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HENRI ROHÉ : une plaque d’identité, le tétanos (1886-1916)

C’est parfois par l’intermédiaire d’un objet que commence une recherche. Ici, il s’agit d’une plaque d’identité en aluminium retrouvée en Champagne sur laquelle est inscrit : ROHE HENRI 1906 sur une face MAMERS 1022 sur l’autre.

Probablement découverte par un récupérateur de métaux autour de Perthes-les-Hurlus, en Champagne, il y a bien longtemps, cette plaque pose la question des circonstances qui ont conduit à ce qu’elle reste dans ce secteur. La blessure ou la mort du porteur sont deux des pistes que seule l’étude du parcours de cet homme permettrait de départager.

La plaque porte les informations nécessaires pour cela : pour identifier l’homme qui portait cette plaque, il était indiqué à la fois son nom et son prénom mais aussi sa classe, son bureau de recrutement et son matricule dans ce bureau, ce qui permet de retrouver sa fiche matricule.

Le 21 mai 1883, est le jour où la personne chargée du recensement dans la commune de Moitron dans la Sarthe est venue au lieu-dit la Couetterie. Ce n’était pas un jour comme les autres pour une des familles visitées, les Rohé : Valentine Bellanger – l’épouse – ne s’est peut-être pas levée pour accueillir cette personne. Et Pierre Rohé – l’époux – devait probablement être très occupé ce jour là. En effet, la veille, le couple a eu son second fils, Henri.

De leur union célébrée en avril 1875 à Moitron sont finalement nés deux fils : Pierre en 1877 et Henri en 1886. Henri a dû passer une partie de son enfance sur les bancs de l’école communale. Sa famille a quitté la Couetterie pour s’installer au Gué Lian vers 1895, toujours dans la commune de Moitron. Henri se lia-t-il d’amitié avec Marie Vages, jeune domestique qui avait 9 ans comme lui en 1896 et qui travaillait chez les Rondeau ses voisins ? Suivait-il le fils Latouche dans ses expéditions d’enfant de 13 ans ? Car la différence d’âge avec son frère faisait qu’ils ne vécurent pas longtemps sous le même toit. En 1891, Pierre ne vit plus chez ses parents mais est domestique à la Commanderie, grande ferme du voisinage qui emploie pas moins de 5 domestiques.

Pour Henri, une fois l’école terminée, ce fut aussi le départ de la maison familiale mais pas en tant que domestique de ferme. Comme son père et de nombreux Rohé du pays, il devient « fabriquant de cercles », « ouvrier en cercle », en d’autres mots charron. En 1911, il travaille chez Rondeau à Fresnay-sur-Sarthe où il s’est installé avenue Victor Hugo dans un bâtiment où loge aussi la famille Duval. Il a 25 ans et ne vit pas seul : il s’est marié en janvier avec Marie Pineau, d’Assé-le-Riboul.

Quelques mois plus tard, il va jusqu’à Châteaudun pour une période d’exercices au 1er régiment de chasseurs à cheval. En effet, contrairement à son frère qui n’a pas fait son service militaire à cause d’une hernie, Henri est bon pour le service au bureau de recrutement de Mamers, classe 1906, matricule 1022. Il fait ses deux ans à la caserne, de 1907 à 1909, dans la cavalerie, au 5e régiment de hussards à Troyes ou Nancy, loin de la Sarthe. Il a d’ailleurs failli avoir un grave accident au cours de son service : alors qu’il était en train de lui nettoyer les membres postérieurs de bon matin ce 23 mai 1908 (il est 6 heures), la jument « Fleurissante », dans une ruade, lui touche le côté gauche du visage. Plus de peur que de mal : rien n’est cassé et il n’y gagnera que trois points de suture. Soldat bien vu par sa hiérarchie, il devient ce même mois hussard de première classe. A la fin de ses deux ans, il obtient son certificat de bonne conduite.

En août 1914, il doit quitter ses outils, Fresnay, Marie : il est rappelé par le décret de mobilisation et arrive à la caserne, toujours probablement à Châteaudun, le 3 août. Rien n’indique dans sa fiche matricule s’il est resté au dépôt ou s’il a été envoyé sur le front ou à partir de quand. Seule certitude, il est versé dans l’infanterie le 31 août 1915. Est-il arrivé en renfort avant les combats de l’offensive de septembre-octobre en Champagne où son nouveau régiment, le 115e RI de Mamers, a beaucoup souffert ? Est-il arrivé après parmi les hommes venus combler les pertes ?

