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Nom de tranchée pour un capitaine d’artillerie (Somme 1916)

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Comme souvent, cette recherche est partie d’une anecdote qui, de fil en aiguille, a permis un petit développement sur un thème éloigné de l’histoire initiale. J’ai découvert cette biographie en 2008 avant de me lancer dans une recherche en 2010. Depuis, le temps écoulé a rendu possible la consultation des JMO, le dossier d’officier et de nombreux documents désormais numérisés.

Je suis parti d’un détail de la biographie d’un capitaine de l’artillerie coloniale dont la nécrologie complète se trouve dans le Livre d’or des Saboliens tombés au champ d’honneur pendant la guerre 14-18 : on peut y lire « Le corps d’armée a donné son nom à une tranchée bornant « La Maisonnette » où se sont livrés de nombreux combats. » C’est l’occasion de travailler sur la mémoire de cet officier et de « sa » tranchée.

  • Le capitaine Robert Armand Verrier
Source du cliché : dossier d’officier, SHD GR4 YE 1612.

Robert Verrier est un Sarthois né à Vibraye le 28 février 1880. Muni de son certificat d’études supérieures, il s’engage à 18 ans au 35e RAC de Vannes. Arrivé au régiment le 18 février 1898, il est brigadier le 17 septembre 1898 et maréchal des logis le 13 novembre 1899. En 1901, il se rengage mais au 1er RAC, redevenant au passage simple canonnier conducteur. Il est affecté au Soudan de 1902 à 1904 et gravit à nouveau les grades jusqu’à devenir sous-officier élève officier à Versailles en 1906 qu’il prépare depuis 1905. Terminant 7e sur 20, il est noté comme un très bon cavalier « très apte au service colonial », mais montrant une implication inégale suivant ses centres d’intérêt.

Sous-lieutenant au 3e Régiment d’Artillerie coloniale le 1er avril 1907, il devient lieutenant le 1er avril 1909.

Après autorisation de l’armée, il se marie le 26 août 1909 à Saint-Tropez avec Marie Antoinette Adrienne Rey. À peine un mois plus tard, il arrive à Madagascar. Un premier enfant naît de cette union le 14 mai 1911 à Saharamy, dans la province de Diégo-Suarez à Madagascar, André Gustave.

Robert Verrier est noté comme ayant un « caractère concentré et susceptible, est difficile à mettre en confiance. S’acquitte correctement mais sans enthousiasme du service intérieur de la batterie dont il surveille les 3 sections. A très bien installé la coopérative et s’y intéresse. Un peu froid d’allure quoique de manières aimables. Lent dans l’application du règlement au tir dans lequel il cherche trop de précisions au début ». Ces notes donnent l’image d’un jeune officier qui a besoin d’acquérir de l’expérience, après avoir été un sous-officier exemplaire très peu puni et aux rapports élogieux. D’ailleurs son dossier ne comporte dans la rubrique punition à partir de 1904 qu’une mention : « néant ».

De retour en Métropole en mars 1912, un deuxième enfant naît à Lorient, le 23 décembre 1913, Jean Georges Pierre. Il est alors affecté à la 2e compagnie d’ouvriers après avoir commandé la 8e batterie à pied en l’absence des officiers de l’unité. La qualité de son travail est une fois encore soulignée dans les notes de son dossier d’officier.

En 1914, il est affecté au 3e RA coloniale à Toulon et commande la 6e batterie. Il participe activement aux combats de Temoigne en Belgique le 23 août, puis à Fère-Champenoise le 8 septembre,

En février 1915, il est nommé capitaine à titre temporaire et prend le commandement le 9 avril 1915 de la 4e batterie du 1er RA coloniale où il vient d’être affecté. Cette unité appartient au 1er Corps d’Armée Colonial. Robert Verrier a déjà obtenu une citation à l’ordre du régiment et est cité à l’ordre de l’armée le 21 octobre 1915. Le 26 octobre suivant, il obtient la Légion d’honneur.

Les commentaires de son supérieur sont élogieux. Il rédige cette note le 6 mars 1915 : « Capitaine remarquable, d’une bravoure et d’un désintéressement absolus. Calme, pondéré, actif et modeste, le capitaine Verrier est un officier d’un mérite exceptionnel (souligné). Après les attaques du 5 septembre [1914], a poussé sa batterie sur une position avancée (souligné), où il l’a maintenue pendant plusieurs semaines sous un bombardement violent de l’ennemi. A causé pendant cette période de lourdes pertes à l’ennemi, par suite de la faible distance qui séparait sa batterie des lignes allemandes ; est resté pendant ce temps, de jour comme de nuit, dans son observatoire situé dans notre tranchée avancée. »

Son action le 9 avril 1915 puis le 21 octobre 1915 lui valent la Croix de guerre avec Palme puis la Légion d’honneur.

