DARGERE Christophe, Je vous écris de mon hôpital. Destins croisés de six soldats ligériens blessés pendant la Grande Guerre. L’Harmattan, collection Histoire de la défense, Paris, 2011.
En 2010, le travail de Christophe Dargère nous a permis de découvrir la correspondance inédite de Cyrille Ducruy. On retrouve dans son nouvel ouvrage les mêmes qualités que dans le précédent : une grande humanité, des documents inédits parfaitement mis en valeur par les choix de l’auteur.
Christophe Dargère a choisi, entre une courte introduction et une courte conclusion de nous faire découvrir les écrits de chacun de ces hommes, bruts, sans commentaire. De ce fait, le lecteur est rapidement pris par ces lettres, ces écrits, on s’immerge très vite dans la vie de ces hommes, d’autant plus que leurs écrits sont souvent personnels et précis. On en vient à espérer, retrouvant probablement le réflexe du lecteur du courrier. La conclusion arrive parfois avec soulagement, d’autres fois de manière inattendue.
Points positifs supplémentaires et plus anecdotiques : la page de cartes pour chaque homme qui permet de se repérer, l’extrait de lettre originale qui donne une idée de l’écriture et évidemment les portraits qui ajoutent à l’immersion et la personnification de chacun de ces hommes.
Le choix de ces six destins est remarquable : six parcours différents, six écritures différentes, six destins différents. Cette lecture nous montre que l’expérience de l’hôpital fut elle aussi individuelle. Le choix des textes donne un éventail très large des correspondances échangées et des thèmes de ces courriers : rassurer, informer, raconter, demander. Aucun parcours n’étant identique, chacun apporte un éclairage différent, une situation personnelle et familiale différente. Six destins, aucune lassitude dans la lecture. On découvre leur narration des circonstances précises de leur blessure, on suit leurs soins, on se languit de nouvelles comme eux, on rit, on éprouve de la compassion, de la tristesse aussi. Les préoccupations médicales, administratives, familiales apparaissent, il arrive aussi que la guerre disparaissent des écrits. Jusqu’à la sortie de l’hôpital de chacun de ces hommes, et finalement jusqu’à sa dernière page, ce livre interpelle le lecteur, parfois le bouscule. Une lettre testament, un courrier d’une épouse, un avis dans un journal, autant de documents qui rappellent la douleur, la souffrance morale des proches quand on pourrait imaginer ne trouver que des mentions des souffrances physiques des combattants.
Même la photographie de couverture prend tout son sens au cours de la lecture du livre, et un sens très fort.
L’auteur indique dans ses commentaires que certains documents ont un intérêt documentaire indéniable. Il ne ment pas, mais plus généralement, l’ensemble des documents présentés est du plus grand intérêt aussi au niveau humain.
Christophe Dargère ne s’est pas contenté de faire publier tous ces documents. Après les écrits des hommes, il apporte une série de commentaires très utiles pour sortir d’une lecture pleine d’émotions, pour aller vers une réflexion sur ces documents. D’abord, des commentaires sur chaque parcours, une petite analyse qui en montre les spécificités, l’individualité. Puis une réflexion générale sur l’hospitalisation. Cette dernière partie est riche et fort pertinente. Clairement organisée en sept points, sa lecture est du plus grand intérêt et montre l’hospitalisation sous des angles nouveaux.
- En guise de conclusion
Au final, un livre à la fois très émouvant, sensible qui bouscule le lecteur. Un livre qui permet aussi la réflexion et un autre angle de vue sur l’hospitalisation des soldats grâce aux analyses de l’auteur. Avec l’impression finale d’un livre qui réussit à garder l’homme au cœur des récits, des analyses, qui n’en fait pas un objet d’étude mais lui laisse toute son individualité.
Reste à espérer que ce travail en appelle d’autres. On pourrait imaginer que la publication de telles correspondances ne soit que de peu d’intérêt. Le travail de Christophe Dargère montre au contraire qu’il n’en est rien ! La publication de ces écrits apporte un éclairage supplémentaire pour le grand public sur cette question, et elle est loin d’être rébarbative ou illisible. Elle mériterait d’être prise en exemple : combien de correspondances doivent encore dormir dans des archives familiales auraient leur place dans de telles publications.
- Conseil de lecture :
Afin d’éviter tout « spoiler » (qui gâche le plaisir de la lecture), je vous invite à ne pas lire tout de suite la préface ainsi que la postface qui donnent trop d’informations sur le parcours et le destin de ces six hommes. Il est plus intéressant, à mon avis, de les découvrir grâce aux écrits de ces hommes. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la préface et la postface ne soient pas à lire ! Après la lecture des documents.
- En complément :
Autre ouvrage de Christophe Dargère.