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Une famille dans la Grande Guerre : la famille Monternier

    Pour les soldats au front, recevoir des nouvelles de l’arrière, de la famille et pouvoir constater la bonne santé de chacun est une respiration en temps de guerre. Car si les hommes se font prendre en photographie, les familles aussi le font et adressent leurs clichés aux combattants. Paul Monternier est un de ceux-là.

  • Paul Monternier

    Retrouver Paul Monternier n’est pas difficile : le patronyme n’est pas courant. Paul naît le 18 juillet 1890 dans la bourgeoisie montpelliéraine. Son père, Charles, est un parfumeur connu dans la région notamment grâce à la Lotion Triomphante.

    Il a une sœur, Jeanne Eva, née dans la même ville en 1885.

    Devançant sa classe, Paul Monternier s’engage volontairement pour 3 ans en 1910 au 81ème Régiment d’Infanterie. Après être passé caporal, il devient élève officier puis sous-lieutenant de réserve en 1912 et est alors affecté au 96ème Régiment d’infanterie.
    Mobilisé au 296ème Régiment d’Infanterie, il sera versé au 95ème Régiment d’Infanterie le 19 Décembre 1915. Il est donc fraîchement arrivé dans ce régiment lorsqu’il reçoit cette carte.
    À la fin décembre, Paul Monternier est à la 35ème compagnie, c’est-à-dire au 9ème bataillon. Cette date et cette affection correspondent à une unité d’instruction nouvellement mise en place. Paul Monternier intervient donc dans l’intégration des troupes envoyées par les dépôts. Cela fait sens avec l’auteur de la carte, qui, lui, en amont a « expédié » ses appelés de la classe 1916. Ce 9ème bataillon n’est pas combattant et n’est pas situé géographiquement avec le 95ème régiment d’infanterie. Le secteur postal 68 renvoie à la 45ème Division d’Infanterie située au sud de Bergues, dont le régiment en lui-même est dans la région de Commercy.

    Il reste au sein de ce régiment jusqu’à la démobilisation. Entre-temps, il gagne ses galons de lieutenant, puis de capitaine commandant la compagnie de mitrailleurs du 1er bataillon. 

    À quelle date Paul Monternier rejoint-il une compagnie combattante ? Le Journal de Marche du régiment est malheureusement muet sur ce sujet. Toutefois, le lieutenant Monternier n’apparaît pas dans l’encadrement au 1er janvier 1917. De plus sa première citation, en mai 1917 indique : « Officier ayant une haute idée de sa mission. Depuis quelques jours seulement à la tête d’une section a réussi à gagner rapidement la confiance de ses hommes. A montré un entrain superbe en portant sa section à l’assaut le 17 avril (…) ». On peut donc dater son retour au front début avril 1917.

    Entre mai 1917 et novembre 1918, il est cité 5 fois ce qui confère à sa croix de guerre 1 étoile de bronze, 2 étoiles d’argent et 2 étoiles vermeil. La Légion d’Honneur lui est attribuée en 1920. Cette même année, Paul s’unit à Marie Justine Albertine RIVIERE.

    Dans les années 30, il prend la succession de son père à la direction de la Maison Monternier.
Mais si Paul Monternier a un parcours militaire bien rempli, il est le grand absent de la photographie.

  • Un militaire, six civils

    L’image, prise en extérieur est malheureusement assez floue. Est mise en image une famille composée de :
Un militaire en tenue de velours. L’idée d’uniforme est bien lointaine. Malheureusement la patte de col est illisible et rien de permet de distinguer à quel régiment appartient cet homme, ni même à quelle arme !

    Il prend la pose accompagné d’un homme d’âge plus mûr en costume et portant un chapeau melon, signe d’une certaine élévation sociale.

    Deux femmes sont également présentes, chaudement et richement vêtues.

    Trois enfants, dont un nourrisson, complètent ce portrait de famille. Les bottines sont cirées, les calots bien ajustés.

La pancarte « Magasins » sur le pas de la porte ne suffit malheureusement pas à localiser la prise de vue effectuée devant un bâtiment.

  • De bons vœux… militaires

    Nous sommes le 29 décembre. L’auteur de la carte, visiblement un proche, souhaite ses vœux à Paul. Toutefois, plus de la moitié du texte concerne ses activités militaires.

