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CLOTAIRE MAUBERT, un Avallosien militaire (1908-1919)

Il suffit parfois de quelques documents pour obtenir une biographie assez complète d’un combattant. Pourtant, quel que soit le soin apporté à la recherche puis à la rédaction, arrive toujours cette impression finale qu’on sait finalement bien peu de choses. Direction l’Eure-et-Loir, la commune d’Alluyes plus exactement, où vivaient deux familles Maubert au début du XXe siècle. C’est celle composée d’Albert Maubert et de Bathilde Queffard ainsi que de leurs deux enfants Clotaire et Eugénie qui va nous intéresser.

Au cœur d’une série de cartes postales envoyées par Clotaire, nous allons voir la somme de tout ce qui nous manque.

  • Aux marges de la Beauce

Les paysages de la Beauce sont facilement identifiables : de vastes étendues cultivées, plates et des villages où vivaient les cultivateurs. C’est au lieu-dit les Coulommiers que vécut la famille Maubert. Si le mari n’est pas originaire de la commune, il vient d’un village voisin, Dangeau. Né en 1852, il échappa à la guerre de 1870 et fit un court service militaire de juin à décembre 1874. Cette durée n’est pas expliquée par sa fiche matricule, on peut juste dire que les remplacements n’existant plus depuis la loi sur le recrutement de 1872, il ne peut s’agir de cette raison.

Il se maria en 1882 à Bathilde Queffard, d’Alluyes. Il s’y installèrent dans des conditions et à une date inconnues. Seule certitude, Albert était cultivateur charretier d’après les documents consultés (recensement et fiche matricule).

En 1888 naquit leur premier enfant, Clotaire. Le couple eut ensuite une fille en 1895 alors qu’il résidait temporairement à Montboissier (commune voisine à l’Est d’Alluyes) au lieu-dit d’Augonville.

  • La jeunesse de Clotaire

Le niveau scolaire indiqué pour Clotaire dans sa fiche matricule est « 1 », ce qui désigne une personne sachant à peine lire. Son père avait lui un niveau « 1-2 » donc supérieur car sachant, certes avec difficultés, lire et écrire. Pourtant, cela n’empêcha pas Clotaire de correspondre assidûment avec ses parents pendant son service actif.

Une fois recensé en décembre 1908, il passa devant le conseil de révision qui le classa « Bon service armé ». Comme une partie des jeunes hommes, il n’eut pas la chance d’être affecté à un régiment du 4e Corps. Il se retrouva au 79e RI de Nancy !

Incorporé le 6 octobre 1909, il ne tarda pas à commencer sa correspondance avec sa famille. En tout cas, c’est à partir de ce moment que des documents sont conservés.

  • Matière noire et énergie sombre de l’univers

Il s’agit évidemment d’une métaphore pour évoquer tout ce qui nous manque pour connaître une personne avec ce qui est parvenu jusqu’à nous. Les astrophysiciens estiment que 95 % de l’énergie de l’univers seraient composées d’une matière noire et de l’énergie sombre. Un peu comme ce que nous pouvons écrire dans une biographie et qui  ne représente que quelques gouttes d’eau dans l’océan d’une vie.

La correspondance de Clotaire appelle deux questions importantes qui illustrent bien ce que nous ne saurons jamais :

Première question : comment expliquer qu’une personne gratifiée de « 1 » sur la fiche matricule écrive des nombreuses cartes où on ne peut noter qu’un manque de ponctuation et des fautes nombreuses certes mais qui n’entachent pas le sens ? Aurait-il bénéficié de cours dans sa caserne ? Dans ce cas, une évolution aurait été visible dans l’écriture, les courriers couvrant les deux années d’incorporation. Or ce n’est pas le cas. L’écriture est régulière.

Par contre, j’ai noté une signature différente qui m’a interpelé : Clotaire Maubert signe parfois de son prénom, d’autres fois de son nom, parfois des deux. Ce n’est pas là l’élément intéressant : c’est que l’écriture de cette signature varie. Mieux, à au moins trois occasions, une seconde personne, Aristide Richer, signe la carte et écrit même quelques mots.

