Aller au contenu

Alphonse et Théophile Penninckx : réfugiés belges en France

Les étrangers étaient étroitement surveillés au XIXe et au début du XXe siècle. On trouve de nombreuses enquêtes dénombrant avec précision les étrangers dans les départements. La guerre renforça ce contrôle. Ainsi, Penninckx Alphonse fait l’objet d’une enquête de la préfecture de la Sarthe en 1916.

  • Enquête sur un Belge arrivé en Sarthe depuis à peine 15 jours

Son dossier ayant été déposé dans le département où il vient d’arriver, les services de la préfecture de la Sarthe s’enquièrent auprès de ceux du Gard d’où vient cette famille belge.


Le Mans, le 28 juillet 1916


Le Préfet de la Sarthe

à Monsieur le Préfet du Gard,


Un nommé PENNINCKX Pierre Alphonse, d’origine belge, né à Bruxelles le 27 avril 1865, profession de peintre, est venu habiter le département de la Sarthe depuis environ quinze jours.


Des renseignements recueillis sur cet étranger, il résulte qu’il serait évacué de Belgique depuis le 10 octobre 1914. Après avoir voyagé par toute la France (Dunkerque, Paris, Bordeaux, Marseille, Saint-Etienne, Toulouse) il aurait travaillé aux mines de Molières-sur-Cèze du 11 décembre 1914 au 16 mars 1915 et du 18 octobre 1915 au 27 juin 1916.


PENNINCKX, dont la situation ne paraît pas très claire, ne possède pas de carte de réfugié et a toujours voyagé sans laisser-passer.


Je vous serais obligé, en conséquences, de vouloir bien me faire parvenir tous renseignements utiles sur sa conduite et son attitude pendant son séjour dans votre département.

Le dossier comprend deux feuilles contre-collées sur une feuille quadrillée pour les consolider tant elles ont été pliées : un certificat d’identité et un extrait d’acte de naissance. Il donne quelques éléments sur les circonstances du départ.


La réponse arrive rapidement.


Préfecture du Gard

Alais, le 5 Août 1916

BELGE

PENNINCK (sic) (Pierre Alphonse),

M. PENNINCK Pierre Alphonse, est né à Bruxelles le 7 Avril 1865, il est sujet belge. Arrivé à Molières-sur-Cèze le 11 Décembre 1914 comme réfugié voyageant librement, a été embauché le même jour à la Cie Houillère avec son fils Théophile né le 12 Novembre 1897.

PENNINCK a quitté la Compagnie avec son fils le 17 Mars 1915 pour Toulouse où il est allé exercer le métier de peintre (est à la fois peintre et mineur).

Il est revenu à Molières-sur-Cèze par ses propres moyens avec son fils le 18 Octobre 1915. Comme on avait été satisfait de lui à la Compagnie, celle-ci la (sic) réembauché le même jour.

Le fils PENNINCK ayant été pris par le Conseil de Révision de Marseille et envoyé dans les environs de Paris, le père a tiré son compte pour aller travailler à côté de sa garnison à Paris.

A Molières-sur-Cèze, la conduite, la réputation de ces deux belges étaient très bonnes. M. le Maire de cette ville déclare que M. PENNINCK était un honnête homme, ayant un caractère original, aigri, désorienté par le départ de son fils, très bon ouvrier, sans lequel il ne peut faire grand-chose.

Le Sous-Préfet d’Alais,

Duffault


Transmis à Monsieur le Préfet de la Sarthe, au Mans, en réponse à sa lettre du 28 juillet dernier.

Nîmes le 9 août 1916

Le Préfet du Gard

Le Conseiller de Préfecture.

Signature illisible.


Cachet de réception de la préfecture de la Sarthe le 12 août 1916.


Le dernier document du dossier est une note manuscrite qui résume le parcours des deux belges et qui permet de faire cette carte :


A quitté la Belgique avec son fils le 10 8bre d’un certificat d’identité délivré par le Commissaire de police de Wasmes, contre visé par les autorités allemandes.

A pris le train à Fresnes Bizenot, est passé par Gand, Ostende et Dunkerque, de là est allé à Paris, Bordeaux – 1 jour – Marseille – 3 jours – Saint-Etienne – 5 semaines – Molières-sur-Cèze (Gard) – Mines – Y a travaillé du 11 Xbre 1914 au 16 mars 1915.

Est allé à Toulouse, a travaillé comme peintre pendant 6 semaines.

Molières du 18 octobre 1915 au 27 juin 1916.

Est venu à Changé.

Employé à la gare pour le transport des paquets et colis (gagne 3F50).

Penninckx Pierre Alphonse né à Bruxelles le 27 avril 1865, peintre, demeurant à Wasmes.


Rien ne permet de savoir ce qu’il advint d’Alphonse Penninckx après août 1916. Est-il retourné ensuite en Belgique ? A-t-il participé au mariage de son fils avant 1921 ? Je n’ai pas trouvé sa trace dans d’autres documents.

