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Trésors d’archives n°21 – soldat Gaston Arnould

    Les documents administratifs sont souvent assez stéréotypés et apportent peu d’éléments sur les personnes dont elles parlent en dehors des faits qu’elles racontent. Ce rapport est une belle exception qui met en valeur le courage d’un homme. Certes, il s’agit d’un rapport réalisé pour que l’homme en question obtienne la Légion d’honneur, mais le récit est très vivant.

  • Un bel hommage

    Georges Petitjean, 37 ans après les faits, se remémore les actions d’un soldat qui était sous ses ordres afin qu’il obtienne la Légion d’honneur. Il est lui-même chevalier depuis 1932.

    À la mobilisation, alors sergent chef de section au 94e RI, il avait parmi ses hommes le soldat Gaston Arnould.

Rapport sur la conduite du soldat Arnould Gaston de la 4ème Cie du 94ème Régiment d’Infanterie, Mutilé 100% au cours de la guerre 1914-1918
    Il m’est arrivé au cours de la Guerre 1914-1918 d’avoir eu sous mes ordres, ou d’avoir vu des « poilus » braves et héroïques, mais peu m’ont laissé un souvenir aussi vivace que celui d’ARNOULD Gaston.
    Alors que j’étais Chef de section à la 4ème Compagnie du 94ème Régiment d’Infanterie (4e division), c’est à mes côtés, que le 6 Septembre 1914, à la bataille de la Marne, ARNOULD chargea à la baïonnette à VILLENEUVE les CHARLEVILLE, d’où nous rejettâmes (sic) les Allemands dans les Marais de Saint Gond.
    Et puis ce fut tout ce mois de Septembre, où chaque jour était une bataille, et où, à chaque occasion, ARNOULD se distinguait par son sang-froid, sa bravoure et son mépris du danger.
    Le 13 Septembre, il était avec moi, au cours de la reprise de MOURMELON, et le 22 Septembre, c’est en tête de la section qu’il partait à l’attaque du Fort de Pompelle.
    Le 27 Septembre, il devait donner en particulier, toute la mesure de son courage. Nous attaquions sur Baconnes, à terrain découvert, et les pertes étaient sévères, les hommes tombaient, et les cadres disparaissaient au fur et à mesure de la progression.
    C’était l’époque où un simple soldat, courageux et décidé, n’hésitait pas à prendre le commandement d’une section ou d’une compagnie quand le Chef disparaissait.
    Devant les pertes que nous subissions, et prévoyant que mon tour pourrait venir d’être touché, je donnais les directives nécessaires à ARNOULD pour prendre éventuellement le commandement de la section, au cas où je serais hors de combat, estimant que par sa conduite antérieure, il était le plus qualifié pour cette mission.
    Cependant, nous avancions malgré tout, et nous étions prêts d’atteindre notre objectif, quand, à la sortie d’un petit bois, la section fut arrêtée par un grillage clôturant ce bois.
    Il fallait franchir cette lisière, balayée par les balles, pour poursuivre la marche en avant, mais nous étions stoppés par cet obstacle et par les Allemands retranchés à 100 mètres de là, et qui nous fusillaient à coup sûr.
    L’ordre étant de pousser toujours en avant, je demandais un volontaire pour abattre ce grillage.
    Il y avait 99 chances sur 100 pour que cette mission fasse une victime de plus.
    Sans hésiter, ARNOULD répondit « PRESENT », et au moyen de sa pelle-bêche, calmement, sous les balles, abattit une partie de ce grillage, nous frayant le chemin pour continuer la progression.
    Si ce soir là, la 4ème Cie du 94ème Régiment d’Infanterie atteignit ses objectifs, ce fut en grande partie, grâce à ARNOULD.
    Par la suite, il ne fit qu’affirmer ses qualités, exemple de sang froid et de courage pour tous ses camarades.
    Le 5 Octobre 1914, au cours d’un violent bombardement, j’étais personnellement blessé d’un éclat d’obus alors qu’avec ARNOULD je maintenais l’ordre dans la section.
    Je sais, que par la suite, il continua à se distinguer, particulièrement en Belgique, sur l’Yser, où lui-même fut blessé très grièvement, sans avoir obtenu les récompenses que méritaient (sic) sa brillante conduite.
    Une croix de la Légion d’Honneur ne saurait être mieux placée que sur la poitrine de ce brave.
    29 Janvier 1951     Georges PETITJEAN Lieutenant au 94ème Régiment d’Infanterie Guerre 1914-1918 Chevalier de la Légion d’Honneur Croix de Guerre 1914-1918 Croix de Guerre 1939-1940
36 Boulevard Jean Jaurès BOULOGNE (Seine)
  • Gaston Arnould

    Évidemment, un tel portrait donne envie d’en savoir plus sur cet homme. Par chance, le dossier des Archives nationales comporte une photographie de ce soldat, prise à une date indéterminée, mais probablement pendant son service actif entre le 24 janvier 1914, date de son arrivée au 94e RI (il avait d’abord été incorporé à la 11e compagnie du 153e RI, mais en tant que soutien de veuve, il obtint un changement d’affectation pour se rapprocher de chez lui), et la mobilisation.

    Ce natif de la Meuse appartenait à la classe 1913 et avait d’abord été déclaré service auxiliaire par le Conseil de révision avant que la commission spéciale de réforme de Bar-le-Duc ne le déclare apte au service actif le 17 novembre 1913, 6 jours avant son incorporation.

    Contrairement à ce qu’écrit son lieutenant plusieurs décennies plus tard, sa fiche matricule nous apprend qu’il reçut la Croix de guerre, étoile d’argent, pour sa blessure le 26 octobre 1914.

    Touché par des éclats d’obus au bras droit et dans la cuisse droite, il fut évacué, soigné et réformé définitivement le 15 décembre 1915. En effet, il perdit l’usage de son bras droit, de la flexion de ses doigts, « préhension nulle ». Son sergent fut blessé lors des combats pour le fort de la Pompelle le 5 octobre 1914.

    Il obtint donc la Légion d’honneur en 1951. Il s’éteint dans son village natal le 23 août 1963, un an après Georges Petitjean.

  • En guise de conclusion

    La multiplication des sources de documents numérisés (trois utilisées ici) ne doit pas être vu comme un problème. Certes, il faut chercher activement ces sources, mais on note ici leur complémentarité : le dossier de la Légion d’honneur de Gaston Arnould ne comporte que la mention d’une lettre du lieutenant Petitjean parmi les pièces justificatives, mais pas la lettre en elle-même. Heureusement, cette dernière est conservée dans les documents familiaux numérisés à l’occasion de la Grande collecte.

  • Sources

– Archives nationales :

700AP/3 PA_201 : dossier Gaston Arnould

19800035/438/58621 : dossier de Légion d’honneur de Gaston Arnould

19800035/0369/49567 : dossier de Légion d’honneur de Georges Petitjean

– Archives départementales de la Meuse : https://archives.meuse.fr/

1 R 626 – Fiche matricule d’Arnould Gaston, classe 1913, matricule 37 au bureau de recrutement de Verdun.

1 R 604 – Fiche matricule de Petitjean Georges, classe 1910, matricule 1481 au bureau de recrutement de Bar le Duc.

Mise en ligne de la page : 21 mars 2021.


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