L’observation fine de l’écriture montre que celle d’Aristide Richer et de l’auteur des cartes est identique. Il fait donc peu de doutes que pour compenser son incapacité à s’exprimer par écrit, Clotaire faisait appel, comme on le lit parfois dans des textes racontant la vie à la caserne, à un ami. Mieux encore, une carte complète est écrite par Aristide pour les parents de Clotaire, et l’écriture est toujours la même.

Ainsi, les signatures malhabiles dans quelques cartes sont probablement la vraie écriture de Clotaire. La confirmation définitive vient de sa carte d’identité réalisée en 1942 : on y retrouve la même signature malhabile.

Seconde question : l’argent. Le « nerf de la guerre » comme le dit l’expression est au centre des trois quarts des cartes conservées. Qu’il en demande, qu’il remercie pour la réception, qu’il y fasse allusion, c’est le principal sujet de préoccupation de Clotaire dans sa correspondance. Les manières de l’exprimer sont variables : « les fonds en baisse », « bientôt plus de sous » dans sa carte du 25 mai 1911, plus fréquent « les fonds qui commencent à baisser » le 6 juin 1910 et « j’ai reçu la lettre dernièrement et poignon (rayé) mandat » le 8 octobre 1910.

À tel point que lorsqu’il évoque le passage d’un camarade permissionnaire dans sa carte du 23 mai 1910 (Debeauce, mais non trouvé pour l’instant), il fait écrire : « Vous devez avoir vu Debeauce de Montemain, il était en permission vous aurez du lui donner une petite pièce, je crois qu’il doit rentrer demain. ». Il s’agit d’Edouard Victor Debeausse, classe 1908, affecté à la 23e SCOA.

Mais quels étaient les besoins d’un jeune homme ? Payer le litre aux anciens, comme le voulait la tradition ? Améliorer l’ordinaire en mangeant parfois en ville ? La ville justement, attirait-elle Clotaire avec ses cafés, ses sorties, ses loisirs, ses femmes ? Il ne fait qu’une allusion directe à la vie en-dehors de la caserne le 25 mai 1911 : « c’est la foire de mai à Nancy cela dure 3 semaines et c’est chic. J’y ai été deux fois et je me suis bien amusé mais seulement voilà que les fonds sont en baisse. » Les quelques mots et cartes de Clotaire nous donnent d’ailleurs de lui l’image d’un jeune homme appréciant l’humour de caserne. Une fois « ancien », on peut se demander s’il ne se gêne pas pour en faire baver aux bleus, cette phrase étant difficile à interpréter, le mot « dresser » étant utilisé pour désigner l’instruction de base donnée aux nouvelles recrues : « pour le moment on commence à dresser les bleus ils la trouvent mauvaise ».

Aucun jugement dans cette liste ou dans l’appréciation liée aux thèmes des cartes. Ce qui est important ici, c’est que la pauvreté des soldats les obligeait à demander régulièrement une pièce, un mandat à leur famille. Ce qu’ils en faisaient, à défaut de témoignages directs ou d’éléments dans les courriers, restera cette matière noire qui nous est insaisissable.

Ces deux simples questions nous montrent à quel point on sait peu de choses sur la vie quotidienne, les motivations, la manière de penser ou d’agir de ces hommes. Loin de devoir être idéalisée, la vie que l’on devine est peu de choses et seuls les souvenirs permettraient d’affiner un peu cette recherche. Quel était le tempérament de cet homme, ses traits de caractère ? Mais ce qu’il était à la fin de sa vie est-il fiable afin de savoir qui il était à 20 ans, avant un conflit qui dut le marquer profondément ?

  • Clotaire au 79e RI

Grâce à ses envois, on suit de manière bien plus détaillée le parcours de Clotaire, quand la fiche matricule ne nous apprend que son jour d’arrivée et celui de sa libération.

