Annexe de l’article sur la tranchée du capitaine Verrier.
BIOGRAPHIE DU CAPITAINE Robert Armand VERRIER
Capitaine VERRIER (Robert Armand), né à Vibraye (Sarthe), le 28 février 1880. Il était le fils cadet de M. Gustave Verrier, brigadier de Gendarmerie et de Mme Aurélie Dubois. Son père, retiré, à Sablé depuis douze ans, a bien voulu reprendre, au début de la guerre, les fonctions de Commissaire de police qu’il avait exercées ici jadis, après avoir d’ailleurs habité une première fois notre ville en qualité de maréchal-des-logis de Gendarmerie.
Dès son bas âge, l’enfant perdit celle qui lui avait donné le jour; mais il eut le bonheur de retrouver bien vite une seconde mère, qui le traita comme le plus aimé des fils et à laquelle d avait voué en retour une tendresse filiale dont toutes ses lettres nous apportent le touchant et fidèle témoignage.
Le jeune Robert commença ses « classes » à l’École Supérieure de la Ville de La Flèche où son père avait été nommé maréchal-des-logis-chef au sortir de Sablé. Dès cette époque, le petit écolier, laissant aux autres les espiègleries et les jeux bruyants, montra une ardeur pour l’étude qui rendait jalouses les mamans de ses camarades moins studieux. Le jeudi, à l’heure de la promenade, on le voyait d’ordinaire, dans un coin de la cour de la caserne, tout plongé dans ses livres. Il commençait à réaliser les pronostics de la religieuse qui, à Vibraye, lui avait montré à lire et qui disait à sa
mère : « Robert ! intelligence moins vive sans doute que son frère, mais, une fois débrouillé, il sera plus réfléchi et plus profond. »
Vers l’âge de douze ans, sur la demande de son père, Robert fut reçu, par faveur, à l’École des Enfants de troupe de Billom (Puy-de-Dôme), où il retrouvait son aîné, Gustave. Élève sérieux et très appliqué, il fit honneur à ses maîtres, en subissant avec succès les épreuves du Brevet supérieur. Il était en même temps la joie de ses parents par ses notes toujours excellentes, par son caractère toujours content. Il ne se plaignait jamais de rien, ni de personne. Au physique, grand et sec ; au moral très réservé, un peu froid peut-être, mais bon. Il en imposait déjà.
A dix-huit ans, désireux de faire sa carrière militaire, il s’engagea au 35e régiment d’artillerie, à Vannes. Au bout de six mois, il est brigadier, six mois plus tard sous-officier… Et voici qu’en 1901, malgré de si heureux débuts, il rend ses galons, pour entrer, simple canonnier, au 1er régiment d’artillerie coloniale. Les colonies lui permettraient un avancement plus rapide. Six mois lui suffisent pour regagner ses galons de brigadier ; un an après il est sous-officier. On l’envoie au Soudan, à Katy, où il reste deux années.
Revenu avec des notes « superbes », Très Bien en mathématiques, « fera un excellent officier », il est affecté au 3° colonial, à Toulon. C’était l’époque où s’inaugurait le Cours Supérieur des candidats à l’École d’Officiers de Versailles ! Pour y être admis, il fallait passer par les Cours secondaires, Robert Verrier voit le temps qu’il peut gagner, en suivant tout de suite le Cours supérieur ; il sollicite donc son admission et sa demande est agréée, grâce à ses notes antérieures.
L’année suivante, il est à Versailles. Douze mois de gros effort intellectuel et de travail intense ! Mais Robert est un « bûcheur »; il sort de l’École avec le n° 3 et le grade de sous-lieutenant.
Le voilà donc officier ! Il a 26 ans ! il retourne à Toulon, sous le beau ciel de Provence, pour y passer deux années. L’avenir lui sourit. C’est bien l’heure de fonder un foyer ! Mais à la veille de partir pour une colonie lointaine, il veut une compagne qui soit capable de sacrifier un moment les douceurs de la Patrie et de le suivre dans son « exil » volontaire. Le 26 août 1909, il s’unit dans l’église de Saint-Tropez, à Mlle Adrienne-Marie-Louise Rey, et le 25 septembre suivant, les jeunes épousés s’embarquent — pour leur voyage de noces — à destination de Madagascar.
