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Eugène Brivet : de l’armée d’Afrique à l’Armée secrète

    Si les combats sur le front français sont bien connus, ceux qui ont eu lieu en Afrique du Nord et notamment au Maroc, qui bien que protectorat français, reste une zone d’affrontement avec certaines populations locales. Eugène Brivet y était.

  • Une pose travaillée

    La prise de vue est soignée, le jeune homme vêtu de pied-en cape de sa veste courte « ras-cul », de sa culotte neuve, de ses bandes molletières de couleur plus sombre.


    Ses pattes de col et son képi portent le numéro 18 en rouge sur un fond vert, identifiant 18e ETEM (Escadron du Train des Équipages Militaires).

    Visage souriant, empreint d’une certaine fierté, raie au côté, notre homme n’est visiblement pas dans une zone de combat au moment du cliché.

    Cette posture est peut-être liée au port de la médaille coloniale que ce soldat arbore.

    Sans toutefois pouvoir l’identifier sur l’image, on distingue la forme d’une agrafe sur le ruban, symbole d’une campagne particulière outre mer.

    La prise de vue se trouve en extérieur, dans un environnement plutôt rocailleux, avec le soleil dans le visage qui peut expliquer son aspect surexposé.

  • Des informations précieuses

« Sur ma cartte qui est une de mes photographie prise  au maroc j’espère que vous aller tous bienet que bientot j’auré des nouvelles de la familles carre si je n’est pas écrit plus tot jettait ent colonne loin dans le maroc sans poste proche enfin plus rien a vous dire je termine ent vous enbrassant tous bien fort votre cousin pour la vie

Brivet Eugène au 13ème compagnie de marche

Poste de Taforalt

Maroc Oriental »

    Le 18e ETEM, où sert le soldat Brivet, est caserné à Bordeaux en 1914. Toutefois, ses 11e, 12e et 13e compagnies sont stationnées en Afrique du Nord, en Algérie et au Maroc.

    Depuis 1913, l’occupation française du Maroc coupe le territoire en plusieurs parties. Les Français sont présents à l’est et à l’ouest, les Espagnols au Nord, la région centrale étant encore insoumise. Le poste de Taforalt se situe bien dans la partie orientale du Maroc sous protectorat français. Malheureusement, il n’existe pas de JMO pour la 13ème compagnie du 18eme Escadron du Train  pour en savoir plus.

    Au déclenchement de la guerre, l’énorme besoin en hommes sur le front métropolitain oblige le transfert de troupes du Maroc vers la France. Ils sont remplacés par quelques régiments territoriaux.

    Mais loin des obus à gaz ou de l’artillerie lourde allemande, le Maroc n’est pas un espace de villégiature pour les troupes qui y sont stationnées. Les combats sont fréquents et violents sous un climat inhabituel pour les métropolitains.

  • Le destin d’Émile Brivet

    Jules Émile Brivet voit le jour à Cours, dans le Rhône le 15 septembre 1892. Il est le fils d’un chauffeur et d’une ménagère

    Il précède son appel sous les drapeaux en s’inscrivant volontairement à la mairie de Roanne en janvier 1913. Versé dans la classe 1912 il porte le matricule 1075 du bureau de Lyon Nord. Affecté tout d’abord au 1er cuirassier, il passe au 19e ETEM en octobre 1913, puis au 18e deux jours plus tard seulement. Ces changements si rapides ont-ils une source disciplinaire ? La fiche matricule n’en fait pas mention, mais cette « mutation » a pour conséquence l’envoi du soldat Brivet au Maroc à partir du 2 octobre 1913. La guerre pour lui commence à partir de cette date.

    Aussi doit-il vivre les événements métropolitains depuis l’autre côté de la Méditerranée.

    Le 28 avril 1914, parait le décret concernant la médaille coloniale avec agrafe « Maroc ». Créé en 1893 pour commémorer les interventions françaises dans ses colonies de l’époque. La médaille avec agrafe est accordée en autre à tout militaire et à tout goumier algérien ou tunisien ayant fait partie des troupes d’occupation du Maroc pendant deux mois au moins, entre le 20 juillet 1912 et le 31 décembre 1913.


    Brivet ayant l’ancienneté requise, il peut se voir attribuer cette médaille dès la parution du décret.  Elle ne permet donc pas de dater le cliché très précisément. De plus que le passage de la fiche matricule ne donne pas d’informations complémentaires.

