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Trésors d’Archives n°19 – Insoumis en temps de guerre

    Jean-Marie Nouais n’a jamais posé le moindre problème à l’administration militaire. Service actif achevé avec le grade de caporal, certificat de bonne conduite accordé, participation à toutes les périodes d’exercices : rien ne vient assombrir ce parcours. Pourtant, en septembre 1914, il est inscrit comme insoumis. La gendarmerie commence son enquête.

  • L’arrestation

    Le 1er septembre 1914 le bureau de recrutement d’Ancenis fait une demande d’enquête à la gendarmerie de Châteaubriant. Le 6, le brigadier Fouasson répond :

J’ai l’honneur de rendre compte que le caporal réserviste Nouais Jean-Marie Alexis, cl. 1900, n’a pas rejoint son corps par mauvaise volonté. Ce réserviste allègue qu’étant célibataire et vivant seul il ne pouvait laisser ses animaux sans soins. Plusieurs personnes avaient cherché à le faire partir mais il s’était toujours obstiné dans son refus disant qu’il ne marcherait que par la force. L’intéressé possède plus de 150 000 F de biens et ce sont ses biens qu’il ne voulait pas quitter.
Châteaubriant, le 6 septembre 1914 Le Brigadier Fouasson

    À la réception du rapport, le commandant du bureau de recrutement d’Ancenis envoie le télégramme suivant :

« Arrêtez Caporal Nouais, cl. 1900, insoumis sera dirigé sur 11e Corps sitôt que vous recevrez Signal N°1 qui suit. »

Jean-Marie Nouais est arrêté le 8 septembre et immédiatement interrogé.

Gendarmerie nationale 11e Légion – Compagnie de Loire Inférieure Arrondissement de Châteaubriant, Brigade de Châteaubriant
[…] A la réception du dit signalement. L’avons arrêté et conduit au chef-lieu de la résidence où nous l’avons interrogé en ces termes : (…) Je n’ai pas rejoint mon corps le deuxième jour de la mobilisation parce que je suis célibataire. J’habite seul chez moi. Propriétaire j’exploite environ 8 hectares de terre. Je ne voulais pas laisser mes bestiaux seuls sans soins. Voici l’interrogatoire : et aussitôt, nous l’avons interrogé comme il suit :
Demande. Pourquoi ne vous êtes vous pas présenté le 2ème jour de la mobilisation à la gare de Soudan avant 6 heures du matin comme vous le prescrivait vote fascicule de mobilisation ? Réponse : Depuis le décès de mon père, il y a dix huit mois, je suis seul sans domestique à faire valoir ma ferme. Je ne pouvais abandonner mes animaux.
D. Ce n’est pas une cause. Vous aviez une fortune suffisante pour vous payer un domestique. R. J’ai fait des demandes mais n’ai pu en trouver. Mon père de son vivant n’avait pu en trouver également.
D. Pourquoi n’avez-vous pas fait de déclaration à la gendarmerie en faisant part des difficultés que vous éprouviez ? R. Je n’ai pas eu le temps de m’en occuper ayant mes récoltes à faire.
D. Vos voisins vous ont cependant conseillé d’obéir à vos obligations militaires et vous auraient suppléé provisoirement ? R. Ils m’ont en effet conseillé de rejoindre. C’étaient deux personnes du bourg ; mais j’étais malade et me levais à peine pour soigner mes bestiaux.
D. Combien de temps avez-vous été malade ? R. Quatre ou cinq jours environ.
D. Vous n’avez pas été malade pendant un mois et auriez pu rejoindre votre corps avant le 4 septembre jour de votre arrestation ? R. Non, mais mes travaux et le soin de mes animaux donnaient beaucoup d’inquiétude.
D. Vous n’avez rien à ajouter pour votre défense ? R. Rien. Lecture faite au prévenu de ses réponses, il les déclare fidèlement transcrites ; qu’elles contiennent vérité ; qu’il persiste et signe avec nous et le commis greffier.

