ANONYME, Lieutenant Joseph Lemaire, Le Mans, imprimerie Benderitter, sans date.
Cet opuscule à la diffusion probablement très restreinte est la biographie de Joseph Lemaire, tué en 1914 dans la Meuse.
Construit essentiellement autour des souvenirs familiaux et des lettres reçues de la part de Joseph Lemaire et après sa mort de camarades et d’officiers, le livre suit une chronologie stricte. Composé d’un seul chapitre, il compte un peu plus de la moitié des pages sur la vie avant-guerre et le reste sur la mobilisation et la mort. Dans la seconde partie, plus qu’un suivi factuel des événements qu’il vécut pendant ses trois mois de campagne, l’auteur dresse un portrait moral reposant sur certains actes précis.
Si l’ouvrage fut probablement publié avant la fin du conflit (il ne comporte aucune allusion à ce sacrifice qui ne fut pas vain), son auteur reste inconnu. Un membre de la famille ou un proche qui eut accès aux différentes lettres ? Impossible de le préciser en l’absence de tout autre élément à notre disposition. À quelle occasion a-t-il été imprimé ? Pour une cérémonie particulière à la mémoire de Joseph Lemaire ? L’invitation à la prière sous la photographie peut le laisser imaginer.
- Une hagiographie, la vie d’un Saint
Plutôt que biographie, on peut clairement parler d’hagiographie. Tout le texte ne fait que mettre en avant les qualités de cette personne. Les qualités humaines (écoute, bienveillance, attention, sérieux, gaieté), les qualités morales (exemplarité, modestie, délicatesse, droiture), les qualités militaires (bravoure, amour du devoir) mais surtout les qualités religieuses sont systématiquement mises en avant. Ce sont ces dernières qui font l’objet de toute l’attention de l’auteur. Si la foi de Joseph Lemaire a été un moteur pour lui depuis ses études jusqu’à sa mort comme en témoignent les courriers reçus par la famille et ses actes et choix, on tombe dans l’hagiographie par la redondance et la fréquence des allusions. Des mots comme « bienheureux », « apôtre », « sacrifice », « espérance », « amour de ceux qui souffrent », « charité », « religion du dévouement » ne sont pas choisis au hasard. L’auteur veut relier le dévouement de Joseph Lemaire au sacrifice du Christ. Le parallèle revient à plusieurs reprises, quand il s’occupe d’un ami ayant une maladie contagieuse, quand il participe à des œuvres caritatives. L’analogie n’est plus sous-entendue mais clairement évoquée lors de la mort de l’officier. La lecture de l’Imitation du Christ est on ne peut plus claire.
Le cérémonial religieux mis en place par des camarades est décrit soigneusement .
- Un ouvrage dans un courant de pensée du catholicisme
Au final, si le petit ouvrage donne des éléments factuels riches sur la vie de ce mobilisé, il convient d’en faire une lecture gardant en tête le message que veut faire passer l’auteur : plus qu’un héros, Joseph Lemaire fut un Saint dont l’exemple doit être suivi. D’ailleurs, les intentions de l’auteur sont bien visibles quand il mentionne comme dernier élément avant la morale finale :
« Oh ! avec de pareilles victimes expiatoires, ajoute le lieutenant, ami de Joseph, la guerre aurait vite payé la dette que la divine justice réclame à notre société corrompue et oublieuse de ses lois. Remercions Dieu de demander de pareilles rançons, c’est le gage qu’elles jouissent déjà de la félicité des élus. »
La France est punie de ses péchés par cette guerre est un discours qui existe dans la communauté catholique de l’époque comme l’explique Annette Becker page 544 d’un article sur l’histoire religieuse de la guerre 1914-1918 : « […] Cette pensée s’est nourrie en particulier chez les catholiques d’une école doloriste où l’imitation de Jésus ne peut s’illuminer des miracles et de la résurrection qu’en privilégiant les souffrances de la Passion. »
- En guise de conclusion
Le discours dont le ton est loin d’être neutre, comme le fait d’imprimer ainsi la vie de cet homme furent probablement un choix de la famille visant à la fois à conserver le souvenir d’un fils disparu et d’un faire un exemple, donnant du sens à cette disparition.
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- Source :
Fiche matricule de Joseph Lemaire, classe 1909, matricule 1222 au bureau de recrutement du Mans, Archives départementales de la Sarthe, 1 R 1199 (vue 328/662).
- Pour aller plus loin :
Becker Annette. L’histoire religieuse de la guerre 1914-1918. In: Revue d’histoire de l’Église de France, tome 86, n°217, 2000. Un siècle d’histoire du christianisme en France. pp. 539-549
https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_2000_num_86_217_1431
