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Trésors d’Archives n°8 – Omis de la classe 1914

L’omission est grave : s’il est prouvé que l’oubli d’inscription est volontaire, le jeune homme était mis d’office au « service actif » et envoyé dans une garnison lointaine si ce n’est outre-mer. Cela explique le soin mis par cet homme à expliquer sa situation.

  • Une prise de conscience tardive

« Chenu, le 25 juin 1914.

Guillon Joseph, cultivateur demeurant commune de Genneteil (Maine & Loire) à M. le Sous-Préfet de la Flèche,

Monsieur le Sous-Préfet,

J’ai l’honneur de vous informer que j’ai été omis, à mon insu, d’être inscrit sur les tableaux de recensement de la classe de 1914 étant né à Lasse le 2 juin 1894.

Mon père ayant quitté Continier (sic) le 1er 9bre 1913 pour aller à Chenu, ne m’a pas fait inscrire à Chenu.

J’ai toujours attendu croyant recevoir de jour en jour une convocation pour être examiné par un Conseil de Révision.

Or je m’aperçois que j’ai été oublié.

Je viens vous demander s’il y a un moyen de sortir de cette situation qui me serait préjudiciable si je suis obligé d’attendre l’année prochaine pour mon inscription.

S’il y a un moyen de sortir de cette situation et de me permettre de partir au mois d’octobre prochain, je vous demande de bien vouloir m’aider.

Je suis bien constitué et capable de suivre une classe.

Veuillez agréer, Monsieur le Sous-Préfet, avec mes remerciements, l’hommage de mes sentiments dévoués.
Guillon
domestique à Genneteil, ferme de Malvoisine

(Maine-et-Loire) »

On ne peut imaginer Joseph Guillon oublier volontairement pour échapper à un départ anticipé pour la guerre. En juin 1914, au moment où il écrit sa lettre, le contexte est celui du temps de paix avec, comme il l’indique, un départ de sa classe au service actif en octobre prochain. L’explication est simple : s’il est toujours domestique dans le Maine-et-Loire, son père lui est venu s’installer en Sarthe. Cela change le domicile de Joseph, critère pris en compte pour savoir où être recensé pour l’armée.

Il est probable que Joseph ait trouvé quelqu’un pour lui écrire sa lettre. L’écriture de la signature est bien moins fluide que le reste du courrier.

La réponse est rapide :

« (Guillon Joseph, à la ferme de Malvoisine, M-et-L)

Le seul moyen qui s’offre à vous de ne pas attendre l’année prochaine pour partir au service militaire consisterait à contracter un engagement d’ici le 1er octobre prochain.

Mais il est assez difficile de s’engager pour moins de quatre ans. Le commandant du bureau de recrutement au Mans pourrait sans doute vous indiquer les corps qui acceptent encore des engagements de trois ans.

Il aurait été prudent de votre part de vous assurer avant la fin des opérations de révision si vous étiez inscrit soit à Chenu soit à Lassé.

Recevez monsieur mes salutations distinguées.

Le Sous-Préfet
le 26 juin 1914 »

La réponse est claire : les opérations du conseil de révision sont achevées, il faut attendre l’année suivante. Joseph aurait dû vérifier ou faire vérifier les listes affichées en janvier au terme des opérations de recensement de sa classe. Il devra alors suivre le sort de la classe 1915, ce qui retarde d’un an son entrée au service actif et par conséquent sa libération. En théorie, car il reste la possibilité de l’engagement volontaire avec un bémol qui n’est pas caché : depuis la loi de trois ans, les régiments qui acceptent un engagement égal au service actif sont réduits (et probablement des régiments peu attractifs).

  • La suite…

On le sait, le déclenchement de la guerre bouleversa la mécanique du recrutement en accélérant les procédures et en raccourcissant les délais avant l’incorporation. Ainsi, la classe 1914 fut appelée dès septembre 1914 et le recensement de la classe 1915 commença dans la foulée. La fiche matricule confirme que Joseph fut incorporé le 15 décembre 1914, donc avec la classe 1915. Elle comporte la mention « omis et excusé de la cl. 1914 ».

Plus étonnant est son état civil. Il est rectifié en 1954 car Joseph s’appelle en fait Guillan et non Guillon. Plus étonnant encore est l’absence du prénom « Joseph » : le prénom indiqué est Armand Clément, mais on peut, vu le manque de place, imaginer que le 3e prénom n’ait pas été mis.

Blessé par balle lors des combats de la Somme en 1916 alors qu’il était dans les rangs du 404e RI, les séquelles furent importantes jusqu’à la fin de sa vie : « paralysie radiale droite et lésion des nerfs cubital et médian ». Il se maria en 1917 et décéda en 1961

  • En guise de conclusion

L’omission fut jugée de bonne foi et il n’en fut tenu aucunement rigueur ensuite. On perçoit ici le basculement induit par le déclenchement du conflit. Un oubli dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il put lui sauver la vie : la classe 1914 fut particulièrement saignée par ses premiers combats, fin 1914.

  • Sources

Archives départementales de la Sarthe : https://archives.sarthe.fr/

– 1 Z 325

– 1 R 1261 : Fiche matricule de Guillan Joseph, classe 1915, matricule 176 au bureau de recrutement du Mans.

Archives départementales du Maine et Loire : https://archives.maine-et-loire.fr/

– État civil de la commune de Lassé, 1883-1902, vue 151/263.

Mise en ligne de la page : 12 janvier 2018.


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