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16 – Léon Mayeux, 18e BCP, Longuyon, 1913.

Le recul du temps, qui nous met en position d’observateur connaissant la fin de l’histoire, fait que l’on regarde les photographies prises avant-guerre avec un regard parfois empreint d’une certaine fatalité. Léon Mayeux, qui pose et a écrit ces deux photos-cartes, ne pouvait s’imaginer ce qui l’attendait.

  • Léon Mayeux à Photo-éclair

C’est le lot commun de trouver des photographies soit sans aucune indication de l’identité des personnes visibles, soit avec le célèbre « J’espère que tu me reconnaîtras » et autres remarques dans la même veine, soit avec une simple croix sur une carte restée vierge. Dans la série des images qui nous posent problème, il y a également la paire de soldats dont les noms sont indiqués sans qu’il soit possible de déterminer qui est qui. Cela aurait pu être le cas de Léon Mayeux qui pose ici avec un camarade.

Heureusement, lors de sa séance au studio « Photo-éclair » à Longuyon, il s’est aussi fait prendre seul et il a ensuite écrit à sa famille, l’une en novembre et l’autre en décembre 1913.

Qui plus est, pour une fois, nous avons son visage, mais aussi son unité précise et des écrits qui permettent d’avoir plus de certitudes que d’habitude dans cette rubrique.

  • Un chasseur à pied

J’avoue avoir du mal à distinguer les fantassins de régiment d’infanterie (ou RI) des chasseurs des Bataillons de Chasseurs à Pied (ou BCP) au premier regard. Ce n’est donc pas ce qui a attiré mon regard non exercé sur cette photographie au départ.

Le cas est toutefois assez clair pour faire apparaître les caractéristiques de l’uniforme des chasseurs (2) :

1 – Capote 1877 de même couleur que dans les RI, mais pattes de collet jonquille avec numéro du bataillon sur fond de même couleur que la capote ;

2 – Les boutons sont en étain avec un cor de chasse ;

3 – Le pantalon est en drap gris de fer foncé avec passepoil jonquille ;

4 – Le képi est du même modèle que dans le reste de l’armée (modèle 1884) mais il est bleu avec passepoil jonquille également.

5 – Sur la tenue de ville, les épaulettes vertes à tournantes jonquille, qui apparaissent plus sombres sur les photographies que celles des soldats des RI.

Sur cette photographie, l’uniforme est celui de ville : il y a les épaulettes, cassées pour imiter les uniformes de chasseurs du Second Empire. Mais dans le même temps, la pastille à côté des pattes de collet indique qu’il s’agit d’une capote de la collection d’effets d’instruction (qui ne devrait être utilisée que dans la caserne, non pour les sorties en ville). Il semble même qu’il y ait un accroc réparé sur la manche gauche de Léon.

  • Au 18e BCP de Loguyon

Grâce à sa correspondance, Léon Mayeux nous apprend qu’il est affecté à la 11e escouade de la 6e compagnie du 18e BCP. Stationné à Longuyon, il est logique que Léon ait fait faire ces photographies et qu’il localise ses courriers dans cette commune.

Les chasseurs suivent un entraînement spécifique au niveau des marches, du tir. La carte du 12 décembre 1913 de Léon illustre cet entraînement : après avoir écrit sa carte, il doit partir pour une marche de 30 kilomètres. Il précise « Je vous assure qu’on a pas froid car il faut marcher très vite dans les chasseurs« .

  • « Encore 664 et la fuite à grande course… »

Tout indique que Léon Mayeux n’a pas choisi d’être chasseur et qu’il ne pense qu’à la libération de la classe. C’est en tout cas ce qu’il écrit à sa famille dans ses deux cartes de manière on ne peut plus explicite. Il utilise des expressions typiques, mais en ajoutant un complément qui montre toute son impatience de la voir arriver : « Encore 664 et la fuite à grande course » sur sa première carte datée du 26 novembre 1913. Il ne faudra pas lui dire deux fois ! La suite de sa phrase accentue encore plus cette idée : « Ce jour là on ne partira du pied gauche ça sera du pied droit« . Il est clairement sous-entendu qu’en partant du pied droit, on part plus vite (3).

Dans sa première carte déjà, il évoquait son état d’esprit : il plaignait les bleus venant d’arriver, : « les bleus il y en a des arrivées aujourd’hui je les plains eux ils en ont pour 3 ans eux ce n’est pas la même choses que nous il sont a plaindre mais nous nous les lesseront 1 au chiode« .

Quel est le sens de ce dernier mot ? Le constat est qu’il a une orthographe assez approximative : peut-être veut-il dire qu’ils les laisseront un an « aux chiottes », dans la mélasse si on préfère le dire poliment ?

