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PERRIN Eric, Un toubib sous l’uniforme, 1908-1918

PERRIN Eric, Un toubib sous l’uniforme, 1908-1918, carnets de François Perrin, Parçay-sur-Vieux, éditions Anovi, 2009, 352 pages.

Les récits des médecins ne sont pas forcément ceux que j’affectionne. C’est une vision du conflit qui est parfois un peu distante. Plus de la moitié du présent ouvrage concerne l’avant-guerre. Il a été rédigé 25 ans après les faits. Pourtant, la lecture est un régal. Le style, sans être littéraire, est vif, les détails fourmillent. La partie sur la campagne au Maroc en 1908 est digne d’un roman d’aventures. Mais ce n’est pas un roman, même si un croisement avec d’autres témoignages ou sources permettrait d’affiner et de prendre un recul qu’il est difficile d’avoir tant on est aspiré par la narration.

Avant d’entamer la lecture, je conseille de lire la biographie qui se trouve à la fin de l’ouvrage. Le livre est composé de textes rédigés par François Perrin, complétés par quelques notes de bas de page et quelques compléments documentaires réalisés par Eric Perrin. Ces ajouts n’étouffent pas le texte, même si certains se révèlent peu utiles.

  • La campagne marocaine de 1908

On entre tout de suite dans les faits sans présentation. L’auteur nous faire découvrir une guerre méconnue, celle des colonnes au Maroc en avril et mai 1908. La narration des opérations et des combats est riche, précise et permet de bien comprendre comment les combats se déroulaient. Le récit de ses propres actions est très précis et on le suit littéralement dans les opérations.

Ces qualités de présentation et de densité se retrouvent tout au long du récit. Le texte est très vivant mais aussi très humain.

Le texte de Perrin n’est pas qu’un récit d’aventures. Une fois la zone pacifiée, la vie est plus monotone et le pousse à ne pas vouloir rester. On y découvre aussi le rôle important de Lyautey et la réalité d’une situation loin d’être acquise. L’auteur agrémente ses souvenirs de critiques vis-à-vis du pouvoir politique et d’un système qu’il dénonce. Décorations, affectations, promotions lui paraissent plus obtenues par l’entre-gens que par les mérites. Sans parler de ce que l’on appelle aujourd’hui délit d’initié qui aurait permis à certaines personnes d’acheter de vastes terres à Rabbat juste avant que la ville ne devienne capitale du protectorat.

Ne souhaitant pas rester plus longtemps au Maroc ou en Algérie comme on le lui proposait, François Perrin part pour le 66e RI de Tours en 1909.

  • Au 66e RI de Tours (1909-1913)

S’il donne des éléments sur son service, on découvre surtout dans cette partie la vie en général d’un officier, fut-il médecin. Il appartient clairement à un groupe prestigieux reconnu dans la société locale. Au travers de nombreuses anecdotes, on suit sa vie, la rencontre avec sa future épouse, les fiançailles, le mariage. Le tout est raconté de manière toujours aussi vivante. De même, il dénonce toujours les intrusions politiques dans le service, jusqu’à son envoi au 3e BCP dans l’Est en 1913.

  • Au 3e BCP

Le récit ne change pas. Il partage ses activités à Saint-Dié, il nourrit toujours son texte d’anecdotes, à la fois sur le service médical, la « bochie » voisine, la chasse, un accident de la route… Père de deux enfants, il profite de sa dernière permission en juillet 1914 pour voir son épouse qui vient d’accoucher. On est alors à la page 214, c’est dire la densité du récit avant la Première Guerre mondiale.

  • Mobilisé

Le 3e BCP étant une troupe de couverture, il quitte Saint-Dié fin juillet pour la frontière. Le récit de ce départ est très émouvant. Lui, connaissant le prix humain des guerres modernes, est très critique à propos de l’excitation de certains avec la « Revanche ».

On suit les mouvements du début de la campagne, les marches, les escarmouches, les premiers combats et le premier mort, jusqu’au 20 août 1914. Ce jour-là, les blessés abondent, le poste de secours, non prévenu du recul, est entièrement capturé. Commence alors une partie réellement méconnue : les jours qui suivent les combats dans une petite ville. Il faut soigner les blessés, français comme allemands. Les anecdotes sont nombreuses ici encore.

François Perrin ne manque pas l’occasion de se mettre en avant face aux Allemands. Il critique leur matériel, leurs méthodes.

Une fois les blessés soignés, il est envoyé en Suisse après être passé par Strasbourg : la Convention de Genève prévoyait le retour du personnel médical dans son pays. Il l’admet lui-même : pour permettre à un maximum d’hommes de ne pas être capturés, il inscrit sur la liste de son personnel médical des fantassins blessés légèrement après leur avoir donné des brassards, page 248.

Il ne manque pas également de noter des remarques personnelles, son point de vue critique sur la situation. Il ajoute « Toutes sortes de bruits circulent (…). Mais le fantassin ne sait et n’enregistre que les activités de son escouade, le colonel que ce qui a trait à son régiment. Racontez les péripéties des combats de Saint-Blaise auquel j’ai assisté du début à la fin m’est une chose impossible », page 222.

On suit ensuite François Perrin dans des postes « embusqués » où il nous fait découvrir la vie d’une minorité privilégiée qui ne semble pas être affectée par la guerre. Toujours aussi riche en anecdotes, le récit est toujours précis.

Une fois affecté dans une ambulance chirurgicale, il est heureux : il dirige, organise, opère. Les anecdotes s’enchaînent.

Le plus surprenant est que la partie du récit sur la guerre ne représente qu’un tiers du livre, à peine 110 pages. Elles n’en sont pas moins très riches. Il traite de nombreux thèmes : les espions, le gaz en 1915, les femmes qui arrivent à venir dans la zone des armées et d’autres nettement moins évoqués comme le tri, l’envoi des effets aux veuves ou l’organisation d’un dépôt pour les tirailleurs.

  • En guise de conclusion

Quand François Perrin prit le temps d’écrire ses mémoires, il le fit de manière très personnelle : il est acteur de ce qu’il narre, il commente son action, il revient sur son passé et en fait quelques analyses. De ce fait, il n’est pas centré sur la guerre. On découvre les grands moments de la carrière militaire et de la vie d’un médecin de l’armée d’active. L’auteur évidemment choisit ce qu’il raconte, les anecdotes, s’aidant des courriers rédigés pour sa famille tout au long de sa carrière. S’il respecte la chronologie, il ne s’agit pas pour lui de tout détailler. Il décrit les grandes lignes et développe certains points. C’est un excellent ouvrage, tant pour cette narration que pour le regard original qu’il propose.

  • Pour aller plus loin

Fiche de lecture du livre sur le site du CRID : https://www.crid1418.org/temoins/2011/06/13/perrin-francois-1875-1954/


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