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Joanny Champagneux et ses compagnons, la guerre en Allemagne

    Parmi les millions de soldats engagés lors du conflit, des centaines de milliers sont fais prisonniers par l’un des belligérants. On imagine mal, cent ans plus tard, ce qu’ont pu être les moments d’émotion pour les familles, d’abord de ne plus avoir de nouvelles de son proche, le croire peut-être décédé puis finalement, recevoir une carte rassurante d’Allemagne. Le soldat est vivant et à l’abri des combats. Joanny est un de ceux-là.

  • Une image riche

    Les camps de prisonniers rassemblent les hommes de troupes et sous-officiers ensemble, les officiers étant isolés. Les prisonniers ne sont pas regroupés par pays, un camp peut alors abriter plusieurs nationalités. Il n’est donc pas rare sur ces clichés de voir des uniformes et des unités très disparates. C’est le cas ici avec notamment :


Un zouave avec sa chéchiaUn sergent du 152ème régiment d’infanterieUn sergent du  99ème régiment d’infanterie

Un homme du 75ème régiment d’infanterie coiffé d’un képi d’achat     personnel : peut-être un sergent ?Un sergent du 3ème régiment du génie (pattes de col en velours noir)Un adjudant du 6ème régiment d’infanterie

    Comme souvent, la pose ne doit rien au hasard. L’officier en bas au centre, les sous-officiers de part et d’autre et les soldats à l’arrière.

    Au moins quatre de ces hommes portent un pantalon qui présente une double bande claire, peut-être jonquille. De telles culottes ne sont pas réglementaires dans l’armée française. Il s’agit de fournitures allemandes que l’on trouve sur de nombreux clichés.

    Plusieurs hommes exhibent leur plaque d’identification de prisonnier. Malheureusement, le grain pas assez fin de la photographie ne permet pas de lire les inscriptions.

    Les hommes posent en extérieur, devant un baraquement numéroté 8. Celui de ces prisonniers ?

    Les bâtiments étaient construits par les prisonniers eux-mêmes. Ceux retenus ici ont installé des rideaux aux fenêtres, coquetterie, quand tu nous tiens ! Un des « habitants » regarde le photographe l’air goguenard. Il porte un képi qui semble anglais. Une chose est sûre, c’est bien un prisonnier, sa plaque brille!


    Et pourtant « Joanny » n’est pas prolixe.

« Bons baisers, affectueuses amitiés Joanny Le 31 Octobre 1917.

Monsieur et Madame L. Champagneux; Hotel à Grigny, Rhône »

    Sans doute la faute à la franchise militaire et à la censure sévère.

Le tampon permet d’identifier le camp :


    Ce camp de prisonniers était situé dans le sud de l’Allemagne, à quelques kilomètres de Stuttgart. Il abritait 5000 prisonniers de plusieurs nationalités sous l commandement de l’Hauptmann Nick. Les travaux des prisonniers étaient liés à une carrière de pierre, à l’agriculture, à une mine de sel.

    La carte est datée d’octobre 1917. Ce début d’automne devait être bien frais puisque les hommes ont sorti pulls et écharpes !

  • Le prisonnier de guerre Joanny

    Quelqu’un a eu la bonne idée de mettre une croix sous un des hommes, technique habituelle pour désigner l’auteur. Joanny serait donc le sergent au manteau du 99e RI.

    Pour tenter de retrouver sa trace à défaut de nom de famille, il faut tenter de faire le lien avec le destinataire, ce qui nous envoie dans le Rhône, à Grigny à la recherche de L. Champagneux. Le recensement de la commune de 1911 révèle la présence d’un Lucien Champagneux, époux de Louise. Une domestique vit avec eux, il n’y a pas de trace d’enfants.


    Louis est né en 1855 et Louise en 1865, ils ont donc respectivement 56 et 46 ans. Il est possible qu’ils aient eu des enfants, qui en 1911 vivent de leur côté. Direction donc les tables décennales de Grigny, qui permettent de trouver la date de mariage de Louis et Louise en 1885. Et dans les naissances, on constate que le couple a donné la vie à un petit Joanny, le 3 septembre 1891 !

    Se pourrait-il qu’il s’agisse de notre prisonnier ?

    La fiche matricule donne la solution : membre de la classe 1911, le conscrit Champagneux porte le matricule 28 du recrutement de Lyon Central. Même si les feuillets, scotchés, ne sont pas tous accessibles, on peut y lire qu’il s’est engagé volontairement à Givors le 13 septembre 1909 à l’âge de 18 ans et 10 jours. Affecté au 99e RI, il passe caporal en septembre 1910, puis sergent en juin 1911. Il est renvoyé dans ses foyers à la fin de son engagement en 1912.

    Le sergent Champagneux est rappelé en août 1914 et est aux armées dès le 10 août. Sa campagne est très courte puisqu’il est capturé à Rothau le 22 août 1914. Interné à Gmünd, au sud de Munich, il est transféré à Ludwigsburg à 300 km de là durant le conflit.

    Lorsqu’il écrit sa carte, Joanny Champagneux est loin des siens depuis 3 ans. Il n’est rapatrié qu’en janvier 1919 après 4 ans et demi de captivité. Mais il n’en a pas fini pour autant avec l’armée, ses années de captivité ne comptent qu’en campagne simple. Il est affecté à la fin du conflit au 3ème régiment de zouaves, puis dans les chasseurs.