                                        « 29 Décembre 1915
Mon cher Paul,
Nous avons bien reçu aujourd’hui ta carte dont nous te remercions. Nous avons expédié hier 850 hommes de la classe 16 et nous attendons la classe 17. Nous avons donc beaucoup de travail. Je compte prendre mes 4 jours réglementaires pour le jour de l’an. Je te souhaite de tout cœur une bonne santé pour l’année 1916 et ton retour victorieux. Bien affectueusement à toi (signature)
Photo faite le dimanche 26 décembre 1915 »

    L’homme écrit ce qu’il fait et permet ainsi de le situer. Puisqu’il vient « d’expédier » la classe 1916, cela signifie qu’il est au dépôt de son régiment et qu’il est en charge, de près ou de loin à l’instruction des nouvelles troupes. Loin du front cet homme a pu adapter sa tenue bien loin des prescriptions du moment.
    L’information donnée sur l’envoi de la classe 1916 est intéressante. Appelée par anticipation le 8 avril 1915, les hommes de cette unité sont partis sous les drapeaux le 18 décembre soit après neuf mois d’instruction. La classe 1917, attendue par l’auteur n’arrivera qu’en avril 1916.
    Une fois n’est pas coutume, l’image est datée précisément : le dimanche 26 décembre 1915. Mais qui a écrit à Paul Monternier et qui est cette famille ? La signature est difficilement lisible : 

    Quel est ce prénom ? J’ai d’abord lu « Nana » ou « Nono » avec dans l’idée d’une abréviation d’un prénom tel qu’Antoine, ou Arnaud par exemple. Et ce nom ? Aubert peut-être ? Les recherches sont restées infructueuses. Puis l’idée est venue d’examiner de plus près l’acte de mariage de Paul avec l’idée que ce proche serait peut-être témoin. Eva, sœur de Paul est présente et signe de son nom marital : Hubert.

    Jeanne Eva Monternier a épousé le 09 Octobre 1909 Numa Marius HUBERT. L’auteur est le beau-frère du sous-lieutenant Monternier !

  • Services Auxiliaires

    Né en 1876 à Coincy dans l’Aisne, Numa Marius Hubert est appelé sous les drapeaux à Montpellier. Myope, il est ajourné puis classé dans les services auxiliaires en 1898. Maintenu dans son état à la mobilisation d’août 1914, il est finalement affecté au 2ème régiment de génie, en garnison à Montpellier, en septembre 1915.

    Le JMO de la 101ème compagnie du 2ème Génie débute le 28 décembre 1915. Sa première page confirme l’écrit de Numa concernant la classe 1916.

    Des 850 sapeurs de la classe 1916 formés, un quart appartient à cette 101ème compagnie. Rien n’indique la tache exacte du soldat Hubert dans cette formation. Il obtient toutefois les galons de caporal fourrier, puis sergent fourrier à la fin du conflit et la médaille commémorative de la Grande Guerre.

  • Une famille (presque) réunie

    La recherche sur les personnages photographiés est alors aisée. Du couple Hubert-Monternier uni en 1909, trois enfants sont nés avant l’écriture de la carte. La signature de Numa Hubert, sur l’acte de naissance de son troisième fils permet de valider qu’il est bien le scripteur de la carte.

    Les différences d’âge permettent de les identifier, même le couple plus âgé : les grands-parents Monternier. L’arbre peut ainsi être représenté :

  • L’absent

    Cette absence est imagée, peut-être inconsciemment, par l’espace laissé entre les deux hommes photographiés. Cet espace, serait suffisant pour que l’officier, parti depuis 16 mois, puisse se glisser dans ce portrait de famille.

    Quels étaient les traits de Paul Monternier ? Passées les caractéristiques de sa famille matricule, son image manque.

    Où a été prise cette photographie ? On imagine un lieu bien connu. Le terme « magasins » de la devanture renvoie peut-être à la parfumerie familiale, rue du Pont Juvénal à Montpellier ? Hors contexte et sur un document isolé, il est malheureusement impossible d’avoir toutes les clés de lecture…

  • Portraits de Paul Monternier

    Parce qu’il est frustrant de ne pouvoir mettre un visage sur un nom, un descendant de la famille Monternier a accepté de compléter cet article avec des photos de Paul, issues de la collection familiale. Le parcours militaire peut alors être décliné au fil des clichés :

    Pose chez le photographe. Paul appartient au 81ème Régiment d’infanterie. Ses galons de caporal permettent de dater la photographie entre le 11 mars 1911 et le 1er octobre de la même année. L’insigne « cor » porté au bras gauche indique qu’il était bon tireur.

    Toujours chez le photographe. Paul arbore sa grande tenue d’élève officier avec sabre, casoar et épaulette droite. Il est sous-lieutenant. La prise de vue date donc entre octobre 1911 et avril 1912.