Il évoque dans sa seconde carte un passage devant le conseil à Sedan. Quel est le but de ce passage ?

Au final près de la moitié de ses écrits portent sur son retour, les jours qui restent avant la libération, son envie de partir.

  • Un triste privilège

Comme je le disais en introduction, notre recul par rapport au passé peut orienter notre lecture car nous connaissons ce qui s’est passé ensuite. Ce fut le cas ici quand j’ai lu ce leitmotiv pour Léon Mayeux : quitter la caserne. Car cette envie de retrouver sa vie civile est d’autant plus touchante qu’il fait partie de ces classes qui ont finalement passé le plus de temps sous le drapeau !

Léon Mayeux vient tout juste d’être incorporé quand il écrit ces deux cartes : il appartient à la classe 1912, la dernière à ne faire que deux ans de service militaire. Cela explique le regard qu’il porte sur la classe 1913 qui est incorporée à peine un mois après la sienne. La modification de la loi de 1905 en 1913 fait qu’il y a deux classes appelées cette année-là : la classe 1912, normalement en octobre pour faire deux ans conformément à la loi de 1905 et la classe 1913, par anticipation, conformément à la loi de 1913, en novembre 1913 pour trois ans. Il utilise l’expression « bleus » pour parler des nouvelles recrues et cela a une certaine logique : les hommes de la classe 1912 ont 21 ans, ceux de la classe 1913 n’en ont que 20.

Mais les plans, les espoirs de Léon Mayeux vont être bouleversés le 2 août 1914 : la mobilisation générale puis le déclenchement de la guerre font qu’il dut se retrouver au front parmi les premiers s’il n’a pas changé d’affectation entre temps. Oubliée la libération de sa classe fin septembre 1915 !

Il n’apparaît pas dans la base de données des soldats morts pour la France. Il semble donc qu’il soit revenu vivant du conflit. On peut se poser la question de son état d’esprit à son retour qu’il a peut-être dû attendre jusqu’en août 1919.

J’ai fait quelques recherches dans le Nord-Pas-de-Calais et dans le Nord pour retrouver un Léon Mayeux classe 1912, mais sans succès (de nombreux Mayeux morts à la guerre venaient de ces départements). Sur les deux cartes postales, il n’y a hélas aucune indication d’adresse donnant une piste pour chercher Léon Mayeux dans les actes d’état civil.

  • En guise de conclusion (1, juillet 2011)

Certains documents ont un intérêt supplémentaire car ils permettent de pointer du doigt certains phénomènes, certains aspects du quotidien de cette lointaine époque. Celui-ci nous apporte un témoignage sur l’expérience du service et surtout nous laisse imaginer les espoirs déçus d’hommes qui attendaient avec impatience la fin du service et n’ont eu que la guerre.

Je ne dis pas pour autant que l’écrit de Léon Mayeux reflète l’état d’esprit général de l’époque. Il reflète sa propre vision des choses, une parmi les centaines de milliers de soldats de sa classe. En partant du principe qu’il disait objectivement ce qu’il pensait dans ce qu’il écrivait à sa famille. Rien n’est assuré une fois encore.

  • Léon Mayeux, retrouvé !

Si cette page n’était qu’une suite d’hypothèses et de questions, grâce à Thibaut Vallé, Léon Mayeux a trouvé son identité, sa famille, son histoire. La masse d’informations obtenues permet cette mise à jour de l’étude de la photographie mais aussi la rédaction d’un portrait de ce mobilisé tant la matière trouvée s’y prêtait. Ce portrait est lisible dans la rubrique « Parcours ».

Une fois encore un grand merci à Thibaut Vallé pour la qualité de ses recherches.

Cet homme est donc un jeune homme de la classe 1912 arrivé au 18e BCP depuis 45 jours quand il écrit sa première carte. Sa fiche matricule nous apprend qu’il mesure 1,57 m, confirme son niveau médiocre en écriture et nous montre qu’il vient d’Annezin, dans le Pas-de-Calais où il exerçait la profession d’houilleur aux mines de Bruay avant son incorporation.

  • Et Henri Lamiaux ?

La recherche de Thibaut Vallé ne s’est pas arrêtée à Léon Mayeux. Partant du nom indiqué dans la carte, Henri Lamiaux, il a cherché à savoir s’il pouvait s’agir de l’homme assis à côté de Léon. Force est de constater que l’idée se tient, mais qu’on ne pourra peut-être jamais avoir de certitude.

