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EUGENE MARIAUD : Histoire d’un homme, mémoire d’Esclangon

Tout est parti d’une simple randonnée en montagne en 2009, dans les Alpes-de-Haute-Provence, non loin de la préfecture, Digne-les-Bains. Il y a des villages abandonnés dans ce département. De celui-ci, il ne reste que quelques ruines, un lavoir, un cimetière. Perchées à 1300 mètres d’altitude, ces ruines sont une étape dans une très belle randonnée.

Assez isolés, avec des conditions de vie difficiles – certains périclitaient bien avant la guerre de 14-18 – ces villages sont souvent perdus dans les montagnes et la végétation. Tel est le cas d’Esclangon.

Déjà en 1921, il était loin le temps de ce village et de ses hameaux.

En 1948, il ne restait qu’une poignée de personnes.

Quel lien avec la Première Guerre mondiale ? Simplement cette commune n’a pas de monument aux morts. On en imagine facilement la raison : soit que le coût ait été trop important (18 habitants en 1921), soit qu’elle ait fait partie des rares communes dans lesquelles tous les hommes revinrent.

Pourtant, recherche faite sur place dans le registre d’état civil, désormais disponible dans la commune voisine de la Javie avec laquelle Esclangon a fusionné en 1973, il y a bien un mort pour la France. Et par n’importe qui : le fils du maire de l’époque, Eugène Mariaud.

J’avais évoqué le cas en 2009 sur le forum pages 14-18. En 2014, à l’occasion d’un nouveau séjour dans le secteur, j’ai visité l’éco-musée de la Javie pour visiter une exposition sur la Première Guerre mondiale dans la commune. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir le portrait du seul soldat mort au combat d’Esclangon. J’informais alors le guide qu’il n’existait aucune plaque ni aucun monument portant le nom de cet authentique mort pour la France.

  • Eugène Mariaud

Eugène Mariaud est né à Digne le 20 septembre 1882, dans le quartier du Mouirouès où vivaient alors ses parents. Il est le premier enfant d’un couple qui aura également une fille en 1886. Entre temps, la famille s’installa à Esclangon.

Eugène apprit à lire et à écrire avant de devenir cultivateur et distillateur. Le placard de la photographie à l’éco-musée indique qu’il récoltait la lavande sur les versant du Blayeul (sommet voisin d’Esclangon), la stockait dans l’Estagnon. Il la vendait distillée ensuite à Digne et jusqu’à Nice.

Il aurait dû faire son service actif à l’armée à partir de 1903, mais il n’en fut rien. Il fit pourtant tout le parcours d’un jeune homme de 20 ans. Après son recensement en décembre 1902, le 27 janvier 1903 il se rendit à la Javie, chef-lieu de canton, pour le tirage au sort. Il eut le numéro 14. Il pesait alors 56 kilos et mesurait 1 mètre 66. Mais on lui décela des palpitations cardiaques. Elles furent confirmées lors de son passage devant le conseil de révision, toujours à la Javie, le lundi après-midi du 18 mai : ajourné à un an, pour faiblesse de cœur. Il se représenta donc deux fois, en 1904 et 1905 pour voir son ajournement d’abord confirmé puis définitif. Le motif de son exemption fut « faiblesse de cœur pas lésion cardiaque ». Donc jamais il ne mit les pieds dans une caserne.

En 1906, à 22 ans, il est toujours domicilié chez ses parents. Je n’ai pas trouvé trace pour l’instant d’un éventuel mariage.

Son statut d’exempté fit qu’il ne fut pas appelé lors de la mobilisation d’août 1914, alors qu’au moins 5 habitants de la commune inscrits sur les listes électorales partirent. Mais les pertes importantes conduisirent le gouvernement à décider de faire passer à nouveau les exemptés devant le conseil de révision par le décret du 9 septembre 1914. Ainsi, Eugène se rendit une quatrième fois devant le conseil de révision le 23 décembre 1914. il fut « classé service armé » cette fois-ci.

Affecté au 27e BCA, il y arriva le 26 février 1915. La suite de son parcours est incertaine. Quand fut-il envoyé en renfort ? Hélas, il n’y a pas de JMO pour l’année 1915 pour le 27e BCP. Impossible donc d’en dire plus que ce que nous apprend sa fiche matricule : « Tué à l’ennemi le 18 juin 1915. Hauteur de Metzeral, cote 955 ». L’historique du régiment ne nous en apprend guère plus : « Du 27 mai au 21 juin, le 27e bataillon prend part à l’offensive menée par la 66e division sur la cote 955-5 et Metzeral, et, après plusieurs attaques meurtrières, entre à Metzeral 18 juin ». Son décès est acté le 18 juin 1915 « sur la déclaration de Bois Honoré, 22 ans, sergent au 27e BCA et Chambron Léon, sergent-fourrier au 27e BCA ».