    Au front. Prise sur le vif, l’image est surexposée. L’homme de droite en est ébloui. Les pattes de col du soldat de gauche indiquent le 296ème régiment d’infanterie. Le temps semble froid et neigeux, la photographie a pu être prise durant l’hiver 1914-1915 (absence de casque et capote à une seule rangée de boutons).

    Bien que difficilement datable, cette image est à rapprocher de la précédente, de par la saison froide et par l’homme en arrière-plan qui est le même que le soldat ébloui sur la prise précédente.

    Deux galons dorés en bas des manches. Paul Monternier est à présent lieutenant. Les 3 brisques sur son épaule gauche renvoient à 24 mois de présence au front. Le cliché date donc au plus tôt du 2ème semestre 1916. Comme il n’est pas encore décoré, la photographie ne peut donc pas être postérieure à mai 1917.

    La guerre s’achève, Paul retrouve sa famille. Plusieurs d’entre eux, présents sur cette image faisaient partie du portrait envoyé par Numa Hubert en 1915. L’uniforme porté est alors celui du service d’état-major, rejoint en 1925.

  • Mise à jour

La mise en ligne provoque parfois des retours qui permettent d’enrichir un parcours. C’est le cas ici avec l’envoi par un lecteur d’éléments concernant Paul MONTERNIER en sa possession

En plus de la photo d’atelier déjà présentée, on retrouve :

– Ses pattes de collets avec chiffres brodés dorés portant le n° 296 de sa vareuse de mobilisation, une médaille religieuse, sa plaque d’identité. La médaille religieuse est accompagnée d’une note manuscrite « Médaille cousue à Bézier par maman à l’intérieur la doublure ». Elle illustre une pratique de protection du soldat portant au front.

La gravure de la plaque d’identité est inhabituelle car elle mentionne à l’avers « Officier » et au revers la date et lieu de naissance de Paul au lieu de la classe, du matricule et du bureau de recrutement. Elle respecte en fait la circulaire du 11 juillet 18991.

Sa croix de guerre comporte cinq étoiles pour les cinq citations reçues par Paul Monternier au cours du conflit :


Deux étoiles vermeil Citations à l’ordre du 8e Corps d’Armée des 16 mars 1917 et 13 septembre 1917
Deux étoiles argent Citations à l’ordre de la 16e Division d’Infanterie des 7 juin 1918 et 19 novembre 1918
Une étoile de bronze Citations à l’ordre du 95e Régiment d’Infanterie du 6 août 1917

Le ruban est celui de la médaille des blessés de guerre.

La fiche matricule n’évoquant pas de blessure, elle est sur ce point suppléée par le dossier de Légion d’honneur qui évoque une première évacuation en février 1915 avec hospitalisation jusqu’au 27 mars 1915, puis une seconde évacuation le 11 juillet 1918 avec hospitalisation jusqu’au 4 août 1918.

  • Remerciements

À A. Carobbi pour la relecture et la piste du 9ème bataillon ainsi qu’à messieurs Marchand et Rocquemont pour la transmission des photographies de famille ainsi qu’à Hendrick pour son apport pour la mise à jour.

  • Sources

Archives municipales de Montpellier numérisées :

Mariage de Paul Monternier : Côte 2E129, vue 148

Mariage de Jeanne Eva Monternier : Côte 2E116, vue 244

Archives départementales de l’Hérault : https://archives-pierresvives.herault.fr/

Affiche Lotion Triomphante : 12Fi1438

Registre matricule P. Monternier : Matricule 1450, classe 1912, bureau de Montpellier, 12R1253, vue 758

Registre matricule N. Hubert : Matricule 2091, classe 1896, bureau de Montpellier, 1R1097, vue 112


Informations sur l’appel des classes : https://combattant14-18.pagesperso-orange.fr/Pasapas/E402mob2.html

Informations sur le 9ème bataillon : https://combattant14-18.pagesperso-orange.fr/JMO/JMO_004.html

Journal de Marche : https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/

Secteurs postaux : https://cartesfm1418.pagesperso-orange.fr/obliterations/secteurpostal/tresor68.htm

Fond de carte : blog du 57e RI https://p8.storage.canalblog.com/85/16/132869/24612190.jpg

Image : collection T. Vallé. Réutilisation interdite sans l’autorisation du propriétaire.

Mise en ligne de la page : 11 avril 2021. Dernière mise à jour : 21 juillet 2024.


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  1. https://genealomaniac.fr/historique-des-plaques-militaires/, consulté le 18 juillet 2024. ↩︎
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