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Trésors d’Archives n°72 – Détruire les postes T.S.F. privés

Après quatre récits sur la destruction des affiches publicitaires au début de la guerre (1234), voici un autre cas, moins fréquemment évoqué : la destruction des postes de télégraphie sans fil, les fameux postes T.S.F.

  • Interdiction de la T.S.F. en août 1914

La presse nationale et locale se fait l’écho de la décision d’interdire la T.S.F. privée à partir du 10 août 1914. Le texte officiel décidant cette interdiction n’a pas été trouvé. En voici le résumé fait dans la presse parisienne :

LA T.S.F.
Le ministère des postes et télégraphes a décidé la suppression de tous les postes privés de télégraphie sans fil existant en France et en Algérie, à l’exception de ceux qui sont autorisés par ou pour le compte des autorités militaires.
Les possesseurs de ces postes devront faire disparaître leurs antennes, supprimer leurs postes d’émission ou de réception et faire déposer les appareils essentiels d’émission dans un local qui leur sera désigné par le service télégraphique.
[…]
Les prescriptions devront être exécutées immédiatement, faute de quoi les contrevenants s’exposeraient aux poursuites prévues par les lois des 27 décembre 1851 et 18 avril 1886.
Tous les fonctionnaires, agents, sous-agents et ouvriers des postes et télégraphes doivent signaler aux propriétaires des antennes ou installations dont ils constateraient la présence ou connaîtraient l’existence en cours de tournées ou autrement, les obligations qui leur sont ainsi imposées.
L’autorité militaire sera saisie immédiatement de tout retard apporté dans l’exécution des prescriptions ci-dessus.

Extrait du journal Le Temps, n° 19392 du lundi 10 août 1914, page 3.

Cependant, en Sarthe, la décision ministérielle semble avoir été devancée, sans qu’il ait été trouvé ici non plus un éventuel texte normatif. La préfecture a une liste des propriétaires civils de T.S.F. dont elle fournit une copie à la sous-préfecture de Mamers :

Préfecture de la Sarthe
Cabinet du Préfet

Le Mans le 1er août 1914.

LE PREFET DE LA SARTHE
A MONSIEUR LE SOUS-PREFET DE MAMERS.

J’ai l’honneur de vous inviter à faire détruire sans délai tous les postes télégraphiques sans fil existant dans votre arrondissement.

Ces postes sont situés comme suit :

Mamers, place Carnot – M. Chanteau, bijoutier
d° d° – M. Geneslay, bijoutier
d° 1 rue Georges, M. Beurier, avoué Le Chavalier
d° 5 rue des ormeaux, M. Guillois, expert-géomètre
d° place de la République, M. Forget, médecin
d° 55 rue Nationale, M. Leroy, électricien
d° 5 Bard Victor Hugo, M. Blanchard, propriétaire
Mamers, 70 Grande Rue, M. Trocherie, prêtre desservant
Mamers, rue Ledru Rollin-Collège Saint-Paul
Monhoudou, M. Monhoudou, propriétaire
Saint-Aignan, M. de Milleville, propriétaire

Vous voudrez bien vous concerter avec M. le Capitaine de Gendarmerie de votre arrondissement pour l’exécution de ces mesures.
T. Bordes

Les propriétaires sont connus car, si posséder un poste T.S.F. est libre, émettre et recevoir nécessitent une autorisation. Cet extrait des conditions de l’arrêté du 6 septembre 19111 explique la décision prise par une commission et son application :

ART. 7. – La présente autorisation est accordée à titre essentiellement précaire et révocable. […]
Celle-ce pourra, à toute époque et pour quelque cause que ce soit, suspendre ou révoquer les autorisations accordées par elle […].
À la première réquisition de l’Administration des postes et télégraphes, le permissionnaire devra immédiatement mettre ses postes hors d’état de fonctionner aussi bien à la transmission qu’à la réception.