    Son parcours militaire se poursuit à partir de janvier 1918 au 4e Régiment de marche de Zouaves à Taza. En août de cette même année, il est blessé à la main d’un coup de baïonnette. D’abord évacué sur Taza, puis vers l’Algérie et enfin la métropole, au 4e Zouave de Rosny sous Bois. Toutefois sa blessure le fera classé aux Services Auxiliaires par la Commission de réforme de la Seine.

  • Parcours sanitaire d’Eugène Brivet

    La lecture de la fiche matricule indique « Passé au 4e reg du zouave à Rosny le 18/10/19 après convalescence ». Or il est soigné en Algérie jusqu’au 30 avril 1919 avant sa convalescence d’un mois. Son décompte de campagne le situe en Algérie jusqu’au 16 août 1919.

    Il serait donc finalement parti d’Algérie le 16 octobre 1919 : la date de décompte serait erronée avec confusion entre « 8 » pour août et « 8bre » pour octobre mal retranscrit. Domicilié à Paris, c’est là qu’il part se reposer, donc son changement de dépôt à Rosny (proche de chez lui) finalement juste administratif puisqu’il reste affecté au 4e RZ.

    Après sa convalescence, un mois plus tard, il passe devant la commission de réforme de la Seine qui le place en service auxiliaire.

    Démobilisé, il se voit refuser son certificat de bonne conduite. Malgré l’absence de détails dans la fiche matricule, on pourrait y voir une confirmation de son envoi au Maroc suite à une mesure disciplinaire en 1913 qui vit son changement d’arme.


    Retiré à Paris, il se marie en 1920 à Mélanie Adèle Morel. Sa blessure de guerre l’empêchant probablement d’exercer son métier d’apprêteur qu’il exerçait avant la guerre, il se reconvertit en marchand d’huile en 1925. Après un passage dans l’Allier, le couple retourne en Rhône Alpes, à Roanne dans les années 30. Auteur d’un vol la veille de Noël 1933, Brivet est condamné à 6 mois de prison en 1934.

  • Eugène Brivet et la Seconde Guerre mondiale

    Lors du déclenchement du conflit, Brivet demeure à Amplepuis dans le Rhône. Âgé de plus de 40 ans, il n’est pas mobilisé. En revanche, sa fiche matricule contient un document particulier sur ses actions à partir de 1943.

    À 45 ans, Brivet fait partie de l’Armée Secrète, dont l’un de membres les plus influents, Jean Moulin, est arrêté à Caluire le 21 juin 1943.

    Le 5 juin 1944, Brivet est appréhendé sans que soient connues les circonstances. Il est déporté vers Buchenwald depuis Grenoble dans le convoi du 22 juin 1944. Libéré par l’avance américaine, Brivet est rapatrié en mai 1945. Ce certificat d’appartenance aux FFI permet d’obtenir, durant la période couverte d’une pension au titre de la Campagne Double.

    Il décède en 1972 à Grindis dans le Rhône, non loin de son lieu de naissance.

  • En guise de conclusion

    Du Rhône au Maroc, d’Alger à Paris, de la prison de Roanne au camp de Buchenwald, Jules Eugène Brivet a eu un destin hors du commun. Et même si quelques documents ne suffiront jamais à connaître un individu, une simple carte postale envoyée par une jeune soldat permet parfois de relier son histoire à l’Histoire.

  • Source :

Archives du Rhône :

4 E 9193 – Acte de naissance de Jules Eugène Brivet, Etat civil de Cours, 1892.

1 RP 1178 – Fiche matricule de Jules Eugène Brivet, classe 1912, matricule 1075 au bureau de recrutement de Lyon Nord, p. 175 et suivantes.

https://archives.rhone.fr/ark:/28729/5dcx98l0hpqw/96cdf1ae-2b2b-4945-97a0-b072aec4d64f


Sites internet :

Pacification du Maroc : Wikipédia

Médaille coloniale : http://www.france-phaleristique.com/medaille_coloniale.htm

Convoi de déportation de Jules Eugène Brivet : http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.231.#BRIVET

Cartes :

Maroc en 1913 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8458717m

Parcours : Google

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Image : collection T. Vallé. Réutilisation interdite sans l’autorisation du propriétaire.

Mise en ligne de la page : 11 juin 2023.


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