    Avant le procès, les courriers de deux cousins, François Duclos et Jean-François Guihéneux, et du maire de la commune complètent les procès-verbaux de la gendarmerie.

    Le déséquilibre décrit par les témoignages donne des arguments à la défense qui pousse le tribunal à demander, à l’unanimité des juges, un complément d’enquête lors de sa séance du 29 septembre en ces termes : « pour qu’un médecin expert soit commis pour procéder à l’examen médical du prévenu et dresser un rapport sur l’état mental de ce dernier ». L’objectif est de « dire s’il est responsable ou non et quel est son degré de responsabilité ».

    Cinq témoignages de voisins sont versés au dossier ainsi qu’une lettre du médecin de famille. Rendu le 1er novembre, le rapport de 11 pages du docteur Besson conclut :

1. Le nommé Nouais n’est pas atteint de maladie mentale. Il présente seulement des troubles de l’affectivité dont le début remonte à cinq années environ. 2. Les troubles de l’affectivité, à base surtout de tristesse, n’enlèvent pas actuellement au caporal Nouais sa responsabilité, puisqu’aucun phénomène délirant ou démentiel, n’est venu se surajouter à ceux-ci. 3. Ce sont toutefois des troubles de cet ordre qui très souvent précèdent l’apparition d’une maladie mentale. 4. Sa responsabilité pénale en raison des constatations doit être atténuée dans une très large mesure. 5. Enfin, il résulte de notre examen que la capacité militaire de ce soldat est très notablement diminuée.
Nantes, le 1er Novembre 1914. Docteur Besson, médecin aide-major de 2e classe.

    Le 19 novembre 1914, le conseil de guerre déclare Jean-Marie Nouais coupable d’insoumission en temps de guerre et le condamne à 2 ans de prison.

  • Fin du parcours

    Jean-Marie passe plus d’un an et demi en prison jusqu’à ce que la décision soit prise de l’envoyer au front en mai 1916. Les cas sont fréquents de condamnés n’ayant fait qu’une courte période en prison avant d’être envoyés au front, mais les problèmes médicaux du condamné expliquent peut-être qu’il ne l’ait été qu’après avoir purgé les trois quarts de sa peine.

    Dès le 28 mai 1916 il est en ligne avec le 64e RI. Deux ans plus tard, appartenant à la 3e compagnie, il est capturé à Ostel dans l’Aisne le 27 mai 1918 et découvre, après l’incarcération française, l’internement allemand à Giesen. Il est rapatrié le 13 janvier 1919, démobilisé le 8 mars et retourne dans le village de Soudan quitté 4 ans et demi plus tôt.

  • En guise de conclusion

    Sa condamnation est amnistiée après-guerre et il est « sans affectation » à partir de 1927. On ne sait rien de plus sur Jean-Marie Nouais après cette date. Contrairement à la majorité des natifs de Soudan, son acte de naissance ne comporte aucune mention de son décès.

    Grâce aux recherches de T. Vallé, la date du décès de Jean-Marie Nouais est connue : 10 octobre 1929, non dans un asile mais à son domicile de Soudan. C’est donc à l’âge de 49 ans qu’il est décédé, toujours propriétaire célibataire.

  • Sources

Archives départementales de Loire-Atlantique :

– 2 R 180 : Dossier de  procédure du conseil de guerre (septembre 1914)

– 1 R 1096 : fiche matricule de Jean-Marie Nouais, classe 1900, matricule 613 au bureau de recrutement d’Ancenis.

– 3 E 199/24, vue 7/8, acte de mariage de Joseph-François Guihéneux et de Jeanne-Marie Bodin, commune de Soudan, 1898.

État civil de la commune de Soudan :

– Acte de naissance de Jean-Marie Nouais, commune de Soudan, 1880.

– Acte de décès de Jean-Marie Nouais, commune de Soudan, 1929.3

Mise en ligne de la page : 7 février 2021.


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