Après deux années de séjour à Diégo-Suarez, où lui naît son premier enfant, le lieutenant Verrier revient de nouveau à Toulon, y passe quelques mois, puis est nommé à Lorient, en qualité d’instructeur des Candidats à l’École de Versailles.
C’est là, douze mois plus tard, que les bruits de guerre viennent le trouver. A sa vie paisible et douce va succéder brusquement une existence mouvementée et très périlleuse.
Le régiment avait l’ordre de partir le dimanche 9 août. Grand travail pour « organiser une batterie sur pied de guerre, complétée par des réservistes et des chevaux de réquisition — environ 120 sur un effectif de 170 ! » —Mais tout est prêt avant l’heure, et, en attendant « le train qui l’emmènera » vers la frontière, le lieutenant n’oublie pas de consoler ceux que son départ doit plonger dans la peine. — « Songez que tout le monde ne meurt pas à la guerre », écrit il à ses parents. Mais, homme de devoir avant tout, il sait qu’un officier ne part pas sans avoir « fait complètement le sacrifice de son existence. » Cette phrase il l’écrit, sans trembler, sous les yeux de sa femme, parce qu’il connaît la vaillance et l’énergie de la compagne de sa vie. Et il ajoute : « Si on lui proposait de me faire rester ici, je sais qu’elle refuserait, c’est ce qui me fait le plus grand plaisir. » Paroles magnifiques qui font honneur et à celui qui les a écrites et à celle qui les a inspirées ! Viennent ensuite quelques phrases, empreintes d’un grand patriotisme et d’un bel optimisme, dignes d’un officier français.
« Malgré tout ce que je laisse derrière moi, je suis heureux à la pensée que nous sommes en bonne posture pour faire payer à la race germanique que je déteste profondément tout ce qu’elle nous a fait. J’ai l’intime conviction que la lutte sera ardente, car les Allemands risquent tout, mais aussi que nous vengerons 1870 et qu’aucun général français ne pourra nous empêcher de marcher de l’avant. Cette guerre, je l’espère, aura du bon, car elle relèvera la France, en abaissant l’Allemagne et préparera à nos enfants un avenir meilleur ».
Le P.-S. n’est pas à dédaigner : « Il règne parmi nos troupiers un excellent esprit et beaucoup d’enthousiasme ».
Les coloniaux ne sont pas les derniers à entrer en lignes. Le 28 août le lieutenant Verrier est à Jamoigne, en Belgique où son cheval est tué par un projectile perdu. Le 8 septembre il assiste aux violents combats de la Fère-Champenoise (sic) où son régiment se couvre de gloire.
Tout en faisant la guerre, le lieutenant qui la prévoit plus longue qu’on ne pense « à l’arrière » prêche la patience et l’espoir, « car chaque jour qui passe nous apporte de la force et affaiblit nos adversaires. En effet, nous recevons de temps à autre, quelques pièces d’artillerie lourde ; notre matériel de toute sorte s’améliore de jour en jour. Nous sommes parfaitement ravitaillés en vivres, tandis que les Allemands sont beaucoup plus privés que nous ».
Quel talent d’observation dans les pages où il note ses impressions ! On lui avait écrit à propos des ennemis : « Ils sont donc bien forts et bien nombreux ! »
– « Oui, répondit-il, parce que très complètement outillés en toutes choses et très bien organisés; nombreux parce que leur nombreuse population a été largement appelée sous les drapeaux. Mais il ne faut pas oublier que nous les avons déjà battus en les rejetant à 6 kilomètres en arrière, du 7 au 9 septembre, à la bataille de la Marne qui a été pour nous une belle victoire. Nous n’avions à ce moment là que quelques troupes anglaises en France, jointes à nos 22 corps d’armée, qui ont fait presque tout le travail, battant les Allemands au nombre de 40 corps d’armée — certains journaux disent même 44 — soit le double de notre effectif— Maintenant — ler Décembre — nous avons avec nous davantage d’Anglais et les Belges. Mais les Allemands ont accumulé sur notre front, en France, 50 corps d’armée bien fortifiés dans leurs trous ! Nous les laissons s’user un peu avant de prendre l’offensive.