    Aparté heureux, en octobre 1919, Joanny Champagneux se marie à Grigny.

    Ses obligations militaires s’achèvent  en 1937.

    Joanny s’éteint en 1951, toujours à Grigny.

  • Compagnons d’infortune

    La consultation des archives du CICR ne révèle la présence du sergent Champagneux que dans une liste, dressée le 23 novembre 1918 au camp d’Hameln (Hamelin). Il a donc été transféré dans l’année qui sépare sa carte de cette liste.

    Mais qu’en est-il de ses compagnons avec lesquels il pose ? Et s’ils ont suivi le même chemin, une identification est-elle possible? Les probabilités sont restreintes : sur les 504 noms de la liste, seulement un adjudant du 6ème Régiment d’infanterie (n°86 – DAUX Jules), un sergent du 3ème Bataillon du Génie (n°59 – COSTE André) et un sergent du 75ème Régiment d’Infanterie  (n°83 – DECARME Louis). Toutefois, toute affirmation à cet instant serait prématurée. Les fiches matricules peuvent apporter des précisions :

* DAUX Jules : Engagé volontaire en janvier 1901 au 75ème Régiment d’infanterie, il rempile dès juillet 1902 au titre cette fois dans la coloniale. Il combattra alors au Tonkin ainsi qu’à Madagascar et obtiendra son galon d’adjudant en juillet 1913. Il est rapatrié en France suite à son affectation au 6ème Colonial. C’est en servant dans ce régiment qu’il est fait prisonnier en 1914. Sa fiche matricule indique un internement à Ulm, sans mention de Ludwigsburg ni de Hameln. Rien n’indique sur la photographie que l’adjudant est de la coloniale. Son identification comme Jules DAUX reste donc une simple hypothèse même si son képi d’une seule couleur semble bien être celui d’un homme de la coloniale.

* COSTE André : conscrit en 1907, il est affecté au 3ème Régiment du Génie sans doute en raison de son emploi aux ponts-et-chaussées. C’est donc ce régiment qu’il retrouve en août 1914 avec son galon de sergent obtenu en 1911. Prisonnier à Maubeuge en septembre 1914, sa fiche indique une incarcération au Koenigsmor. Pas de mention de Ludwigsburg ni d’Hameln mais cette mention n’est pas automatique puisque d’aucun intérêt pour l’administration. La description physique donnée sur la fiche est la suivante : cheveux et sourcils châtains, yeux bruns, nez assez gros, menton rond, visage ovale. Avis aux physionomistes…

    Toutefois un élément vient discriminer cette identification : la taille. André Coste mesure 1m82. Sans être un géant, il était largement plus grand que la moyenne de ses congénères. Hors notre homme sur le cliché est, et parfois de loin, le plus petit des hommes debout !

    Difficile d’imaginer que la moitié de ces hommes fasse 1m90 ou plus ! L’homme sur la photo ne peut donc pas être André Coste et reste non identifié.

* DECARME Louis : Incorporé avec la classe 1910, il quitte son régiment, le 75ème d’infanterie  en novembre 1913 avec le grade de sergent. Rappelé 9 mois plus tard, il disparaît en septembre 1914 dans les Vosges et est interné à Ludwigsburg, puis transféré à Hameln à une date inconnue. Son parcours en parallèle de celui de Joanny pourrait bien être une piste d’identification.

    La description physique, très précise indique des yeux châtain clair ainsi que la présence d’un grain de beauté au-dessus de l’œil droit.

    L’hypothèse est séduisante. Toutefois, difficile d’apporter une réponse ferme et définitive et en l’absence d’éléments probants, l’identification restera au rang de supposition.

  • En guise de conclusion

    Joanny a choisi d’envoyer une des quatre cartes auxquelles il avait droit chaque mois à ses parents. Une nouvelle fois, la carte se fait le lien entre la famille à l’arrière et le soldat au front ou comme ici en captivité. Pas de permission évidemment, alimentation insuffisante, hygiène souvent absente, la vie des camps de prisonniers n’avait rien à envier à l’existence au front pour certains aspects.

  • Sources

Carte : Google map

Informations sur le camp de Loudwigsburg Eglosheim : Forum pages 14-18Wikipedia : accès direct à l’article.

Archives CICR : https://grandeguerre.icrc.org/fr/List/3446766/731/100138/, vue 100136

– Archives départementales du Rhône :

6 MP 525 – Recensement de Grigny, 1911, vue 9/31.

1 RP 1158 – Fiche matricule de Joanny Champagneux, classe 1911, matricule 28 au bureau de recrutement de Rhône central, vue 54.- Archives départementales de la Drôme :

1 R 234 – Fiche matricule de Jules Louis DAUX, classe 1902, matricule 840 au bureau de recrutement de Romans, vue 526.

– Archives départementales du Nord :

1 R 2871 – Fiche matricule de COSTE André, classe 1907, matricule 1134 au bureau de recrutement de Lille, vue 187

– Archives départementales de l’Isère :

1 R 1500 – Fiche matricule de DECARME Louis, classe 1910, matricule 560 au bureau de recrutement de Vienne, vue 114.

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Image : collection T. Vallé. Réutilisation interdite sans l’autorisation du propriétaire.

Mise en ligne de la page : 26 mars 2023.


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