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Trésors d’Archives n°7 – Lettre de dénonciation et suites

La présence de prisonniers de guerre allemands fut diversement acceptée par la population. Si leur travail fut une aide précieuse dans de nombreuses circonstances, leur venue fut vue d’un mauvais œil comme en témoigne cette lettre.

  • Prisonnier de guerre, une sinécure !

L’orthographe originale a été respectée.

« Le 6.12.16
Commune de Beauche.
Mr Le Préfet d’Eure-et-Loi à Chartres,

Monsieur le Préfet

Je viens solliciter de votre haute compétance de bien vouloir faire cesser l’Etat de chose régnant dans cette commune sous les yeux d’un maire sans énergie au sujet des prisonnier allemands qu en ce moment voyage en voiture avec de jeunes filles et femmes comme s’il était chez eux. « bientôt les femmes nous donnerons de cette sale race ». Et sans gardien… ou vont-ils ses gardiens ? A tirez lièvre et faisans… ? Au lieu de gardé et de faire travaillé ces sales boches que font-il du gibier ? Ils vont le faire cuire et mangé dans certaines maisons. Faîte une enquête secrête Mr Préfet et vous verrez la vérité t’elle qu’elle est.

Cela ne peut durer et je ne le durerais pas que c’est boches, bois dans les champs ou en voitures à ne rien faire. Et faire je ne sais quoi avec filles et femmes, sans gardiens

Ce qui ce passe est ignoble.

Agissez Mr Préfet car c’est deshonorant pour notre belle terre de France notre Patrie. Qui souffre par la faute de ces sales Boches.

P.S. Les gardiens tue bien des lièvres ils tueraient bien des boches

Agréez Monsieur le Préfet l’assurance de mon Profond respect

et je signe d’un nom Français =
Poilu« 

Voilà de graves accusations, sous couvert d’anonymat. Des gardiens absents de leur poste pour chasser, des prisonniers qui ne travaillent pas et fricotent avec l’habitante, un maire qui sait mais ne fait rien.

La réaction de l’administration préfectorale fut immédiate : envoi de la lettre à l’administration chargée des prisonniers de guerre :

« Préfecture d’Eure-et-Loir, 1ère Division, 2e Bureau, Note :

Transmis à monsieur le Capitaine Bordat commandant la compagnie agricole des P. G. D’Eure-et-Loir, pour renseignements et avis.

La présente note et les pièces annexées doivent être renvoyées avec la réponse.

Chartres, le 7 Déc 1916

PO le Préfet

Le Conseiller de Préfecture délégué

Signature illisible ( ? Boinaud ou Boinant).« 

La réponse est le rapport d’enquête réalisé dans la foulée, où l’on apprend qu’une même lettre anonyme avait été envoyée au commandant d’Armes de la Place de Dreux.

« IVeme Région
Place de Chartres
Dépôt de P.G. de Chartres

Enquête faite dans la commune de Beauche à la suite d’une lettre anonyme adressée à M. le Commandant d’Armes de la Place de Dreux et à M. le Préfet d’Eure-et-Loir.

Après enquête, faite le 11 Décembre dans la commune de Beauche, par le Lieutenant Cornet du dépôt de P.G., il y a lieu de retenir dans la lettre anonyme adressée le 6 Décembre à M. le Commandant d’Armes de la Place de Dreux et à M. le Préfet d’Eure-et-Loir, les faits suivants.

I. Certaines fermières qui exploitent les Terres en l’absence de leurs maris mobilisés vont vendre

leurs grains à Verneuil. Pour aider au déchargement du grain elles prennent avec elles dans leur P.G.

Le P.G. étant toujours accompagné d’un homme de garde le fait n’est pas répréhensible.

II. Il y a 3 mois environ un homme de garde, le soldat Le Tahe a chassé sur la propriété de M. Lefebure. Pris sur le fait par le régisseur de la propriété, il a obtenu par ses supplications que ce dernier ne porte pas plainte. Depuis aucun homme de garde a osé chasser.

III. L’alimentation des P.G. et des hommes de garde est assurée par les employeurs. Quelques uns de ces employeurs prennent part aux battues autorisées et donnent aux hommes de garde et aux P.G. à la place de la viande de boucherie le gibier abattu. Le fait n’est pas répréhensible.

L’auteur de la lettre anonyme a démesurément grossi les faits ci-dessus.

Les employeurs, les cultivateurs du pays, à qui des renseignements ont été demandés sur la tenue des P.G. ont été unanimes à déclarer qu’ils étaient bien surveillés et qu’aucun rapport n’existait, en dehors du travail, entre la population civile et eux.

Le chef de détachement de Beauche a été averti de veiller très attentivement à l’application stricte des règlements et d’avertir immédiatement M. le Commandant du dépôt de tout fait pouvant être mal interprété.

Lt illisible

Vu et transmis,
Chartes le 12 Xbre 1916
Le Ct du dépôt
J. Bordat« 

  • Affaire classée

On ne sait pas si le braconnier fut puni et s’il n’y eut pas quelques remontées de bretelles verbales lors de l’inspection. Ce que l’on constate, c’est la rapidité de la réaction des administrations militaires et civiles. Moins d’une semaine après réception de la lettre, le rapport est entre les mains du Préfet. Il faut dire que de tels abus auraient été très mal vus par la population : des femmes et filles de mobilisés qui couchent avec l’ennemi, des gardes qui se la coulent douce quand d’autres meurent au front, des prisonniers nourris grassement quand la population souffre de privations…

  • Sources

Archives départementales d’Eure-et-Loir, 9 R 8.

Mise en ligne de la page : 22 novembre 2017.


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