  • Une suite… Théophile Penninckx

Si je n’ai rien trouvé de plus sur le père, le parcours du fils a aussi été exploré et a permis d’aboutir à une biographie bien plus complète.


Jusqu’en 1915, le parcours de Théophile Penninckx est indissociable de celui de son père, Alphonse. 1914 : la Belgique est envahie. Alphonse et son fils de 17 ans quittent Wasmes après avoir fait une demande au commissariat de la commune. Sur le document établi, il est indiqué que le père et le fils rejoignent « Bièrne », dans une province néerlandophone. C’est avec ce document qu’ils prennent la route non pour Bièrne mais pour Gand. Il semble que le père ait voulu mettre son fils à l’abri : en effet, à cette date, ni Anvers ni Gand ne sont tombés aux mains des Allemands. On peut toutefois imaginer que le passage de la ligne de front encore discontinue dans certains secteurs, a permis aux deux hommes de rejoindre le secteur encore tenu par l’armée belge et ainsi s’enfuir du pays et rejoindre la France le 10 octobre 1914.

Le départ vers la France n’était pas freiné par la barrière de la langue : tous les documents indiquent que la famille Penninckx est francophone.

Arrivés en France, le père et le fils travaillent comme mineurs et comme peintres. Mais en 1916, la réalité du conflit les rattrape : Théophile est appelé par la Belgique pour combattre. C’est un jeune homme de 18 ans, mesurant 1,60 mètre et pesant 57 kg. Les documents d’incorporation indiquent tous qu’il signe d’une croix car il ne sait pas écrire. En 1921 par contre, il signe son nom, d’une main malhabile.

  • Milicien de la classe 1916

Travaillant comme mineur à Molière-sur-Cézé dans le Gard, il se rend le 23 juin 1916 à Marseille. Il passe devant un médecin et une commission  qui le déclarent « Apte pour l’infanterie et désigné pour le service ».

Théophile est incorporé le 22 juin 1916. Il est une semaine au 4e C. T. (Centre de Transit) puis à partir du 1er juillet au Centre d’Instruction n°1 de Parigné-l’Evêque. Après 6 mois et 4 jours, sa formation s’achève le 26 décembre de la même année. Il est affecté à la 5e compagnie du 6e régiment de ligne (2e bataillon) avant de passer à la S. H. (section hospitalière ? ) de Bourbourg. Il est évacué en février 1917 pour maladie contractée au front. Il passe au Centre d’instruction des anciens militaires avant de retourner au 6e de Ligne du 10 mai au 7 juillet 1917.

Il est évacué une nouvelle fois pour maladie contractée au front du 8 juillet 1917 au 19 juillet 1917 à l’hôpital d’Adinkerke.

Du 20 juillet 1917 au 4 décembre 1917 il est de retour au 6e de Ligne puis du 5 décembre 1917 au 16 mars 1918 au G. I. D. à Calais.

Il termine le conflit au 6e de Ligne après avoir été évacué une dernière fois pour maladie contractée au front du 7 au 26 septembre 1918.

  • Sa vie après-guerre

Il est démobilisé le 21 octobre 1919. Il s’installe à Mons, au 2 rue de la Halle. Sur un document de 1921, il est noté comme marié à Léontine Brabant.

Il est peintre jusqu’en 1927. À cette date, il s’engage à l’armée au Parc Régional de Mons. Ses rengagements successifs font qu’il travaille au Parc jusqu’en décembre 1939, date à laquelle il est affecté au Parc de Gand. Après l’invasion de la Belgique en mai 1940 , il n’est pas dirigé vers un camp de prisonniers en Allemagne mais peut retourner chez lui le 1er juin. Il est désormais sans emploi. Il est mis à la disposition du Ministère du Secours d’hiver le 1er mars 1943 (Parc du Luxembourg) avant d’intégrer la Compagnie administrative du Brabant (caserne Vilvorde) en 1945. Après plusieurs mois d’hospitalisation en 1946, il est reconnu inapte définitif en novembre puis a droit à la retraite à partir du 1er mars 1947. Son dossier militaire s’achève à cette date, on ne sait rien d’autre à part qu’il est veuf.

  • En guise de conclusion

Les dossiers de soldats belges sont remarquables, surtout dans le cas d’un homme qui a fait carrière. Toutefois, on retrouve les mêmes lacunes que dans les fiches matricules françaises : on ne possède avec ces documents que les grandes lignes et nombre de détails nous échappent. De nombreux éléments du parcours de ce combattant belge n’ont pas été développés faute d’explications disponibles.

  • Remerciements


Mes plus chaleureux remerciements à l’adjudant du service historique belge. Quand le message automatique indiquait un traitement d’environ 6 semaines, le dossier de Théophile arriva dès le lendemain dans ma boite mail. Un très grand merci une fois encore.

  • Sources :


Archives départementales de la Sarthe, 4 M 387.

Musée Royal de l’Armée et d’Histoire Militaire, documents concernant Penninckx Théophile, matricule 76186. Numéro de dossier inconnu.

Publication de la page : 28 mai 2023

Étiquettes:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *