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Trésors d’Archives n°1 – Une mère pour son fils (1)

Le Préfet recevait une correspondante abondante. Si la majorité était des courriers administratifs, d’autres étaient des demandes de particuliers. Tel est le cas de madame Lunel, à l’opposé de ce qui est habituel.

  • Lettre d’une mère désolée

Piacé le 16 juin 1915

Monsieur le Préfet

Bien qu’il me soit très pénible de vous adresser cette demande, j’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir user de votre haute influence pour faire déclarer mon fils, Arthur Lunel de Piacé, apte au service militaire.
Depuis le départ de son Père pour la guerre, il me cause chaque jour de nouveaux ennuis et de nouveaux chagrins par sa conduite à mon égard. Je prévois et je crains pour l’avenir de bien graves ennuis, et je crois vraiment que ce serait son bien de partir. Seul le service militaire peut le changer et le ramener à bien. Au lieu de m’aider dans ma ferme, il est pour moi une source de difficultés et de peines.
Je vous serais très reconnaissante, Monsieur le Préfet, d’exaucer ma demande et mon désir. Mais j’ose vous supplier Monsieur le Préfet de tenir absolument cachées aux yeux de mon fils ma demande et ma lettre, car il en résulterait pour moi, de sa part, de très grands ennuis et de très graves chagrins.
Avec la reconnaissance très vive d’une pauvre mère désolée,
Daignez agréer, Monsieur le Préfet, l’hommage de mon très profond respect.

Femme Lunel.

La famille Lunel occupe un ferme à Piacé, aux Ecotais. Elle emploie deux domestiques de ferme. De l’union d’Henri Lunel avec Marie Benard naquirent au moins deux fils, Arthur en 1897 et Eugène en 1902.
Le père, Henri, né en 1871, fut appelé comme conducteur de chevaux de réquisition à Fresnay du 5 au 12 août 1914. Il put retourner à sa ferme jusqu’au 8 décembre 1914, date à laquelle il fut rappelé et affecté au 4e bataillon territorial du génie.

La mère a rédigé sa lettre au moment des opérations du Conseil de révision pour la classe 1917.  Craint-elle qu’il ne soit pas jugé « apte au service armé » ?
On ne sait rien des relations qui pouvaient exister entre cette mère et son fils aîné. Inutile de dire que je ne me hasarderai pas à juger cette femme. On ne peut que dire qu’on ne sait rien de ce qui se passait dans cette famille depuis le départ du père, aucun autre document, aucune enquête de gendarmerie ne venant préciser la situation.

Ce qui est certain, c’est que le courrier ne comporte aucune trace de réponse comme ce peut-être le cas dans le cas de demandes personnelles. Un brouillon de réponse est alors conservé avec l’original de la demande ou une note manuscrite en marge précise ce qui fut fait, y compris dans la liasse d’où est extrait ce document.

  • La famille Lunel dans la guerre

Le 6 septembre 1917, Henri revint définitivement à la ferme comme détaché de catégorie A. Son fils Arthur fut jugé apte par la commission de révision, sans qu’il soit possible de dire si la lettre de sa mère eut la moindre influence. Il fut appelé avec le reste de sa classe en janvier 1916. Affecté au 12e régiment de cuirassiers, il n’y fut pas cavalier tout au long du conflit mais « cuirassier à pied » et arriva dans la zone des armées le 13 janvier 1917. Il eut une action remarquée lors de combats en juin 1918 : tireur-pointeur d’un canon de 37, il fut blessé le 13 juin et obtint deux décorations (citation à l’ordre du régiment et de la division). Sa blessure une fois soignée, il resta dans la zone des armées.
Après la guerre il s’engagea dans la gendarmerie à cheval, mais les séquelles de sa blessure le conduisirent à opter pour la gendarmerie puis à demander par anticipation sa retraite en 1932. Il ne fut pas pour autant libéré : mobilisé en 1938 puis en 1939-1940 comme gendarme, il reprit du service à partir de septembre 1944 jusqu’en avril 1945.

  • En guise de conclusion

Aucune des demandes de passe-droit observées en Sarthe suite à un courrier envoyé au préfet n’a eu les conséquences demandées. Au mieux, le préfet fait un rappel au règlement, à la loi. Il est probable qu’il en fut de même ici. Toutefois, on peut se demander si la lettre envoyée fut connue du reste de la famille ou si elle ne ressort pas des dossiers de la préfecture pour la première fois ?

  • Sources

Archives départementales de la Sarthe : https://archives.sarthe.fr/

– Fiche matricule d’Henri Lunel, classe 1891, matricule 1186 au bureau de recrutement de Mamers, 1 R 1036.
– Fiche matricule d’Arthur Lunel, classe 1917, matricule 626 au bureau de recrutement de Mamers, 1 R 1284.
– Recensement de la commune de Piacé, 1906, 2 Num 289/55 (vue 8/77).

Mise en ligne de la page : 3 septembre 2017.


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