« Après la bataille de la Marne, dans notre marche en avant, il fallait voir sur toutes les routes les casques à pique gisant de tous côtés, les tentes, les équipements, les munitions d’artillerie, etc… C’était déjà une première revanche de 1871 ! » Il pensait alors à son père qui avait été autrefois prisonnier à Posen.
Cueillons en passant les réflexions où il apprécie les deux armées :
« Les grands chefs allemands ne se sont pas révélés jusqu’à présent comme étant bien forts et ont été très surpassés par nos grands chefs d’armée (notre haut commandement). Leurs officiers de troupe, dont beaucoup sont nobles, de la caste prussienne, sont surtout très fats, mais pas aussi brillants qu’un pourrait le supposer, et je crois que nous valons mieux qu’eux. Le soldat est bon et bien instruit; surtout ils ont d’excellents sous-officiers, qui sont une des principales forces de leur armée. Ceux-ci ont beaucoup d’autorité et une très bonne instruction militaire. Quant à nous, nous avons dans l’ensemble de notre armée une force morale et une confiance qui nous feront triompher de ces brutes qui marchent par la force de leur discipline. »
Très intéressantes aussi les remarques du lieutenant sur la lutte en Argonne. Son corps d’armée bordait la foret à l’ouest et, sans prendre une part directe aux combats qui se livraient sans discontinuer, il assistait au duel d’artillerie qui « n’arrêtait ni jour ni nuit. » — « Nous entendons continuellement la canonnade, écrit-il, presque toujours violente. Je me suis trouvé plusieurs fois en liaison avec des officiers du corps voisin, qui disent que la lutte y est très âpre. Cela tient à ce que la forêt de l’Argonne, très fournie, a permis aux deux adversaires de s’approcher très près l’un de l’autre. L’action de l’artillerie, qui éloigne toujours les deux partis, s’est trouvée moins efficace contre des objectifs sous bois et non vus. Enfin, le 2e Corps, se fiant aux abris que lui procurait la forêt, s’était très peu retranché. Mais les arbres se sont déplumés peu à peu avec l’automne et ils ont fini par des couverts insuffisants, de sorte que nos troupes se sont trouvées tout près des Allemands, bien retranchés comme toujours. Il a fallu travailler la terre sous les canons de fusil des soldats allemands. »
« Ceux-ci ont voulu profiter de cette circonstance et ont fait des attaques fréquentes, heureusement toujours repoussées, mais, non sans mal et sans casse… Encore une faute d’insouciance de notre part ! C’est notre principal défaut ! Les Allemands ne négligent aucune précaution, ils s’appliquent toujours, préparent tout avec patience et ténacité. Nous, nous sommes braves, mais volontiers négligents et insouciants du danger. C’est un grand tort ! Nous nous en sommes déjà corrigés, il faut le dire, et nous nous en corrigeons tous les jours. »
Dans ces notes très personnelles, nous retrouvons l’officier réfléchi et observateur, tout occupé de son rôle et toujours prêt à recevoir des leçons de l’adversaire ; ce qui est bien permis : Fas est et ab hoste doceri. Il n’est donc pas étonnant que, dès les premiers mois de la campagne, les chefs aient apprécié les qualités militaires du lieutenant Verrier et l’aient, à deux reprises, proposé pour le grade de capitaine. Mais les promotions dans les troupes coloniales, surtout dans l’artillerie, étaient très rares au début de la guerre ; car les dépôts étaient encombrés par une foule d’officiers hors cadre qui avaient été ramenés des colonies et qui comblaient largement les vides que la mort multipliait sur le front. Malgré tout, en février 1915, Robert Verrier est nommé capitaine, à titre temporaire, à la 4e Batterie, où il venait d’être affecté, pour en prendre le commandement. Cette nomination était significative, puisque la promotion de l’année précédente n’était pas encore entamée et qu’un seul lieutenant de sa promotion était, comme lui, nommé capitaine au choix.
