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Le triste destin de Jean Audibert, 112e RI, 1910

La photographie militaire permettait aux hommes concernés de se montrer sous leurs plus beaux atours et de véhiculer un discours souvent rassurant. Mais, elle pouvait également être utile aux proches pour transmettre l’image d’un être cher disparu. Le courrier de Pauline Audibert appartient à cette seconde catégorie.

  • Un conscrit bien sous tous rapports

L’homme pose seul, debout, en studio de photographe. Son uniforme est parfaitement conforme à celui d’un fantassin de la IIIème République en tenue de ville :

L’homme a également pris soin de lustrer sa moustache qui apparaît brillante sur l’image.

Pas de mystère sur le régiment de ce soldat de 2ème classe : il s’agit du 112e Régiment d’Infanterie caserné à Toulon et Hyères, dans le Var.

  • La souffrance d’une mère

« Chère Madame, je ne me rappelle pas si je vous avais donné la photographie de mon pauvre Jean j’ai du en faire refaire pour ses amis. J’ai pensé vous faire plaisir en vous l’envoyant. Voila bientôt deux mois qu’il m’a quittée je craignais la solitude j’y suis complètement seule et pour toujours qu’elle vieillisse seule toute seule jamais je ne pourai me consoler d’avoir perdu un enfant si bon, si loyal.

Une caresse d’une mère bien malheureuse. Pauline Audibert 7 Rue Lépante »

L’envoi n’est pas daté, un premier timbre a disparu et le second timbre est en partie arraché. Le tampon effacé ne permet pas de lire convenablement la date d’envoi.

Une mère éplorée par la perte de son fils, un jeune militaire à l’orée de la guerre, la recherche s’oriente naturellement vers les Morts pour la France. La recherche avec le nom exact AUDIBERT et le prénom Jean donne 21 occurrences dont plusieurs provenant du Var ou de sa région.

Avant de chercher une correspondance dans cette masse, une simple recherche sur un moteur de recherche avec le terme « Rue Lépante » renvoie vers la ville de Nice. L’hypothèse est possible puisque le Var et les Alpes Maritimes sont toutes deux dans la 15ème région militaire. Un jeune niçois d’avant guerre peut donc tout à fait être intégré au 112ème régiment d’Infanterie dans le département voisin.

La recherche porte ses fruits puisqu’au recensement de 1911 vit effectivement à Nice, Madame Audibert Pauline, son fils Jean ainsi qu’une domestique italienne Joséphine.

Pauline est originaire d’Entrevaux et Jean de la Seyne -sur-Mer, dans le Var.

La suite de la recherche est aisée et permet de brosser un pan de l’histoire familiale qui débute en 1883, à Cannes lorsque Sauveur Jean Baptiste Audibert épouse Claire Pauline Barneaud. Il est pharmacien et fils de notaire, elle est fille de confiseurs.

Le couple s’installe à la Seyne-sur-Mer, commune de naissance de l’époux. Le 28 novembre 1886 nait Jean Marie Fortuné.

La famille déménage à Nice, à 150 km de La Seyne-sur-Mer avant 1906, date à laquelle la famille est recensée avenue Mirabeau.

Cette année est charnière car elle correspond à la fois à l’appel de Jean sous les drapeaux et au décès de Sauveur, le père, le 4 mai.

Lors de son appel, Jean Audibert est ajourné pour faiblesse jusqu’en 1908 où il est affecté aux services auxiliaires en raison de pleurésie chronique. En 1909, la Commission Spéciale, le classe bon  pour le service armé au 112e Régiment d’Infanterie. En avril 1910, il est de nouveau classé aux services auxiliaires en raison cette fois d’une arythmie cardiaque. Sa visite chez le photographe se situe donc entre octobre 1909 et avril 1910 avant son renvoi en disponibilité le 25 septembre 1910 muni de son certificat de bonne conduite.

  • Un décès précoce

La fiche matricule indique la date de décès du jeune homme :

Le jeune homme n’est donc pas « Mort pour la France » car il est décédé depuis plus de deux ans lors du déclenchement du conflit. La lecture « 7 » du tampon ainsi que l’écrit de madame Audibert permet de situer l’envoi de la carte à juillet 1912.

L’acte de décès n’indique pas de motif ou de cause de la mort de ce jeune homme de 26 ans. Ses anomalies cardiaques ou pulmonaires décelées durant sa conscription n’y sont peut être pas étrangères.

  • En guise de conclusion

Madame Audibert en plein deuil est effectivement seule. Veuve depuis 6 ans, elle perd son fils unique, elle a alors 52 ans.

Cette carte et la recherche associée indiquent qu’il faut se méfier des idées préconçues que l’on peut avoir à la simple lecture d’une carte postale centenaire. Hors contexte et avec notre regard actuel, l’idée d’un Jean Audibert « Mort pour la France » durant le conflit pouvait paraître une évidence alors qu’il n’en est rien.

  • Sources

Archives départementales du Var (83) : https://archives.var.fr/

7E133_63 – Naissance Jean Marie Fortuné Audibert, vue 91

Archives départementales des Alpes-Maritimes (06) : https://archives06.fr/

06M0147, Recensements Nice 1906, secteur Ouest, vue 441

06M0149, Recensement Nice 1911, secteur Ouest, vue 535

1R 0576, Fiche Matricule Jean Marie Fortuné Audibert , classe 1906, matricule 2236 au bureau de recrutement de Nice, vue 340

Décès Sauveur Jean Baptiste Audibert, registre des décès de Nice, 1906, vue 342

Décès Jean Marie Fortuné Audibert, registre des décès de Nice, 1912, vue 331

Carte : Géoportail

Base de données des Morts pour la France

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Image : collection T. Vallé. Réutilisation interdite sans l’autorisation du propriétaire.

Mise en ligne de la page : 8 janvier 2023


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