On dispose de trois photos cartes et sept cartes postales pour décrire ces 730 jours.

À peine arrivé au régiment, il envoie une première photographie à sa famille dès le 2 novembre 1909, moins d’un mois après son incorporation qui avait eu lieu le 6 octobre et son arrivée à Nancy le 7.

La seconde carte est datée de décembre 1909. Encore bleu, il pose avec ses camarades lors d’une corvée classique : épousseter des couvertures. Certains tiennent d’ailleurs une sorte de martinet à cet effet. Les hommes sont en tenue de corvée, avec le bourgeron et le pantalon de treillis.

La dernière photographie a été prise lors d’une période d’exercices au camp de Mailly en juillet 1910.

Ce qui est intéressant avec cette photographie, c’est qu’elle possède une légende sur l’ardoise : « Les Amis d’Eure-et-Loir au camp de Mailly ».

Si Clotaire se retrouva dans l’Est, il ne fut pas le seul. Il est fait mention de Bonnevalais de sa chambre rencontrés à la fin d’une permission et avec qui il fit le voyage vers Nancy. Bonneval est le chef-lieu de canton pour Alluyes. D’ailleurs lors de l’immatriculation au corps à leur arrivée au 79e RI, Clotaire obtint le numéro 1801 quand son ami Richer lui eut le 1802 ! Il serait possible de déterminer quels furent les autres habitants du département à être affectés à Nancy, mais l’outil de recherche des AD28 est si mal conçu pour cela que je ne suis pas allé plus loin. Par contre, difficile de dire si son ami Richer est sur le cliché car il ne devint caporal que deux mois plus tard.

On entrevoit quelques moments de son expérience nancéienne grâce à ses courriers : la permission et l’arrivée de nouveaux bleus déjà évoqués mais aussi l’attente de la « fuite ». Il ne fait pas référence systématiquement aux jours « avant la fuite », c’est-à-dire jusqu’à sa libération de l’armée d’active. Il le fait de manière ostensible à l’aide d’une carte postale quand il lui reste un peu moins d’un an de service :

Il fait allusion au nombre total de jours (730) puis où il en est (346). En tout, il est fait allusion trois fois à « la fuite », dont une sur la photographie au camp de Mailly (322) et deux du fait d’Aristide Richer :

Pour ce qui est des autres aspects de la vie militaire, nous avons déjà vu la photographie montrant un séjour au camp de Mailly. Il fait aussi allusion aux manœuvres en 1910. Ce qui aurait dû être un moment important pour Clotaire, ses premières manœuvres d’automne et leurs interminables marches a été, pour son plus grand plaisir, réduit à rien : « Je suis toujours à la buanderie et je n’ai pas fait les manœuvres j’ai encore eu de la veine car c’était dur cette année surtout d’après ce que les autres disent. » écrit-il le 22 septembre 1910. Echappa-t-il à celles de 1911 ? Rien ne permet de le dire. Par contre, il ne put se soustraire à la mobilisation en août 1914.

  • Clotaire Maubert mobilisé.

De retour à Alluyes, Clotaire étant en âge d’être électeur, il s’inscrivit sur les listes électorales de la commune. Sa vie civile dura un peu moins de trois ans. Après la fin de son service actif en octobre 1911, il dut retourner à la caserne dès le 3 août 1914 en raison de la mobilisation. Par contre, conformément aux usages de l’époque, il fut affecté comme réserviste à un régiment proche de son domicile. Ainsi, il rejoignit le 102e RI de Chartres-Paris et non le 79e de Nancy. Le régiment partit pour l’Est le 7 août 1914.

S’il échappa aux hécatombes des combats d’août puis de la Marne, il fut capturé pendant la « Course à la mer ». Le 26 septembre 1914, au cours des violents combats de Champien, son bataillon réalisa un mouvement de recul (il appartenait à la 3e compagnie, 1er bataillon) et c’est probablement à cette occasion qu’il tomba aux mains des Allemands. Commença pour lui une longue captivité qui ne s’acheva qu’en janvier 1919 !