Le nouveau capitaine prouva tout de suite qu’il méritait la confiance de ses chefs. Sa belle conduite lui valut, le 9 avril, une citation à l’Ordre du Régiment, et la Croix de Guerre que comportait cette citation lui fut remise le 17 septembre suivant.
Le 27 du même mois, il était chargé d’une « mission délicate et périlleuse » qui devait se prolonger pendant 22 jours « au point le plus visé et le plus bombardé de la région. » — « Je J’ai remplie de mon mieux, écrit-il, et sans aucune idée ambitieuse. J’ai eu la chance de réussir et aussi celle, presque miraculeuse, de ne pas me faire écharper dans la situation où je me suis maintenu. » — « Plusieurs fois à moitié enterré par les innombrables marmites qui tombaient jour et nuit » autour de lui, il sortit de ce mauvais pas « sans la moindre écorchure », couvert de terre… et de gloire. — « J’ai eu des félicitations du général et des promesses… pourvu qu’on culbute les Boches tout à fait, c’est l’essentiel. »
La récompense ne se fit pas attendre ; le 21 octobre 1915, le général commandant en chef le cita à l’Ordre de l’Armée en termes des plus élogieux :
« Officier distingué qui s’est signalé à plusieurs reprises par son courage et son sang-froid. Dirige depuis le 27 septembre 1915 le tir d une section poussée en première ligne et sous le feu permanent de l’artillerie de campagne et de l’artillerie lourde ; a su obtenir grâce à son énergie, son habileté professionnelle et son sang-froid les plus brillants résultats sur l’ennemi auquel il a infligé des pertes sérieuses. »
En faisant part à sa famille de sa citation, le capitaine ajoutait : « J’ai déjà la Croix de Guerre avec étoile ; j’aurai donc en plus la palme, c’est-à-dire tous les sacrements. » Il oubliait un « sacrement » qu’il ne devait pas tarder à recevoir. Le 26 octobre, son colonel lui annonçait qu’il était décoré de la Croix de la Légion d’honneur pour la « façon dont il avait appuyé et accompagné les attaques du 25 septembre au 10 octobre et pour la part qu’il avait prise à tous les combats jusqu’au 22 octobre. »
Nous pouvons nous rendre compte un peu de la participation active du Capitaine à ces luttes formidables par le récit qu’il nous fait d’une de ses journées :
« Nous avons enlevé un gros morceau aux Boches qui ont perdu des positions formidables et très fortement organisées, de véritables forteresses ! Pour ma part, depuis les premiers combats, je suis aux toutes premières lignes. Les 27 et 28 septembre, j’avais pris mon poste d’observation et de commandement en tète de sape, où l’on se battait corps à corps et à coup de grenades. J’ai pu pousser deux pièces de ma batterie tout près de la première ligne et, relié avec elles par téléphone depuis mon poste de commandement, j’ai fait du bon travail sur les arrières de l’ennemi et sur beaucoup de ses tranchées que je prenais en enfilade. J ‘ai eu en particulier le bonheur de détruire avec une seule pièce toute une batterie allemande dont les munitions ont sauté sur tout le front. Tout a brûlé pendant plus de deux heures sous mes obus. Les fantassins étaient si heureux qu’ils ne se cachaient plus et montaient sur le parapet de la tranchée pour mieux voir… Dès que nous avons été maîtres des hauteurs, j’ai découvert les écuries des Boches dans la plaine et j’ai eu la satisfaction de les faire déménager à coups de canon et de voir leurs avant-trains et leurs caissons s’éparpiller au galop dans tous les sens. »
Au lendemain de sa mission, en une journée très calme, un éclat d’obus emportait le lobe d’une oreille du capitaine ; légère blessure qui ne l’arrêta pas un instant !