Le 4 avril 1916, il est nommé capitaine à titre définitif. Le 1er Corps d’Armée Colonial est dans la Somme à partir de juillet 1916. Il participe activement à l’avancée tout au long du mois en direction de Péronne.

  • Somme, 30 juillet 1916

Le 30 juillet, le capitaine Verrier est appelé au quartier général du groupe. Le commandant de groupe Jacquin a réuni ses trois chefs de batterie. Vers 8h15, alors que la réunion est en cours, un obus isolé tombe dans l’abri. Le commandant Bour de la 3e batterie est tué sur le coup ainsi que le capitaine Verrier. Le commandant de groupe, un lieutenant et un sous-lieutenant sont blessés. Les deux tués sont mis en bière, transportés à l’échelon et inhumés le lendemain à Cappy ainsi que le commandant de groupe, décédé peu après. Le colonel Franceries, commandant l’artillerie divisionnaire du Corps colonial est présent ainsi que le commandant Lotte. Robert Verrier obtient une dernière citation de l’armée.

Pour en savoir plus sur la vie du capitaine Verrier, sa notice biographique dans le Livre d’or des Saboliens tombés au champ d’honneur pendant la guerre 14-18 livre de nombreux éléments complémentaires grâce aux lettres, aux échanges réalisés avec la famille par l’auteur. Plutôt que de les ajouter aux éléments factuels proposés, le lecteur est invité à découvrir ces éléments dans la transcription de la notice.

CLIQUER ICI pour accéder à la notice.

  • Le souvenir du capitaine

Son souvenir ne disparaît pas pour autant. Cet officier a une sépulture à Sablé-sur-Sarthe où il était domicilié et où son père était commissaire de police. Son corps fut exhumé en juin 1922.

Son souvenir est conservé, dans sa famille par sa veuve et ses trois fils, André, Jean et Robert. Trois fils car un enfant posthume nait le 1er septembre 1916, à peine un mois après la mort de son père dont il va hériter aussi du prénom, Robert Pierre.

Le souvenir de cet homme se perpétue également par l’apposition de son nom sur le monument aux morts de Sablé-sur-Sarthe, ainsi que dans un long article dans le Livre d’or des Saboliens tombés au champ d’honneur d’abord publié sous la forme d’un feuilleton dans la presse locale. C’est d’ailleurs une phrase de ce dernier qui a attiré mon attention vers une dernière forme d’hommage : « Le CA a donné son nom à une tranchée bornant « la Maisonnette » où se sont livrés de nombreux combats ».

Péronne : 6 Juillet 1916. Dressé et restitué par le Groupe des canevas de tir
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53067336j
Carte postale avant 1914, La Maisonnette, Somme.
Source : Archives départementales de la Somme, 8 FI 1775
https://archives.somme.fr/ark:/58483/vf3gt40jlsm1/08d31ee8-0ea5-49e0-b6fe-c45fdd20c116

À la recherche de la tranchée « Verrier »

« La Maisonnette », en juillet 1916, est un secteur récemment conquis par le 1er Corps d’Armée Colonial, même si le lieu-dit lui-même resta plus longtemps aux mains des Allemands.

La carte ci-dessous permet de constater que le 1er C.A.C. fit une avancée notable, arrivant à Biaches, faubourg de Péronne.

Source du fond de carte : Rousset L., La guerre au jour le jour, volume 3, janvier – septembre 1916, Éditions Jules Tallandier, Paris, 1916. Page 519.

La conquête de ce vaste secteur s’accompagna de sa réorganisation : creusement de nouveaux boyaux et tranchées, abandon de certaines anciennes lignes allemandes, mise en place d’une toponymie. La dénomination fut rapidement décidée et transmise suivant un cheminement inconnu. En effet, une carte datée du 14 août 1916 mentionne la tranchée « Verrier ». Je n’ai pas trouvé, pour l’instant, de carte antérieure du secteur indiquant cette tranchée, même sous un autre nom.