La destruction du poste T.S.F. n’est donc pas une surprise pour les détenteurs, il est inscrit dans les conditions signées. Ne manque que les textes officiels qui conduisirent à la décision de détruire lesdits postes.
En ce qui concerne la situation en Sarthe, le sous-préfet de Mamers prend contact avec la Gendarmerie avec diligence dès le 2 août 1914. Deux documents attestant l’application de la décision complètent le petit dossier.

Mamers, le 2 août 1914
Le Commissaire de Police soussigné,
à Monsieur le sous-Préfet

En vous retournant la lettre ci-jointe, j’ai l’honneur de vous faire connaître que les postes de télégraphie sans fil, existant à Mamers ont été détruits.
Les personnes qui avaient installé ces postes ont été prévenues que des visites inopinées seraient faites pour voir s’ils n’étaient pas rétablis.

Le Commissaire de police

Le rapport joint décrit la destruction de deux des postes de la liste, ceux situés le plus en périphérie de Mamers.

Arrondissement de Mamers
Brigade de Marolles-les-Braults
N° de la brigade 107

Du 2 Août 1914

Procès-verbal constatant

Renseignements fournis à Monsieur le Sous-Préfet à Mamers, sur la destruction de deux postes de télégraphie sans fil.
Cejourd’hui, deux Août mil neuf cent quatorze à quatorze heures (deux heures du soir).
Nous, soussignés, Colin (Gustave Paul) et Leroy (Emile Constant),
gendarmes à cheval, à la résidence de Marolles-les-Braults, département de la Sarthe, revêtus de notre uniforme conformément aux ordres de nos chefs, rapportons ce qui suit :

Agissant en vertu d’une réquisition de Monsieur le Sous-Préfet de Mamers, en date du deux Août 1914, à nous transmise télégraphiquement, à l’effet de faire détruire sans délai les postes de télégraphie sans fil existants chez Monsieur de Mouhoudou, propriétaire à Monhoudou (Sarthe) et chez Monsieur De Milleville, propriétaire à Saint-Aignan (Sarthe), nous nous sommes immédiatement rendus dans les communes de Monhoudou et St-Aignan où nous avons fait, en notre présence, complètement détruire les dits appareils. Nous en avons mis les restes en dépôt à notre brigade.

En foi de quoi, nous avons dressé le présent en deux expéditions, destinées : la première, à Monsieur le Sous-Préfet à Mamers ; la deuxième à notre Commandant d’arrondissement, conformément à l’article 298 du décret du 20 Mai 1903.

Fait et clos, à Marolles-les-Braults, les jour, mois et an que dessus.
Colin

Pour l’instant rien ne vient informer sur ce qu’il se passa ensuite. Les propriétaires eurent-ils droit à un dédommagement ? Cette série montre en tout cas une fois encore le sérieux avec laquelle était prise la menace d’espionnage, que ce soit sur des rumeurs liées à des affiches ou que ce soit par des postes T.S.F.

  • Sources :

Archives départementales de la Sarthe :

2 Z 454 : fonds de la sous-préfecture de Mamers.

Gallica :

Journal Le Temps, n° 19392 du lundi 10 août 1914, page 3.
Accès direct à l’article sur le site de Galllica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k241896g/f3.item.zoom

Fonds de carte : Le Département de la Sarthe, J. Péan, Hétrot, Guénet et Cie (Le Mans), 1898.
Accès direct à la carte sur le site de Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53029621g

A. Perret-Maisonneuve, La télégraphie sans fil et la loi. Paris, Librairie générale scientifique et industrielle H. Desforges, 1914, 488 pages.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k934234t


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  1. A. Perret-Maisonneuve, La télégraphie sans fil et la loi. Paris, Librairie générale scientifique et industrielle H. Desforges, 1914, p. 114.
    Accès direct vers le formulaire d’autorisation : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k934234t/f139.item# ↩︎
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