Dans ces rudes combats, il n’avait pas seulement payé de sa personne, il avait encore « manœuvré » en chef expérimenté. Caractère sérieux, calme et pondéré, il n’était peut-être pas un « entraîneur » ; il était, si j’ose dire un « manieur » d’hommes. Ne faisant rien par bravade, n’aimant pas ce qu’il appelait « les fanfaronnades inutilement dangereuses », ne cherchant même pas à se distinguer, il se montrait « économe de la vie » de ses soldats. Mais, homme de devoir avant tout et agissant « par pure conscience », il acceptait bravement les postes les plus dangereux et demandait à ses subordonnés le même esprit de discipline et n’admettait pas les abus. Aussi avait-il une «magnifique batterie à tous tes points de vue : manœuvre, tir, discipline, tenue et esprit de sacrifice. »
II ne pouvait manquer de fixer l’attention de ses chefs qui le nommèrent « au choix Capitaine à titre définitif à compter du 4 avril 1916. »
A cette date, il « habitait un souterrain dans un buisson, à 2.000 mètres en avant de sa Batterie et de là il surveillait les Boches jour et nuit. »—« J’ai une lunette binoculaire très puissante, écrivait-il, qui me permet de distinguer leurs moindres faits et gestes, dès qu’ils montrent le nez. Ces jours, j’ai surpris deux officiers observant un tir derrière une lucarne de mansarde de village qu’ils occupent en face. J’ai logé dans la toiture en question quelques obus bien sentis qui ont dû décider le capitaine boche à chercher un autre observatoire s’il n’y a pas laissé trop de plumes. »
Nous voyons toujours le capitaine Verrier très préoccupé de son grand rôle de chef, même quand la situation est calme. Comme il se peint au vif dans la lettre qu’il écrit le 1er juin 1916 à ses parents !
« On s’imagine difficilement combien, dans cette guerre, un commandant de batterie de 75, plus que de toute autre batterie, doit se dépenser pour être toujours, à tout instant, de jour et de nuit, au premier signal, prêt à remplir convenablement les missions multiples, variées et changeantes, dont il porte la responsabilité — Quand les tranchées ennemies sont très rapprochées des nôtres et qu’il faut être toujours en mesure de faire, à toute vitesse, avec la plus grande violence, un barrage précis sur la première ligne ennemie, sans laisser tomber d’obus sur les nôtres, et, en suivant, de jour comme de nuit, les sinuosités de la tranchée ennemie qui doit être uniformément jalonnée d’obus de 75 ; quand on a conscience de se sentir responsable du secteur que nos obus doivent garder (car lorsqu’un tir de barrage est bien exécuté et déclenché instantanément, avec la précision et la violence voulues, l’ennemi ne passe jamais), on ne dort pas souvent tranquille et on fait une grosse dépense nerveuse pour maintenir en haleine le personnel qui oublierait facilement une partie de ses devoirs. »
Il n’est pas nécessaire d’être initié à la méthode que l’esprit mathématique du Capitaine avait inventée et qui nous valut d’heureux résultats à Massiges en particulier, pour se rendre compte d’après les lignes précédentes, qu’un Commandant de Batterie si consciencieux devait faire « de bon travail ».
Deux mois après cette lettre, le 30 juillet, le capitaine Verrier était tué, vers 8 heures 30 du matin, près de sa batterie sur le champ de bataille. Le capitaine M. Ch. Fournier explique en quelles circonstances :
« Le Commandant Jacquin qui commandait le Groupe avait réuni ses trois commandants de batterie, avec ses deux officiers adjoints et le médecin du groupe pour leur donner des ordres. Ils se trouvaient dans un abri léger qui leur servait de popote.
« La situation était calme. L’artillerie allemande tirait peu et les coups tombaient loin ; un projectile
isolé arriva sur le coin de l’abri, pénétra à l’intérieur, éclata en blessant le commandant Jacquin, un lieutenant et un sous-lieutenant pas très grièvement. Le capitaine Verrier et son camarade Bour, qui commandait la 3° Batterie étaient tués sur le coup. »
« Le même projectile en a tué trois et blessé tous les autres » écrit de son côté le chef de pièce.
La sépulture eut lieu le lendemain 31 juillet, au cimetière de Cappy (Somme), en présence du colonel Franceries, commandant l’Artillerie de la Division Coloniale et du commandant Lotte.