Il est fort probable qu’il ne connut que très peu de temps le front, car il dut tout de même passer quelques mois au dépôt pour apprendre le métier des armes. Son acte de décès est transcrit le 31 décembre 1915 sur le registre d’Esclangon.

Sur le registre des délibérations du conseil municipal de la commune, on trouve en 1916 la mention de son absence en raison de son décès. Le second absent est, lui, mort de vieillesse. Le maire présente la demande de l’instituteur qui a déjà perdu un fils et qui souhaite que son dernier puisse bénéficier d’un poste loin du front. La demande est soutenue par le conseil municipal à l’unanimité, mais que pouvait se dire le maire, Antoine Mariaud, père d’Eugène ?

Après la guerre, Eugène reçut à titre posthume la médaille militaire. 

La commune ne fit pas élever de monument. Son père refusa-t-il ? La somme nécessaire était-elle trop importante pour la population ? Y avait-il simplement une plaque dans le cimetière ? N’étant pas retourné sur place depuis, je ne le sais pas. Il semble par contre que le corps d’Eugène ait été ramené au pays. C’est ce que sous-entend le cartouche de la photographie à l’éco-musée de la Javie.

Le livre d’or confirme qu’il est le seul homme n’étant pas revenu du conflit à Esclangon. S’il a eu son nom gravé sur une plaque placée sur la tombe familiale ou au cimetière (peut-être même son corps a-t-il été rappatrié après-guerre ?), force est de constater qu’elle n’a pas été reprise par la commune de la Javie lors du rattachement de 1973. Mais après avoir discuté de ce fait à l’association de l’éco-musée, c’est avec plaisir que j’ai appris qu’une plaque fut ajoutée le 11 novembre 2015 portant le nom d’Eugène Mariaud.

Le monument en 2009 :

La plaque ajoutée et inaugurée le 11 novembre 2015 :

Je suis très critique quand il s’agit d’ajouter un nom déjà présent dans une autre commune. Mais dans le cas présent, le nom de cet homme n’est lisible nulle part, qu’une plaque ait existé ou non. La mise en place de cette plaque participe à un vrai travail de mémoire : non seulement, il s’agit de laisser une trace d’un de ces combattants qui avait même disparu des monuments, mais aussi de retrouver un peu de l’histoire d’un village qui n’existe plus. Quand mémoire (sans devoir) et histoire se rejoignent positivement, autant le dire.

  • En guise de conclusion

Si vous avez l’occasion un jour de passer par la Javie, garez-vous sur la place où se jouent les célèbres parties de pétanque. Faites quelques mètres pour voir le monument aux morts et quelques dizaines de mètres de plus pour aller visiter l’éco-musée. Ce dernier en vaut vraiment la peine : toute une maison présente les différents aspects de la vie du village au début du siècle dernier et présente une page très humaine de son histoire. Non seulement les objets parlent, mais ils sont remis dans leur contexte et souvent accompagnés des récits des personnes qui les possédaient.

  • Sources :

– Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence (04) :

Fiche matricule de Mariaud Eugène, 1 R 361.

Liste de tirage au sort, classe 1902, 1 R 213.

Avis du conseil de révision 1902, 1 R 109.

Registre des délibérations de la commune d’Esclangon, E80-4

Liste électorale de la commune d’Esclangon, 3 M 113

Recensement de la commune d’Esclangon, 1906.

– Mairie de la Javie

Registre de l’état civil de la commune d’Esclangon (année 1915).

– Eco-musée de la Javie :

Photographie d’Eugène Mariaud.

– Archives nationales, Guerre 1914-1918. Fonds du ministère des Pensions : livres d’or des Morts pour la France. Département des Basses-Alpes, commune d’Esclangon, 19860711/23 , Ancienne cote [F/9/3923].

– Site Mémoire des Hommes

– Anonyme, Historique du 27e Bataillon alpin de chasseurs à pied pendant la guerre 14-18, Paris, Imrpimerie Berger-Levrault, sans date. Accès dans Gallica.

– Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 23 mai 1921. Accès direct dans Gallica.

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Publication de la page : 11 novembre 2015

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