Henri Lamiaux est de la classe 1912, comme Léon. Il habite aussi à Annezin et plus intéressant encore, dans la même rue, rue de la gare ! Affectés au même bataillon, les deux hommes se connaissent vu que Léon le site dans une de ses cartes. Autre point commun, ils sont tous deux houilleurs, l’un dans la mine de Bruay, l’autre dans la mine de Nœux. Dans sa carte de décembre, Léon écrit un énigmatique « Je ne reviendrai pas sans doute sans Henri Lamiaux ». Or, c’est la photo carte où il est avec un autre jeune soldat.
La fiche matricule d’Henri Lamiaux avec sa description physique n’est pas d’une grande aide. Tout au plus apprend-on qu’Henri mesure 1,62 m, qu’il a le visage long et le front moyen (comme Léon).
La question reste évidemment en suspend, mais cette hypothèse est renforcée par le fait qu’à peine arrivé au bataillon, on peut imaginer que Léon ait profité d’une de ses premières sorties (si ce n’est la première) pour se faire photographier avec un ami du pays. Si cet homme avait été un inconnu pour la famille, n’aurait-il pas pris soin de l’identifier ?
Dernier élément intéressant : après-guerre, Léon et Henri travailleront dans la même mine (celle de Bruay) et habiteront la même rue (rue de la gare).
Il y a tout de même trois points qui ne plaident pas en faveur de cette identification : Henri est affecté à la 3e compagnie quand Léon l’est à la 6e. Cela ne les empêchait cependant pas d’avoir une autorisation de sortie en même temps. Quand on regarde attentivement le visage d’Henri, on constate que ses lobes d’oreilles sont collés, caractéristique peu courante et souvent indiquée sur la fiche matricule comme dans l’exemple ci-dessous :

Or, là, il n’y a rien de noté. Pour finir, peut-on dire qu’il a les cheveux châtain clair comme il est noté dans sa description ? Pourrait-il s’agit d’un autre homme de son canton ? Thibaut Vallé a recensé tous les hommes du canton de Béthune de la classe 1912 affecté au 18e BCP, ce qui donne le tableau suivant :

Les hommes ayant des cheveux blonds, roux, châtain clair sont éliminés (ce qui exclut Henri Lamiaux), idem pour les visages longs. Ne restent alors que sept hommes. L’un d’entre eux, André Quelard, travaille à la mine de Bruay avant son incorporation, a les cheveux noirs, est affecté à la même compagnie que Léon… Mais une fois encore, aussi séduisante l’hypothèse soit-elle, elle se heurte à l’absence d’éléments permettant une identification certaine.

  • D’autres questions

Autre inconnue, les personnes qu’il désigne par « frère et sœur ». Il n’en a pas. Le remariage de sa mère n’a rien changé à cette situation, sauf si le beau-père de Léon avait des enfants. Parle-t-il ainsi de ses cousins et cousines avec qui il a vécu plusieurs années avant-guerre ?
De même, quand il évoque sa grand-mère, il s’agit probablement de celle du côté « Mayeux », née Delmaire en 1836 et ayant 76 ans en 1912, sa grand-mère maternelle étant décédée en 1905. Toutefois, l’absence d’indication de la date de décès dans l’acte de naissance de la grand-mère Mayeux empêche d’avoir une certitude.

  • En guise de conclusion (2, août 2014)

Chaque avancée dans l’étude d’une photographie nous montre qu’il faut s’interroger sur tous les détails, car ce sont les seules pistes que nous puissions suivre afin de retrouver quelques bribes de ces vies. S’il est souvent difficile de trouver, cet exemple montre qu’il est aussi possible de retracer quelques pans en partant d’une photographie et de quelques éléments donnés dans le texte.

  • Remerciements :

À Thibaut Vallé dont les recherches ont permis de faire parler l’image et de donner une histoire à cet homme, peut-être même aux deux !

  • Sources :

Archives départementales du Pas-de-Calais :

M 3587 : Recensement de la population d’Annezin, 1911, vues 17 et 20.

1 R 8275 : fiche matricule de Léon Mayeux, classe 1912, matricule 2583 au bureau de recrutement de Béthune, vues 217 à 221/1244.

1 R 8275 : fiche matricule d’Henri Lamiaux, classe 1912, matricule 2538 au bureau de recrutement de Béthune, vues 106 à 111/1244.

Pour aller plus loin :

Pour tout savoir sur les chasseurs à pied, MIROUZE Laurent, Août 1914, l’uniforme du chasseur à pied, in Les Dossiers Militaria, avril-juin 2011, n°9, pages 38 à 59.
Même si on trouve une interprétation différente sur le site Expressio (que je recommande) à propos de cette expression.

Cet article a été développé afin de proposer une biographie plus complète de Léon Mayeux :


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