Quoi qu’il en soit, il va s’y révéler un bon fantassin malgré sa formation de cavalier : il est promu caporal le 21 février 1916 puis sergent le 1er avril. Pendant cette période, son régiment reste en Champagne, secteur plus calme qu’en 1915. Il ne quitte ce secteur qu’en juillet 1916 pour le brasier de Verdun.

La plaque ayant été retrouvée en Champagne et vu qu’Henri a quitté le secteur en vie, elle n’a donc pas été perdue en raison d’une blessure ou d’un décès. Lui a-t-on changé ses plaques à un moment ou un autre ? A-t-il perdu cette plaque à un moment ou un autre ? Si Henri a quitté la Champagne en vie, son destin va être de tomber quelques jours plus tard dans de terribles circonstances.

Le régiment arrive à Verdun le 11 juillet et se retrouve au cœur des violents combats du 12 au 27. Henri s’y illustre une nouvelle fois, ce qui lui vaut cette belle citation à l’ordre du régiment, hélas à titre posthume : « S’est distingué en maintes circonstances. Pendant les journées du 16 au 26 juillet 1916 en particulier, a assumé la liaison avec une division voisine dans un terrain violemment battu par l’artillerie lourde. A rempli sa mission avec zèle, intelligence et grande bravoure ». A titre posthume car le dernier jour, le 27 juillet, Henri fait partie des 75 hommes blessés au régiment. Aucun détail n’est donné par la fiche matricule sur cette blessure où ses circonstances. Même problème pour le JMO du régiment qui se contente de comptabiliser la perte de plus d’un tiers de son effectif pendant la période en première ligne à Verdun.

Il est blessé le 27 juillet et la dernière information disponible est qu’il décède à l’institut Pasteur, à Paris, le 13 août suivant d’un tétanos traumatique céphalique.

Cette pathologie nous apprend qu’il a été blessé une nouvelle fois au visage, mais cette fois-ci de manière bien plus grave. Une plaie, souillée de boue ou par des instruments de chirurgie contaminés par la toxine, où va se développer le tétanos, une maladie dont on réchappait peu et qui faisait des ravages dans les rangs des blessés. Pour Henri, c’est une forme rare de tétanos qui se développe, le tétanos céphalique. Cette forme de tétanos « n’affecte que le côté blessé du visage (…) dans la région du nerf facial qui est atteint par la toxine ». Cela explique également qu’il ait été envoyé à l’institut Pasteur à Paris.

Son frère a eu plus de chance, il a passé deux ans dans l’infanterie avant d’être détaché dans une usine, mais des problèmes d’alcool l’ont entraîné plusieurs fois vers la prison. Son épouse a quitté Fresnay-sur-Sarthe, mais a fini par y décéder en 1969 sans s’être remariée. Son nom figure sur le monument aux morts de Fresnay-sur-Sarthe, dernier souvenir de cet homme avec cette plaque d’identité qui a conduit à cette recherche. Destin d’une plaque qui a permis de retrouver le destin d’un homme qui ne semble pas avoir eu le temps de construire une famille et qui est mort dans de terribles souffrances.

  • Remerciements

À Eric Marchal dont l’envoi de l’image de la plaque a permis cette recherche.

  • Source :
  • Fiche matricule d’Henri Rohé, Archives départementales de la Sarthe, AD72 1R1168.
  • Fiche matricule de Pierre Rohé, Archives départementales de la Sarthe, disponible sur le site.
  • Recensements de la commune de Moitron, AD72 2Mi_289_27.
  • Recensements de la commune de Fresnay-sur-Sarthe, AD72 2Mi189_164.
  • JMO du 115e RI, SHD 26N681/14.
  • Larousse médical 2006. Accès direct au site.
  • Hans W. et Freney J., Le Tétanos, histoire d’une maladie redoutée et celle du bacille de Nicolaier, Lyon Pharmaceutique, 2001, N°52, pages 34 à 81. Accès direct à l’article.

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Publication de la page : 22 avril 2012

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