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LES FRÈRES CHAMPEAUX dans la Grande Guerre

Les frères Champeaux ont une triste histoire que résument parfaitement ces mots de leur mère :

« (…) car moi sa peauvre (sic) mère j’avais 2 fils à la guerre ils ont été tué tous les deux lui était de la classe 13 et mon second était de la classe 16 et il a tombé le 18 avril 1918 à rouvrel (somme) et tous les deux en 22 [à 22 ans] (…) »

Cette histoire, je vais vous la narrer de manière un peu différente : au lieu de partir de la fiche matricule, je vais partir de quelques documents qui vont former les étapes de ces courtes biographies.

Tous les documents proviennent du site Europeana et ont été numérisés à l’occasion de la grande collecte initiée en 2014. Mélangés au milieu d’une cinquantaine de vues, seuls les documents concernant ces deux frères ont été utilisés. Je ne développerai donc ni le cas du beau-frère ni celui du frère aîné. Pour ce dernier, absent de tous les documents mis en ligne sur Europeana, il n’a été trouvé que grâce au recensement et on comprend le sous-entendu de sa mère dans sa lettre de 1920 : « j’avais 2 fils à la guerre ». Le troisième a été « considéré comme appelé sous les drapeaux et maintenu à son emploi de temps de paix au titre des sections de chemin de fer de campagne du 2-8-1914 au 8-3-1919 », à savoir employé au dépôt de la compagnie des chemins de fer d’Orléans à Vierzon. Il n’a donc jamais connu la zone des armées.

  • La famille Champeaux

Cette famille vivait en Indre-et-Loire à proximité de Tours. Arthur Champeaux et Marie-Anne Bourgeault étaient agriculteurs. C’est à la Riche qu’ils donnèrent naissance à leurs cinq enfants. Ensuite, ils s’installèrent à Ballan-Miré.

Sur cette photographie, on peut voir Constant Champeaux accroupi. Les deux autres hommes sont-ils des cousins ? Y a-t-il son frère aîné ? Ce n’est pas impossible car il y avait d’autres Champeaux à la Riche et il y a une réelle ressemblance.

Peut-être ce cliché a-t-il été pris à l’occasion d’un mariage, ce qui expliquerait la tenue particulièrement soignée des trois garçons. Vu le physique de Constant, elle a probablement été prise après 1913, mais pas à l’occasion du mariage de leur sœur Alphonsine, en février 1913, les arbres étant déjà en feuilles. Serait-ce à l’occasion de son passage devant le conseil de révision en 1915 ?

Quoi qu’il en soit, ce sont ces hommes à la jeunesse souriante qui furent happés par la guerre, Adrien le premier.

  • Adrien Champeaux

Il ne sera pas cultivateur comme son père. Au moment où commencèrent ses obligations militaires, l’année de son dix-neuvième anniversaire depuis la mise en place de la loi de recrutement de 1913, dite des trois ans, il était menuisier. Au conseil de révision qui se déroula au chef-lieu de canton, à savoir Montbazon, il fut déclaré bon pour le service. On releva à cette occasion sa cicatrice au front, sur la tête et l’épaule, invisible sur la photographie.

Suite à ce passage devant le conseil de révision, Adrien participa à une fête de conscrits comme il était de tradition un peu partout dans le pays. Avec des amis, il acheta quelques souvenirs à un marchand ambulant qui ne manquait pas d’installer sa boutique temporaire près de la mairie en cette occasion. Et puis il partit fêter cela avec un peu d’alcool, au moins dans un café car il se fit photographier à cette occasion. Un seul participant n’a pas d’épinglette, de cocarde, de ruban.

Un homme tient l’ardoise sur laquelle a été dessiné un drapeau et inscrit :

« Classe 1913, Cne [commune] de Bal[lan] »

S’il s’est procuré un grand nombre d’accessoires, Adrien se montre toutefois moins souriant que ses camarades.

Dans les documents numérisés, on trouve deux de ces petits cartons que les hommes ont placés sur leur casquette. Cependant, il ne s’agit pas de celui d’Adrien : sur la photographie, on voit nettement que le lettrage est clair. Ce n’est pas le cas ici.

Le 28 novembre 1913, Adrien arriva à la caserne de la 22e Section de Commis et d’Ouvriers d’Administration. Cette affectation s’explique probablement en raison de sa profession. Il s’est fait photographier à trois occasions pendant la courte période qui le sépare de la mobilisation.

Les deux premières images datent probablement du début de son service actif, au même endroit, même tenue mais pas le même jour : sur l’une le sol est légèrement humide, sur l’autre il est bien sec.

La mention « Maroc » sur deux hommes peut indiquer qu’ils sont volontaires pour rejoindre le corps d’occupation du Maroc.

La troisième photographie porte une mention au verso : « Souvenirs de Tourangeaux à Paris ». La 22e SCOA étant en garnison à Paris, c’est assez logique. On note que les hommes ne sont plus en tenue de travail mais en grande tenue.

Comme toujours, ces clichés fourmillent de détails. Pour n’en prendre qu’un, le caporal a figuré un galon par dessus ses galons de grade. Aurait-il été nommé sergent depuis peu ?

Mais ne nous éloignons pas d’Adrien. Le voici en gros plan ; sur la troisième image, on perçoit sa cicatrice au front.

Quoi qu’il en soit, c’est avec la 22e SCOA qu’Adrien entre en campagne. Impossible de dire quelles furent ses fonctions ou bien où il fut affecté. Son parcours militaire ne devient lisible qu’à partir du 10 octobre 1915 quand il passe au 8e Régiment de Tirailleurs Indigènes (ou RTI). On le retrouve aussi avec l’appellation 8e Régiment de Marche de Tirailleurs Indigènes.

