Il est fréquent de trouver sur les fiches matricules d’hommes de classes 1888 à 1892 ce type de mentions :
La mention « Détaché agricole catégorie A » ou « catégorie B » est souvent accompagnée des dates de détachement agricole sans plus de détails. Toutes ces mentions ont en commun la main d’œuvre agricole.
L’utilisation de soldats mobilisés pour les travaux agricoles n’est pas une nouveauté en 1917. Cependant, les permissions pour ce motif n’apparaissent pas dans la fiche matricule car temporaires. Il en va tout autrement du nouveau dispositif mis en place au début de l’année 1917.
- L’organisation du service de la main d’œuvre agricole
Pour faire face à la baisse de la main d’œuvre agricole, le président du Conseil, Viviani, lança dès août 1914 un appel aux femmes. En 1915, on chercha à mettre en place des équipes de travailleurs prisonniers. Les effectifs furent insuffisants et lorsque l’on essaya de les augmenter, on se trouva face à une pénurie d’hommes pour les garder. On chercha des hommes non mobilisés (circulaire ministérielle du 27 juillet 1916), ce fut un relatif échec. En Sarthe, on ne trouva que 21 volontaires quand 20 militaires du 28e RIT étaient chargés de 70 prisonniers dans une carrière l’année précédente ! Les permissions et les sursis temporaires ne réglaient pas plus le problème.
Une circulaire du ministère de la guerre datée du 12 janvier 1917 (3) change la manière de traiter cette pénurie de main d’œuvre : elle met à disposition les hommes des classes 1888 et 1889 comme main d’œuvre agricole pouvant bénéficier d’un détachement. Ils ne sont plus mobilisés comme militaires au front mais comme militaires travaillant aux champs. Les hommes qui bénéficient de ce dispositif sont répartis en deux catégories :
– Catégorie A : propriétaires exploitants, fermiers et métayers. Ils sont renvoyés dans leur exploitation. Bien que propriétaires, ils doivent théoriquement un temps de travail hebdomadaire à la communauté (cinq journées de travail pour la communauté pour un propriétaire de moins de 5 hectares à une seule pour un propriétaire de 20 hectares et plus).
– Catégorie B : ouvriers agricoles et agriculteurs des régions envahies. Ils sont affectés à une commune ou à une exploitation.
La mise en place de ce dispositif s’accompagne de la création d’une administration chargée de sa gestion. C’est par la circulaire du 31 janvier 1917 du ministère du commerce, de l’agriculture, du travail, des postes et des télégraphes que ce service est organisé. Ses objectifs sont clairement annoncés dans la circulaire : « maintenir voire augmenter à tout prix la production du sol national alors que la main d’œuvre habituelle manque de plus en plus. »
Au niveau national | Ministère du commerce, de l’agriculture, du travail, des postes et des télégraphes | – mise en place d’un cabinet. |
Service de la main d’œuvre agricole Arrêté du 3 janvier 1917 | – centralise toutes les questions relatives à l’emploi de la main d’œuvre agricole ; – suggère à l’autorité militaire des mesures de permissions, de sursis, des équipes de travailleurs. – gère les effectifs, les demandes d’affectation, les listes, la répartition entre les dépôts… | |
Au niveau de chaque département | Commission départementale de la main d’œuvre agricole | – surveille l’emploi du temps des militaires affectés à l’agriculture ; – désigne dans chaque canton un habitant pour exercer ce contrôle ; – sanctionne les militaires détachés pour les fautes commises ; – dresse les listes, les recensements, les besoins de main d’œuvre. |
Au niveau de chaque canton | Inspecteur cantonaux | – contrôle les militaires catégories A et B ; – assure la répartition des militaires de catégories A et B et surveille leur travail. |
Cette administration, en plus des soldats détachés pour une durée indéterminée (les catégories A et B) doit aussi « se préoccuper » de l’emploi des réfugiés, des chômeurs, des travailleurs étrangers, des internés civils et gérer la répartition des contingents de prisonniers de guerre et de travailleurs coloniaux.
