain. C’est un bon type également. Bons baisers. Pau».

Pour écrire ces détails, c’est que Paul doit être arrivé récemment à la caserne.

Le caporal vient en premier. Paul en fait l’éloge en une phrase, un peu plus loin. Sur quels critères ? Nous ne le saurons jamais. Son ami Deschamps vient ensuite. Il termine par son « ancien ». L’ancien ne l’est pas spécialement par son âge avancé mais il appartient à une classe qui connaît déjà les ficelles de la vie militaire et prend sous son aile un bleu : c’est un parrain désigné par des affinités – dont l’argent – qui va tutorer la jeune recrue, lui inculquer les bases du quotidien. Réalité incontournable de la vie avant-guerre qui se perpétue pendant le conflit.

Le jeune homme n’est pas seul au milieu d’inconnus : il est intégré dans un groupe.

Hélas, de ces quatre hommes, le seul dont on ne connaît pas le visage est Paul. Est-il un des deux jeunes entourant son ancien ? Est-il avec Deschamps ? Est-il ailleurs ? Pas de poignée de mains ni d’accolade : aucun n’a de geste amical pour nous aider.

Une information utile !

Paul indique qu’il a payé cette photo-carte « 2 sous ». Parler en « sous » alors que la monnaie est le Franc est un usage qui est toujours d’actualité aujourd’hui, bien que l’expression ait perdu une partie de son sens. Un sou représente 5 centimes. Cette indication du prix montre à quel point la photographie était devenue un produit assez courant, comme une simple carte postale, et représentant seulement le prix d’un timbre-poste courant (10 centimes). Pour donner un ordre d’idée, 10 centimes de francs de 1917 représentent environ 0,20 € de 2012.

Le prix modique explique le grand nombre de documents encore en circulation et que tant d’hommes se soient fait photographier au cours de leur service militaire. Pour ce prix, le grain est tout de même moins fin que d’autres clichés et ne permet par une numérisation aussi fine.

En guise de conclusion (1) :

Même si l’hypothèse qu’il s’agit de Paul Gauchery n’est pas sûre à 100 %, les indices sont concordants. Ce qui pourrait le confirmer définitivement, ce serait de consulter sa fiche matricule : elle nous permettrait de dater avec plus de précision le cliché et probablement de le localiser en nous donnant l’assurance de son régiment d’affectation.

Paul s’est marié en 1926 et est décédé en 1980 dans le Loiret voisin de son département de naissance.

Malgré les interrogations, ce document se révèle très riche notamment grâce au texte. Ces hommes, devenus anonymes et figés sur l’image, étaient unis par des liens forts qui nous échappent le plus souvent. On découvre aussi ce qu’un jeune d’à peine 18 ans vivait et écrivait à sa mère pour la rassurer.


  • Confirmation

La mise en ligne des fiches matricules des habitants d’Eure-et-Loir jusqu’à la classe 1918 a permis d’effectuer la vérification de l’hypothèse avancée, à savoir que Paul Gauchery était au 101e RI en 1917. Et bien il y était.  Incorporé le 1er mai 1917, il partit aux armées le 18 décembre 1917 et fut blessé le 31 octobre 1918. Il était à la fin de la guerre radiotélégraphiste à la division.Il fut renvoyé dans ses foyers en juin 1920.

On peut aussi trouver la trace de son ami Deschamps. Il y en a deux pour la classe 1918 appartenant au bureau de recrutement de Chartres. Mais le premier fut ajourné. Le second, Maurice Deschamps est aussi Dunois. Matricule 432 (contre 443 pour Paul), il a été incorporé au 101e RI le 16 avril 1917 et termina la guerre dans l’artillerie.

  • En guise de conclusion (2)

A l’occasion d’une prochaine visite aux Archives départementales d’Eure-et-Loir, je ne manquerai pas de chercher la trace de Paul Gauchery dans les archives des services des anciens combattants. Si son dossier existe et est conservé, il est possible qu’on y trouve une photographie. Cet élément nous permettrait de mettre un visage sur cet homme dont on a l’assurance maintenant qu’il est bien celui du document étudié. Document qui a toujours des informations à découvrir.

  • Sources :

– Archives départementales d’Eure-et-Loir, Recensement de Châteaudun de 1901, vue 673/717. Seule cette date a été consultée car c’est la plus tardive mise à disposition sur Internet.

– Archives départementales d’Eure-et-Loir, actes de l’état civil de Châteaudun, naissances 1898, vue 30/147.

– Archives départementales d’Eure-et-Loir, cadastre de Châteaudun.

– Archives départementales d’Eure-et-Loir, 1 R 548 (matricules 432 et 443).

– Calcul de la conversion entre le franc 1917 avec l’euro de 2012 : site de l’INSEE.

  • Pour compléter par un peu de lecture sur anciens et bleu :

– Un livre d’historien :

ROYNETTE Odile, « Bons pour le service », l’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Editions Belin, 2000.

– Un livre évoquant le lien (idéalisé) entre l’ancien et le bleu avant guerre :

Elie Durel, L’histoire d’un conscrit de 1913, Rennes, Editions Ouest-France, 2008.

– Un livre évoquant ce lien pour un soldat de la classe 1917 dans l’artillerie :

GRANCHER Marcel-E., 5 de campagne, Lyon, Les éditions de Lugdunum, 1937.

  • Remerciements :

À Y. Le Floc’h pour ses corrections et précisions concernant le sou.


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