Sud de la Somme. Groupe des canevas de tir, 14 août 1916.
Source : Archives départementales de la Somme, 22 FI 80.
https://archives.somme.fr/ark:/58483/9p4x8q3nbzw7/245d8447-5fb1-4a6a-9564-278d9ab3a839

Par contre, on note à quel point les officiers du 1er C.A.C. tués au cours des combats de juillet furent utilisés comme nom pour de nouvelles tranchées dans le secteur ou pour changement de dénomination dans le cas des tranchées nouvellement conquises. S’il y a une majorité de fantassins dans ces noms, on trouve aussi un observateur dans l’aviation, un médecin et notre artilleur. La date de décès la plus tardive est le 4 août 1916. Le choix des dénominations s’est donc fait entre cette date et le 14, date de première mention de ces noms sur une carte imprimée. Les noms des lignes allemandes avant l’attaque du 1er juillet 1916 portaient souvent des noms en lien avec l’Allemagne et l’imaginaire qui l’accompagne (« Kromprinz », « Choucroute », « Saucisses », « Munster », « Stettin »…), le changement dans les choix est très net.

Carte des progrès des troupes françaises du 1er au 4 juillet 1916 avec les noms de tranchées des lignes allemandes, Nord d’Herbécourt, Somme.
Source : JMO de l’artillerie divisionnaire de la 16e DIC, SHD GR 26 N 477/1, vue 86/130.

À l’exception de quelques noms liés à la géographie locale (lieux, bois) ou à des références antiques (Est de la Maisonnette, en bord de Somme), la majorité des noms appartiennent à des officiers de la 2e DIC, celle qui avança dans cette zone, la 16e DIC l’épaulant au Nord, à Biaches, et la 3e DIC au sud.

Cliquer sur l’image pour voir en haute résolution.

Il y a donc bien une tranchée « Verrier » à proximité de « La Maisonnette ». Ce nom de tranchée fut-il pérenne ?

  • Une dénomination qui demeure

À partir d’août 1916, la tranchée Verrier est présente sur toutes les cartes disponibles jusqu’en décembre 1916, tant que le secteur est tenu par les troupes françaises. La zone, bien que toujours active comme l’atteste ce croquis d’une attaque menée du 18 au 21 octobre 1916, change peu et la tranchée « Verrier » demeure.

Source : JMO du 60e BCP, SHD GR 26 N 832/8, vue 54.

On note simplement la perte du saillant formé par le point fortifié de « La Maisonnette » le 29 octobre 1916. La tranchée Verrier s’éloigne des lignes françaises.

Péronne. Groupe des canevas de tir, 5 décembre 1916.
Source : Archives départementales de la Somme, 22 FI 43.
https://archives.somme.fr/ark:/58483/wcsd38tj4107/3f217152-bc17-4a22-9128-2bf54e841d4c
  • The « Verrier Trench »
Péronne. Groupe des canevas de tir, 5 décembre 1916.
Source : Archives départementales de la Somme, 22 FI 43.
https://archives.somme.fr/ark:/58483/wcsd38tj4107/3f217152-bc17-4a22-9128-2bf54e841d4c

Cette carte britannique de janvier 1917 mentionne bien la « Verrier Trench ». C’est en fait toute la toponymie qui est conservée, avec ajout d’un « Boston Trench » pour indiquer une nouvelle structure. Une carte datée du 22 février 1917 donne une bonne image du secteur, avec plusieurs tranchées abandonnées autour de la « Verrier Trench ».

[Peronne] 62c NW4.

Le repli allemand de mars 1917 libère cette portion du territoire. La famille s’est-elle rendue sur place à ce moment ?

Repris en mars 1918 par les Allemands, le secteur ne fut abandonné que le 1er septembre 1918. La dernière observation de la « Verrier Trench » sur une carte date non d’août 1918 comme l’indique la légende, mais bien d’un tracé des tranchées de mars 1918 comme le montre la mention ci-dessous (les dates sont notées à la « française » sur les cartes anglaises consultées, à savoir « J-M-A ».

[Peronne] 62c.NW: France. Great Britain. War Office. Geographical Section, General Staff, 1918-08

La grande similitude avec la carte de janvier 1917 fait toutefois s’interroger sur la réalité des tracés proposés. Il paraît surprenant qu’après les événements de 1917-1918, tous les boyaux et toutes les tranchées aient été maintenus en état.

  • En guise de conclusion

Après de si longs combats, le secteur est totalement ravagé. La carte des espaces détruits au 1er décembre 1920 montre les espaces connus autour de « La Maisonnette ». La légende ne précise pas l’état des terres autour des lieux habités et des bois détruits par les combats.