Dans les fiches matricules, la mention « décision ministérielle du 12 janvier 1917 » indique donc un homme qui a obtenu un détachement agricole. Mais il en existe une autre « décision ministérielle du 6 mai 1917 » qui précise aussi suivant le cas « catégorie A et catégorie B ». Que change ce second texte ?
- La décision ministérielle du 6 mai 1917
Ce texte est une extension de celle du 12 janvier aux soldats du service auxiliaire des classes 1895 et antérieures voire aux pères de cinq enfants ou veufs pères de quatre de certaines classes. En voici deux exemples rencontrés dans les fiches matricules de deux hommes du service auxiliaire, l’un de la classe 1892, l’autre de la classe 1893.
Gros plan : texte de la décision ministérielle du 6 mai 1917.
La décision ministérielle du 27 juillet 1917 :
D’abord, la main d’œuvre agricole mise en place en janvier 1917 ne concernait que les classes 1888 et 1889. Mais elle fut rapidement étendue aux classes 1890 et 1891 par la décision ministérielle du 27 juillet 1917. Il fut ajouté à cette occasion les classes 1895 et plus anciennes du service auxiliaire, les pères de cinq enfants ou veufs père de quatre enfants appartenant à la RAT dont la profession est :
– maréchal ferrant ;
– forgeron ;
– réparateur de machine agricole ;
– bourrelier ;
– sellier ;
– charron.
Pour prétendre à ce détachement, les hommes mobilisés doivent prouver qu’il exercent bien cette profession. Ils doivent produire un certificat signé du maire de la commune et du percepteur (pour les patentés) ou de l’employeur (non patentés). Dès production des documents, le chef de corps ou de service devait diriger l’homme sur sa résidence et transmettre son dossier au général commandant la région militaire. En effet, bien que travaillant à nouveau à l’arrière dans leur exploitation pour certains, dans leur métier pour les autres, ils restent sous contrôle militaire, en service commandé (c’est pour cela qu’on les considère comme « détachés »). Bien que considérés comme ne participant plus à la campagne (aucune mention de campagne simple, leur « campagne » s’achève avec leur passage dans la main d’œuvre agricole) ils restent sous la surveillance de l’autorité militaire et gardent une affectation à un dépôt. En voici la liste telle qu’elle est notée dans la circulaire 22.416-I/II du 22 octobre 1917 :
Région militaire | DEPOTS D’AFFECTATION | Départements où sont détachés les mobilisés agricoles | |
Désignation | Emplacement | ||
G.M.P. | 19e Escadron du train | Paris | Seine |
22e R.A.C. | Versailles | Seine-et-Oise | |
Nord | 8e R.I.T. | Dunkerque | Nord |
2e S.C.O.A. | Abbeville | Pas-de-Calais | |
2e S.C.O.A. | Abbeville | Somme | |
51e R.I. | Beauvais | Oise | |
3e | 74e R.I. | Rouen | Seine-Inférieure |
36e R.I. | Caen | Calvados | |
28e R.I. | Evreux | Eure | |
4e | 31e R.A.C. | Le Mans | Sarthe |
103e R.I. | Alençon | Orne | |
124e R.I. | Laval | Mayenne | |
102e R.I. | Chartres | Eure-et-Loir | |
5e | 31e R.I. | Melun | Seine-et-Marne |
4e R.I. | Auxerre | Yonne | |
30e R.A.C. | Orléans | Loiret | |
113e R.I. | Blois | Loir-et-Cher | |
6e | 6e S.C.O.A. | Châlons | Marne |
6e S.C.O.A. | Châlons | Meuse | |
6e Section d’infirmiers | Châlons | Aisne | |