La loi Dalbiez visant à vider les unités non-combattantes des hommes aptes au service armé, Adrien fut remplacé par un homme plus âgé ou un auxiliaire inapte au combat.

La citation obtenue le 21 juin ne change rien à la fin de cette histoire. Envoyé avec la 45e DI pour contenir la poussée allemande sur la rive gauche de la bataille de Verdun, Adrien est tué à 22 ans dans le secteur de la Cote 304.

Les circonstances de sa mort sont connues car elles ont été narrées par plusieurs correspondants.

Le 9 juin, les Allemands déclenchèrent une attaque sur le secteur tenu par la 38e DI à laquelle appartenait le 8e RMTI et plus particulièrement sur le secteur du Bec tenu par la 15e compagnie.

Détaché de sa compagnie par son capitaine, chef de la 15e compagnie, Adrien se trouvait au poste de commandement du bataillon avec les autres signaleurs ainsi que les téléphonistes et les agents de liaison. Il était 15 heures. Au cours du violent bombardement qui accompagna pendant de longues heures l’attaque allemande, l’abri fut touché, ensevelissant, tuant, blessant ou contusionnant tous les hommes présents. Adrien ne survécut pas à ses blessures. Dégagés, les corps furent identifiés et inhumés individuellement.

Attention : la carte ci-dessus n’a pas vocation a donné les positions exactes le 9 juin, mais de donner un aperçu des positions et des lieux cités dans le cas du tirailleur Champeaux.

L’inventaire de ses poches indique : un porte-monnaie, 5,55 Fr, un livret, un paquet de correspondances, une montre, une plaque d’identité. Le capitaine indique que ces effets devaient être restitués à la famille.

La correspondance entreprise par madame Champeaux afin de retrouver le corps de son fils montre que sa sépulture fut perdue. On lui indique que le PC se localisait « exactement à l’entrée du boyau conduisant au poste de secours du bataillon », hélas non présent sur les différents plans consultés. On lui explique en 1921 que des équipes travaillent sur place et que si le corps de son fils était retrouvé, on le lui signalerait.

L’absence de nouvelle fut certainement le premier indicateur que quelque chose s’était passé pour Adrien. Probablement est-ce dans ce contexte que fut écrite cette carte :

« Cher Adrien,

Nous sommes très étonnés de ne pas avoir de vos nouvelles plus longtemps. Comment ce fait-il est que par hasard vous seriez blesser. Nous espéront tout le contraire. Enfin a bientôt de vos nouvelles et nous cachez rien. (…)

Votre cousine Jeannette »

Adrien n’étant pas disparu, un acte de décès fut dressé par son régiment dès le 20 juin 1916 et la famille put être avertie assez rapidement.

  • Constant Champeaux :

Quand Constant posa sur cette photographie, il ne savait rien du sort de son frère. Et pour cause, elle a été prise plus d’un an auparavant, au moment où il était une jeune recrue de la classe 1916 suivant son instruction au dépôt du 32e RI. Reconnu « bon service armé » par le conseil de révision, il arriva au régiment le 10 avril 1915.

Envoyé au front en décembre 1915 au 66e RI, il est probable qu’il participa à toutes les actions du régiment jusqu’à être nommé caporal le 15 avril 1918. Seuls un document et sa citation nous en apprennent un peu plus : il était en 1917 à la 6e compagnie (2e bataillon) et il fut cité à l’ordre du régiment, n°86 du 28 août 1917 :

« Le 19 juillet 1917 a mis son fusil mitrailleur en batterie sous un bombardement intense et par son tir calme et précis a contribué à rejeter l’attaque ennemie. Soldat du plus grand dévouement », croix de guerre avec étoile de bronze.

Caporal, il ne le resta pas longtemps. Dès le 18 avril 1918 il fut tué lors d’une attaque du 66e RI à Rouvrel dans la Somme. La comparaison des cartes entre ce qui était prévu et le résultat obtenu est sans appel pour le secteur du 66e RI :


À peine sorties, les troupes d’assaut furent massacrées par les mitrailleuses allemandes et l’opération fut un coûteux échec. Parmi les tués, figurait Constant qui appartenait toujours à la 6e compagnie.

Ironie de l’histoire, si son décès fut aussi rapidement enregistré et donc annoncé à la famille, ce n’est que le 11 novembre 1918 que la transcription fut faite sur les registres de l’état-civil de Ballan.

  • En guise de conclusion

S’il est possible d’en savoir plus sur les circonstances des décès des soldats, bien souvent le reste de leur parcours ne peut être appréhendé sans d’autres documents. Or, les fiches matricules sont loin de suffire et le recours aux documents conservés par la famille sont un pis aller suivant ce qui a été effectivement gardé. Reste que ces sources familiales montrent à quel point, un siècle plus tard, l’histoire personnelle peut rester marquée par ce cataclysme individuel et collectif que fut cette guerre.

  • Sources :

Europeana, contribution 14089, FRAD037_026. Accès direct.

Archives départementales d’Indre-et-Loire :

Recensement de La Riche, 1891, 6NUM5/195/013 vue 76/80.

Fiche matricule d’Arthur Champeaux, classe 1901, matricule 1220 au bureau de recrutement de Tours. 1R711/1901, vue 332/809.

Fiche matricule d’Adien Champeau, classe 1913, matricule 1473 au bureau de recrutement de Tours. 1R787/1913, vue 877/925.

Fiche matricule de Constant Champeaux, classe 1916, matricule 883 au bureau de recrutement de Tours. 1R804/1916, vue 760/978.

JMO du 8e RTI, SHD 26 N 850/9.

JMO du 66e RI, SHD 26 N 657/16.

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Publication de la page : 13 décembre 2015

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