Son camarade Richer ne fut probablement pas loin de Clotaire au début de la campagne : rappelé à la même date au même régiment, peut-être partirent-ils ensemble ? Cependant, le sort fut tragique pour Aristide : il fut tué aux combats de Roye dans la Somme le 30 septembre 1914, peu après la capture de Clotaire.

  • La captivité en Allemagne

Retracer le parcours d’un prisonnier pendant le conflit est une entreprise fort aléatoire et le plus souvent imprécise en raison des lacunes dans les sources et des fréquents changements de camps. Pour commencer, la fiche matricule nous apprend seulement : « Interné à Stralkvo » et rien de plus.

Heureusement, on dispose de deux clichés datant de cette période :

Ces deux clichés, s’ils confirment l’internement à Stralkowo grâce à l’adresse indiquée et au tampon des autorités germaniques, ils ne sont hélas pas datés.

On note toutefois qu’il n’a plus ses effets de la mobilisation mais un uniforme bleu horizon (envoyé par la famille ? Fourni par un autre moyen ?), à l’exception du képi. Sur l’une, il porte la moustache quand il a le visage imberbe sur l’autre.


Il apparaît sur une liste du camp d’Altengrabow en janvier 1915, puis en 1916 à Stralkowo (près de Posen à l’Est de l’Allemagne de l’époque, Posnan en Pologne aujourd’hui). Difficile d’en dire plus : a-t-il travaillé ? Pourquoi est-il rentré aussi tardivement ?

  • De retour en France

En effet, il ne fut rapatrié en France que le 26 janvier 1919. Il rejoignit le dépôt le 31 mai pour n’être finalement démobilisé que le 31 juillet 1919. S’il ne le sait pas encore, il en avait fini avec ses obligations militaires puisqu’il fut placé « sans affectation » en 1927 sans que la fiche matricule n’en indique la raison.

  • En guise de conclusion :

La suite de sa vie, son mariage en 1923, son travail, ses vieux jours appartiennent à l’histoire familiale que les documents ne nous racontent pas. Reste que ce sont six années de sa jeunesse qui furent consacrées à l’armée, deux comme conscrit, deux mois comme combattant, plus de quatre ans comme prisonnier et encore trois mois au dépôt en revenant d’Allemagne. Tout comme on ne sait pas ce que fut son vécu réel au cours de toutes ces étapes, on ne sait pas non plus à quel point il fut marqué par cette expérience. Outre son dossier d’ancien combattant, il faudrait consulter les souvenirs de famille qui ont pu être conservés dans la mémoire commune.

  • Remerciements

À Florence G. qui m’a permis de travailler sur le parcours de son grand-père avant et pendant la Première Guerre mondiale à l’aide de documents conservés.

  • Sources

Transcription des courriers de Clotaire Maubert

Archives départementales d’Eure-et-Loir : http://www.archives28.fr/article.php?larub=1
– 1 R 402, registre matricule classe 1872, bureau de recrutement de Chartres, matricule 671.

– 1 R 513, registre matricule classe 1908, bureau de recrutement de Chartres, volume 1.

Matricule 339 : Clotaire Maubert.

Matricule 347 : Aristide Richer.

Matricule 417 : Édouard Victor Debeausse.

– Série 3E, état civil des communes d’Alluyes, de Montboissier et de Dangeau.

– 6 Mi 2, recensement d’Alluyes.

– 6 Mi 76, recensement de Montboissier (1896, vue 158/197).

Autres sources :

Archives du CICR : https://grandeguerre.icrc.org/fr
Listes contenant le nom de Clotaire Maubert : P 24014, P 12561, P 39106, P 10341.
Anonyme, Historique du 102e Régiment d’infanterie, campagne 1914-1918, Paris, Librairie Payot, sans date.

JMO du 102e RI, août 1914 – février 1915, SHD 26 N 674/5.

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Publication de la page : 13 février 2017 – Dernière mise à jour : 15 février 2017

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