7e | 60e R.I. | Besançon | Doubs |
44e R.I. | Lons-le-Saunier | Jura | |
23e R.I. | Bourg | Ain | |
42e R.I. | Besançon | Haute-Saône et territoire de Belfort | |
8e | 95e R.I. | Bourges | Cher |
13e R.I. | Nevers | Nièvre | |
27e R.I. | Dijon | Côte-d’Or | |
134e R.I. | Macon | Saône-et-Loire | |
9e | 66e R.I. | Tours | Indre-et-Loire |
9e Escadron du train | Bourges | Indre | |
109e R.A.L. | Poitiers | Vienne | |
135e R.I. | Angers | Maine-et-Loire | |
7e Hussards | Niort | Deux-Sèvres | |
10e | 41e R.I. | Rennes | Ille-et-Vilaine |
136e R.I. | Saint-Lô | Manche | |
71e R.I. | Saint-Brieuc | Côte-du-Nord | |
11e | 65e R.I. | Nantes | Loire-Inférieure |
93e R.I. | La Roche-sur-Yon | Vendée | |
116e R.I. | Vannes | Morbihan | |
118e R.I. | Quimper | Finistère | |
12e | 63e R.I. | Limoges | Haute-Vienne |
78e R.I. | Guéret | Creuse | |
50e R.I. | Périgueux | Dordogne | |
107e R.I. | Angoulême | Charente | |
100e R.I. | Tulle | Corrèze | |
13e | 36e R.A.C. | Moulins | Allier |
139e R.I. | Aurillac | Cantal | |
38e R.I. | Saint-Etienne | Loire | |
86e R.I. | Le Puy | Haute-Loire | |
53e R.A.C. | Clermont-Ferrand | Puy-de-Dôme | |
14e | 158e R.I. | Lyon | Rhône |
114e R.A.L. | Valence | Drôme | |
30e B.C.P. | Grenoble | Isère | |
157e R.I. | Gap | Hautes-Alpes | |
97e R.I. | Chambéry | Savoie | |
30e R.I. | Annecy | Haute-Savoie | |
15e | 40e R.I. | Nîmes | Gard |
58e R.I. | Avignon | Vaucluse | |
61e R.I. | Privas | Ardèche | |
141e R.I. | Marseille | Bouches-du-Rhône | |
7e B.C.P. | Draguignan | Var | |
163e R.I. | Nice | Alpes-Maritimes | |
3e R.I. | Digne | Basses-Alpes | |
173e R.I. | Corse | Corse | |
16e | 81e R.I. | Montpellier | Hérault |
122e R.I. | Rodez | Aveyron | |
142e R.I. | Mende | Lozère | |
143e R.I. | Carcassonne | Aude | |
53e R.I. | Perpignan | Pyrénées-Orientales | |
15e R.I. | Albi | Tarn | |
17e | 117e R.A.L. | Agen | Lot-et-Garonne |
12e R.A.C. | Auch | Gers | |
57e R.A.C. | Toulouse | Haute-Garonne | |
59e R.I. | Foix | Ariège | |
11e R.I. | Montauban | Tarn-et-Garonne | |
7e R.I. | Cahors | Lot | |
18e | 123e R.I. | La Rochelle | Charente-Inférieure |
144e R.I. | Bordeaux | Gironde | |
34e R.I. | Mont-de-Marsan | Landes | |
18e R.I. | Pau | Basses-Pyrénées | |
12e R.I. | Tarbes | Hautes-Pyrénées | |
20e | 1er B.C.P. | Troyes | Meurthe-et-Moselle |
37e R.I. | Troyes | Aube | |
21e | 109e R.I. | Chaumont | Haute-Marne |
149e R.I. | Epinal | Vosges |
- La circulaire ministérielle du 18 novembre 1917
Comme l’indique le texte de la circulaire, ce texte fait suite au passage de la classe 1896 dans la Réserve de l’Armée Territoriale au 1er octobre 1917. Il étend le dispositif des détachements agricoles aux hommes de cette classe s’ils sont affecté au service auxiliaire ou au service armée mais pères de 5 enfants ou veufs pères de 4 enfants. En voici un exemple :
La mention de la DM du 22 octobre 1917 pose problème, elle est très souvent employée. Ce n’est, a priori, pas celle qui autorise le détachement, mais celle fixant le dépôt d’affectation des détachés agricoles. Ce qui est plus étonnant est que la date de détachement est fixé au 11 novembre pour le soldat ci-dessus. Or, la décision ministérielle date du 18 novembre.