Extrait de Carte spéciale des régions dévastées. 13 SO, Cambrai [Sud-Ouest], Service géographique de l’armée, 1920.

Étonnamment, le secteur fut vite nettoyé et remis en culture. À tel point que les traces de la guerre, vues d’avion vingt ans plus tard, en 1939, ont pratiquement toutes disparu. « La Maisonnette » a été reconstruite, les champs remis en culture, le bois proche replanté. On n’observe plus de traces des diverses tranchées qui bordaient la rive gauche de la Somme ; plus de « tranchée Verrier ».

Vue aérienne de la Maisonnette.
Identifiant de la mission : C2508-0031_1939_F2508_0040, 5 juin 1939.

La famille a-t-elle réalisé un pèlerinage sur les lieux après-guerre ? Quelle place fut donnée à la disparition de cet homme au fil des décennies ? Peut-être un siècle plus tard quelques souvenirs familiaux en plus d’une plaque sur une tombe conservent-ils la mémoire de cette vie ? Pour le sûr, on a trace de cet homme dans le prénom d’un enfant posthume, dans une hagiographie dans un livre d’or et sur une pierre tombale dans le cimetière de Sablé-sur-Sarthe.

Et pour qui sait le voir, son nom figure sur une poignée de cartes en raison de la dénomination d’une tranchée.

Et ce texte qui vous a raconté l’histoire du nom de cette tranchée et de l’homme qui l’inspira.

  • On recherche :

Si vous avez des photographies aériennes du secteur entre 1916 et 1918, elles aideraient à mieux observer cette tranchée. Même chose si vous avez des éléments complémentaires sur Robert Verrier.
N’hésitez pas à contacter l’auteur.

  • Pour en savoir plus :

Découvrez la transcription de la biographie du capitaine Verrier publiée après-guerre à Sablé-sur-Sarthe :
https://parcours-combattant14-18.fr/biographie-du-capitaine-verrier-1880-1916-1er-ca-colonial

  • Sources :

BELIN (E) : Livre d’or des Saboliens tombés au champ d’honneur pendant la guerre 1914-1918, Imprimerie-Librairie E. Coconnier, Sablé-sur-Sarthe, 1921, pp. 16 à 28.

Site Mémoire des Hommes

Archives nationales :

Dossier de la Légion d’honneur : LH/2696/30

Service Historique de la Défense :

– SHD GR4 YE 1612 – Dossier d’officier de Robert Armand VERRIER

– SHD GR 26 N 1227/3 : 2e groupe du 1er Régiment d’artillerie coloniale

– SHD GR 26 N 1227/5 : 4e batterie du 1er Régiment d’artillerie coloniale

– SHD GR 26 N 1227/7 : 3e batterie du 1er régiment d’artillerie coloniale (erreur dans le site : indiquée comme 4e batterie)

– SHD GR 26 N 832/8 : JMO du 60e BCP.

IGN : remonter le temps

Identifiant de la mission : C2508-0031_1939_F2508_0040 ; Date de prise de vue : 05/06/1939.

Cartes :

Péronne. Groupe des canevas de tir, 6 juillet 1916.
BNF, GE BB-366 (21).
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53067336j

Sud de la Somme. Groupe des canevas de tir, 14 août 1916.
Archives départementales de la Somme, 22 FI 80.
https://archives.somme.fr/ark:/58483/9p4x8q3nbzw7/245d8447-5fb1-4a6a-9564-278d9ab3a839

Péronne. Groupe des canevas de tir, 5 décembre 1916.
Archives départementales de la Somme, 22 FI 43.
https://archives.somme.fr/ark:/58483/wcsd38tj4107/3f217152-bc17-4a22-9128-2bf54e841d4c

Péronne. Groupe des canevas de tir, 20 mai 1918.
Archives départementales de la Somme, 22 FI 67.
https://archives.somme.fr/ark:/58483/km3qb06tpr4s/53c54632-5cd7-4f71-8552-d2976537f9c5

Carte spéciale des régions dévastées. 13 SO, Cambrai [Sud-Ouest], Service géographique de l’armée, 1920.
BNF, GE CC-698 (13 SO-1920-2).
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8593481j

Site canadien de fonds de carte. Possibilité de les consulter avec un outil sur le site mais aussi de les télécharger en très haute définition. Classement remarquable et accès géographique.
http://digitalarchive.mcmaster.ca/

Carte du secteur avant l’offensive avec mention des avancées française du 1er au 8 juillet
SHD 26 N 477/1 : JMO de l’artillerie de la 16e DIC


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