Officiers et soldats ont pleuré la mort du capitaine Verrier. Le corps d’armée a donné son nom à une
tranchée bornant « La Maisonnette » où se sont livrés de nombreux combats. Les chefs ont adressé à la famille le témoignage ému de leur sympathie et de leur douleur. « Je tiens à vous dire le véritable chagrin que m’a causé sa perte » écrit le colonel Franceries à M. Verrier, père.
« C’était un officier de très grande valeur, un très brillant commandant de batterie ! Sur la brèche depuis deux ans, il s’était distingué par son habileté professionnelle, son énergie, sa bravoure et aussi je dois le dire, sa modestie et son désintéressement.
« II avait bien mérité et son troisième galon et sa croix. Sa mort laisse un grand vide dans le régiment. »
« Le capitaine Verrier, écrit à son tour le capitaine Fournier, avait été mon lieutenant à Lorient avant la guerre et nous étions partis ensemble, à la mobilisation. J’avais pu apprécier ses qualités d’homme et de soldat. Esprit d’une droiture élevée et d’une loyauté à toute épreuve, caractère très franc, d’un dévouement inlassable, d’un courage et d une bravoure exceptionnels, il méprisait le danger, tout en étant très prudent et jouissait d’une haute autorité morale. C’était un chef dans toute l’acception du mot ; il avait fait de sa batterie une unité de combat de tout premier ordre, qui avait fart ses preuves et lui avait valu la Croix de la Légion d’honneur avec la Croix de Guerre, dont la citation est une des plus belles que j’ai lues et qui est encore au- dessous de la vérité. »
Écho de ses paroles d’un émule et d’un ami, la dernière citation à l’Ordre de l’Armée, méritée par le capitaine et libellée par le général en chef, est la plus magnifique oraison funèbre d’un soldat :
« Officier remarquable, capitaine commandant de premier ordre, doué d’une haute valeur morale ; au front depuis le début de la campagne, a supérieurement conduit sa batterie au cours de nombreux combats auxquels il a pris part. Vrai modèle d’honneur, de loyauté et de courage. Tué à son poste de commande ment le 30 juillet 1916. »
Il manquerait quelque chose à cet éloge de l’officier, si nous n’ajoutions que l’homme privé était à la hauteur du soldat, simple et bon, sans ostentation et sans bruit. Ses lettres, d’un style toujours sobre, reflètent toutes les nuances de la délicatesse, soit qu’il s’agisse de remercier la main pieuse et très chère qui a fait brûler un cierge à son intention, ou de donner un bon conseil, en relevant les courages qui défaillent. Il n’appuie pas ; quelques mots lui suffisent. On sent qu’il est plutôt un silencieux.
Il a trop pris l’habitude d’observer et de réfléchir, pour ne pas laisser son esprit suivre sa pensée intérieure, même lorsqu’il est avec les siens. On eût dit qu’il cherchait toujours la solution d’un problème.
Les caractères de cette trempe jouissent d’un grand ascendant sur les autres. On s’adresse à eux comme à des guides. — « C’est plus qu’un camarade, écrivait du capitaine un officier de son régiment, c’est un ami toujours de bon conseil. » Et, dans la famille, ses frères l’écoutaient « comme un oracle, » et se rangeaient docilement à son avis, dût l’amour-propre parfois être mis à rude épreuve !
Elle avait donc raison, la vaillante française qui reste pour le pleurer avec ses trois jeunes fils : André, Jean et Robert, d’écrire aux parents du capitaine :
« Vous pouvez être fiers de votre fils, comme je suis fière de mon mari. Tous ces éloges me seront précieux pour mes enfants. L’exemple de leur papa, le culte de sa mémoire me seront d’un précieux concours pour les élever… Moi, je ne demandais pas tant de gloire : je ne rêvais que d’un peu de bonheur !
- Source :
BELIN (E) : Livre d’or des Saboliens tombés au champ d’honneur pendant la guerre 1914-1918, Imprimerie-Librairie E. Coconnier, Sablé-sur-Sarthe, 1921, pp. 16 à 28.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k935542m/f26.item