Gros plan : Almire Boulard, détaché agricole catégorie A.
- Le contrôle de la main d’œuvre agricole
Une des prérogatives de la commission départementale est de veiller à ce que les hommes fassent ce pourquoi ils ont été retirés du front ou du dépôt. A l’aide des inspecteurs cantonaux, les hommes sont surveillés et peuvent être sanctionnés s’ils enfreignent les règles : passage de la catégorie A à la catégorie B, mais aussi renvoi au dépôt pour les cas les plus graves notamment pour les sursis accordés à tort.
- Des besoins non satisfaits
Les détachés agricoles permanents ne suffisent clairement pas : la main d’œuvre agricole reste insuffisante. Pour la récolte 1918 sont mis en place des détachements temporaires (de 10 jours à 2 mois) à la place des permissions agricoles qui ont fait l’objet de bien trop d’abus selon la justification du ministre de l’agriculture et du ravitaillement.
En mai 1918, les effectifs à la terre étant toujours insuffisants, une circulaire du ministère de la Guerre de mai 1918 applicable à partir du 5 juin organise des « équipes de travailleurs ambulants ». Sont concernés les hommes de la classe 1892 au service armé, les hommes de toutes professions de la classe 1919 mais affectés au service auxiliaire (à l’exception des hommes affectés aux formations, services et établissements de l’aéronautique militaire et au service automobile). Ces hommes durent être ensuite organisés en « équipes de travailleurs ambulants » de 40 à 50 hommes, encadrés par deux ou trois gradés agriculteurs de la classe 1892, pour trois mois. Il est possible que des hommes se soient retrouvés dans d’autres régions militaires ou départements que le leur afin de répartir correctement les gradés et réalisé un amalgame des deux groupes d’hommes concernés.
Dernière tentative de mettre plus de main d’œuvre dans l’agriculture, faire surveiller les prisonniers allemands par des détachés catégorie B.
Un autre rôle pour les détachés catégorie B : la surveillance des prisonniers
Par une circulaire ministérielle du 11 août 1918, le ministère de la guerre organise l’armement de soldats détachés de catégorie B pour surveiller des équipes de travailleurs de prisonniers de guerre. Signe distinctif de ces gardiens, outre le fusil et la baïonnette, un simple brassard. N’ayant trouvé que le texte de la circulaire, impossible de dire si cette solution fut largement utilisée ou si elle connut le même échec que la précédente tentative d’utiliser des prisonniers gardés par des civils.
- Pour approfondir le sujet abordé par cette page :
Il n’est hélas souvent pas possible de déterminer ce que fit réellement un détaché agricole en l’absence de courriers ou de rapports de l’administration. Il n’est pas impossible de retrouver d’autres traces des travaux réalisés grâce à des listes pouvant exister dans les départements ou d’autres archives (SHD ?). Cette page a essentiellement été construite avec des sources disponibles aux Archives départementales du Maine-et-Loire. Il doit être possible de trouver d’autres sources et exemples dans d’autres départements. Il ne faut pas hésiter à chercher dans cette direction si une personne au centre de vos recherches a été concernée par ce type de détachement.
Un exemple de parcours d’un soldat détaché agricole, Jules Lefèvre.
- Sources :
Appel aux femmes, 7 août 1914. Pour lire le texte sur le site du CRDP de Reims.
Archives départementales de la Sarthe, 1 M 571.
L’ensemble des documents utilisés sont consultables aux Archives départementales du Maine-et-Loire, 10 R 4/1 et 10 R 4/3.
Circulaire du 31 juillet 1917.
Circulaire instituant le détachement temporaire aux travaux agricoles du 4 décembre 1917.