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Le cas des engagés volontaires (2)

Engagé volontaire à 16 ans ?

Justinien Duval est né le 8 juillet 1898. Suivant la loi, il n’avait le droit de s’engager qu’à 17 ans, donc à partir du 8 juillet 1915. Or, c’est le 15 janvier 1915 qu’il contracte un engagement volontaire à la mairie du Mans. Comment le jeune Duval, 16 ans, a-t-il pu passer au travers des contrôles empêchant théoriquement un homme de s’engager avant l’âge requis ?

  • L’acte d’engagement

Dans les actes d’engagements, on peut trouver des exemples de jeunes hommes engagés dans les jours qui suivirent leur dix-septième anniversaire.

Pour certains, on peut déterminer qu’il s’agit d’une volonté réfléchie depuis un certain temps en observant la date de rédaction de l’autorisation par le père ou le tuteur, parfois antérieure au dix-septième anniversaire.

Le cas de Duval est différent car il a profité de sa situation et d’une faille dans le processus de vérification.

D’abord, c’est un élève au Prytanée militaire de la Flèche. Cette situation peut expliquer sa volonté précoce de s’engager, malgré son jeune âge, comme bon nombre de brutions.

Ensuite, il est orphelin. De ce fait, il n’a pas été nécessaire d’obtenir l’autorisation paternelle, mais celle de son tuteur, probablement un oncle. Cette autorisation a été donnée dès le 27 août 1914 ! On peut facilement imaginer que Duval avait l’intention de s’engager et avait obtenu cette autorisation, dont il n’aurait dû faire usage que lorsqu’il aurait atteint l’âge légal.

Muni de son certificat de bonne vie et mœurs dressé par la mairie de la Flèche où il résidait, il est venu s’engager le 15 janvier 1915 au Mans. Un parcours classique pour un brution. Le commandant du centre de recrutement n’observant aucune incapacité physique, Duval peut s’engager. Tout est fait  de manière rigoureusement normale.

Par contre, pour s’engager, Duval a dû mentir sur son âge, mensonge qui n’aurait pas dû résister à l’examen du certificat de naissance. Or, il ment sur son lieu de naissance : il affirme être né dans les Ardennes le 8 juillet 1897. Une idée qui montre sa détermination à s’engager et la réflexion qui a précédé l’acte : les Ardennes étant occupées, impossible de faire les contrôles nécessaires. Aujourd’hui, on passerait un coup de téléphone au Prytanée pour vérifier l’âge, mais à l’époque, ce n’est pas la procédure et on a pu aussi fermer les yeux sur ce mensonge. On ne le saura jamais. Seule certitude : il n’a pas fourni d’extrait d’acte de naissance et il est le seul cas de ce type dans toutes les fiches consultées pour les engagements signés au Mans.

Justinien Duval est bien né le 8 juillet mais 1898 et à Montpellier dans l’Hérault. C’est ce qui explique que, logiquement, il dispose d’une fiche matricule dans ce département, dans la classe 1918. Tout aussi logiquement, il est déclaré insoumis lors de l’appel de sa classe, aucune administration n’ayant été informée de son engagement et il n’a pu se faire recenser à Paris où il résidait, puisqu’étant mort avant cette formalité.

La seule trace, pour l’instant, de ce mensonge est la mention de son année de naissance et de son lieu de naissance dans la fiche Mémoire des Hommes.

Vérification faite, René Duval n’a aucune fiche dans la liste matricule du Mans en 1915. La fiche 162 de la liste matricule n’est donc pas à son nom.

Il n’est cependant pas le seul engagé volontaire provenant du Prytanée à avoir un acte d’engagement mais pas de fiche dans la liste matricule. Je n’explique pas cette situation, d’autant que certains en ont une…

Quoi qu’il en soit, grâce à ce mensonge, il peut s’engager et intégrer dès le 20 janvier 1915 le 1er régiment de zouaves. Le trait ferme terminant sa signature montre ici encore tout sa détermination.

Son nom figure bien sur une plaque commémorative au Prytanée de la Flèche.

  • En guise de conclusion

Le cas de René Duval n’a pas dû rester longtemps inconnu. On imagine mal le Prytanée ne pas être au courant de son âge. L’administration pouvait-elle laisser un jeune homme s’engager ainsi avant l’âge légal ? Il est probable que non. Je n’ai pas fait la vérification de toutes les fiches d’engagements reçues au Mans en 1914 ou 1915, mais dans le sondage réalisé, je n’ai trouvé nul autre cas semblable.

Il serait intéressant de réussir à comptabiliser ce genre de cas. En effet, ils ne furent probablement pas aussi nombreux que ce qu’on peut imaginer, malgré quelques cas connus voire célèbres. De même, il me semble prudent d’en rester, comme toujours en Histoire, aux faits et de ne pas faire de ces jeunes hommes des « héros », des symboles de la jeunesse de l’époque. Ils sont le fruit d’un parcours individuel qui, sans être passé sous silence, ne saurait être généralisé.

  • Sources :

Archives départementales de la Sarthe

– Acte d’engagement : AD72, 1 R 801.

– Liste matricule, 1915, bureau de recrutement du Mans, AD72, 1 R 1265.

– Fiche matricule de Duval Justinien René, classe 1918, matricule 1890 au bureau de recrutement de Montpellier, AD34, 1 R 1312, volume 4, vue 225/479.

  • Pourquoi cette recherche ?

Cette recherche est née d’une discussion sur Twitter autour du cas de Duval. Les conclusions des différents intervenants avaient très bien cerné le cas, en particulier sur le mensonge autour de sa date et de son lieu de naissance. J’ai simplement souhaité voir jusqu’où pouvait mener la recherche documentaire dans ce cas précis et particulier.

Tous mes remerciements donc aux participants à cette discussion : @Balkan45 @1J1Poilu @guepier92 .

  • Pour approfondir :

Tison Stéphane, « La mémoire brutionne. Identité et commémoration au Prytanée national militaire de La Flèche 1808-1968», Guerres mondiales et conflits contemporains 1/2001 (n° 201) , p. 105-136
URL : www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2001-1-page-105.htm.
DOI : 10.3917/gmcc.201.0105.


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