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Claude LEBEAU, sergent du 56e RI, à sa promise, 1908.

   La parenthèse militaire dans la vie d’un homme de la Belle Époque, permet certes de franchir le palier de l’âge adulte, mais si le piou-piou est éloigné de ses proches, sa vie privée  n’en continue pas moins. Elle nous est le plus souvent totalement inconnue, sauf quand un écrit nous laisse entrevoir un instant furtif de cette réalité. Claude Lebeau écrit à sa promise. Du moins l’était-elle à son départ.

  • Une brochette de sous-officiers

    Le photographe a mis en scène quatre sous-officiers en tenue de sortie. Les vestes sont ajustées, les chaussures sont cirées.

    Le premier à gauche porte une veste ras-de-cul très ajustée. Le galon oblique en fil métallique doré indique le grade de sergent. Le petit galon en soutache permet de conclure que l’homme s’était rengagé volontairement au-delà de la période obligatoire.

    Les chiffres métalliques de sa tenue sur mesure nous permettent de dire qu’il est affecté au 56e RI, caserné à Chalon-sur-Saône, en Saône-et-Loire.

    Son voisin de droite porte une tunique 1899. La présence d’un galon argenté au haut du bras indique que l’homme exerce la fonction de sergent fourrier. Le fourrier est chargé des écritures, de la gestion des vivres et du logement des militaires.

    Dans l’ordre, le militaire suivant n’a pas la soutache en bas de manche. Il n’est donc « que » sergent et non militaire de carrière. Mais il a tout de même un képi d’achat personnel.

    Le dernier, le plus à droite, porte les mêmes galons que le premier homme, à savoir ceux de sergent rengagé.

    L’ensemble est photographié en extérieur devant un bosquet qui ressemble à des pins.

    Sur la marge de la photo, un timbre oblitéré permet de dater précisément l’envoi de la carte : 28 mars 1908 depuis Épinal, dans les Vosges.

  • Lebeau conscrit

    Le verso de la carte est signé par Claude Lebeau. Ils sont plusieurs homonymes possibles dans les classes 1905-1909 qui pourraient correspondre avec le cachet du timbre. En revanche, un seul a été sous officier au 56e RI durant ses classes.

    Fils de Philibert et de Marie Vernanchet, Claude Lebeau voit le jour à Saint-Maurice-des-champs, en Saône-et-Loire, le 2 mars 1885.


    Appelé avec la classe 1905, il intègre le 56e RI le 7 octobre 1906. Son ascension est rapide, il obtient ses « sardines » dès le 11 avril 1907, puis devient sergent un an après son arrivée au corps le 6 octobre 1907. Il passe dans la réserve le 1er octobre 1908. En 1911, il effectue sa première période d’exercices au 8e ETEM.

    Août 1914, le sergent Lebeau est de retour sous les drapeaux au 56e RI. Toutefois, soldat réserviste, c’est le 256e RI, régiment de réserve du 56e, qu’il intègre. Il est blessé dès le 29 d’une balle dans le bras et évacué. En décembre 1914, il est détaché à la société d’éclairage de Paris, puis rentre en Bourgogne aux usines Schneider du Creusot le 1er juillet 1917.

    Relevé de l’usine, il regagne le dépôt du 29e RI. Puis il passe successivement au 23e, puis au 173e RI le 14 juillet 1918. Le 10 août, le JMO mentionne que le régiment est soumis à un violent bombardement à Arvillers. Le sergent Lebeau est de nouveau blessé et convalescent jusqu’en octobre.

    Après l’armistice, le 21 novembre 1918, Lebeau est cité à l’ordre de son régiment et obtient la croix de guerre avec étoile de bronze. Il est finalement démobilisé en mars 1919. Rentré dans ses foyers, il obtient son certificat de combattant en 1929, puis la Médaille Militaire en 1933.

    Son parcours permet d’identifier Claude Lebeau sur le cliché. Par déduction, il ne peut s’agir que du sergent non rengagé :

    Malheureusement le parcours des 3 autres sous-officiers est pour le moment inconnu faute d’identification.

  • Un cœur d’artichaut

« Chère Marie,

Que vous ais-je donc fait pour ne pas daigner me répondre. Vous ai-je donc fait beaucoup de mal. Je ne crois pas cependant je tiendrais essentiellement à avoir quelques explications la-dessus car cela me tient en peine. Dites ce que vous pensez si c’est que nos correspondances puissent vous être nuisibles en quelques sorte nous en resterons là. Car je vous le dis franchement je ne vous amuse pas et si vous avez d’autres prétentions il faudrait me le dire franchement car je ne voudrais pas que vous vous amusiez de moi non plus.

J’attends une réponse qui je pense ne se fera pas autant attendre que cette fois car voila plus de quinze jours que je vous ai écrit et la réponse est encore à venir.

Recevez chère amie mille baisers de celui qui vous aime et qui pense à vous. Votre ami Lebeau Claude

Mademoiselle Girardin Marie

Chez ses parents à Vaux en Pré par Genouilly

Saone et Loire »

    Vaux-en-Pré est une petite commune limitrophe de Saint Maurice des Champs. La commune compte 247 habitants en 1911, retrouver la famille Girardin n’est pas difficile. Ils demeurent aux Tillots, hameau de la commune.

    Marie est née en 1885, elle a le même âge que Claude. Il y a fort à parier que ces deux-là se connaissent depuis leur enfance.

    La question qui vient en lisant la carte de Claude est : est-il arrivé à ses fins ? A-t-il réussi à séduire Marie ?

    La réponse est apportée par l’acte de naissance de la dulcinée, et plus particulièrement sur la mention marginale.  Le 1er juin 1912, Marie Girardin épouse à Vaux-en-Pré… Chaillet Michel. L’heureux élu est né en 1887, à Germagny à 7 km de Vaux-en-Pré.

    Claude aussi a poursuivi son chemin. On le retrouve au recensement de 1921 à Saint-Martin-du-Tartre en compagnie de son épouse Marie et de leur fils Henri né en 1914.

    Marie est indiquée native de Saint-Maurice-des-Champs en 1889. Dans les registres, on a bien une Jeanne Marie Françoise BERNARD née en ce lieu le 26 janvier et une Marie Louise FRANÇOIS du 26 décembre. Aucune n’a de mention marginale relative à un mariage. Les recensements peuvent être erronés, il faut poursuivre. En 1926, la famille réside toujours dans la même commune et possède la même composition.

    En 1931, retour à Saint-Maurice-des-Champs. Claude y vit avec son deuxième fils René et toujours avec son épouse Marie LEBEAU-BERNARD.

    L’épouse est donc la native de janvier.

  • En guise de conclusion

    Pas de « happy end » pour l’histoire entre Claude et Marie. De la même manière qu’il est très difficile d’interpréter une photographie, l’image que donnent les personnes, il est tout aussi difficile d’aller plus loin dans l’interprétation des mots. Que sait-on finalement de cet homme ? Une goutte d’eau dans l’océan de sa vie. Refermons alors la porte sur sa vie privée dont on ne sait strictement rien et dont tous les questionnements curieux ne pourront déboucher que sur du roman.

    Mais rien ne nous empêche de laisser aller notre imagination et sans aller bien loin de nous interroger : qui conserva la photo-carte ? La jeune femme ou fut-elle renvoyée ?

    Au-delà de l’aspect anecdotique, cette carte remet en lumière l’importance que ces correspondances avaient pour la population et plus encore pour les militaires afin garder un contact social avec la société civile.

  • Sources

– Archives départementales de Saône-et-Loire : https://www.archives71.fr/

Naissance de Claude LEBEAU : 5 E 461/10, p. 5.

Naissance Jeanne Marie Françoise BERNARD : 5 E 461/10, p. 13.

Naissance Marie Antoinette GIRARDIN : 5 E 563/10, p. 3.

Recensement de Vaux-en-Pré 1911, côte 6MMont-Saint-Vincent_1911/1, p. 5.

Recensement de Saint-Martin-du-Tartre, 1921 : p. 3.

Recensement de Saint-Maurice-des-Champs, 1931 : p. 3.

Recensement de Vaux-en-Pré, 1911, p. 5.

Recensement de Saint-Martin-du-Tartre, 1921, p. 3.

Recensement de Saint-Maurice-des-Champs, 1931, p. 3.

– 1 R RM Chalon 1905/4 : fiche matricule de Claude Lebeau, classe 1905, matricule 1540 au bureau de recrutement de Chalon-sur-Saône. Accès direct.

Cartes : site Géoportail

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Image : collection T. Vallé. Réutilisation interdite sans l’autorisation du propriétaire.

Mise en ligne de la page : 30 avril 2023.


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