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« À l’Ouest… », rien de nouveau (version 2022)


    Après la version allemande de 1930 et l’américaine de 1979, voici la version de 2022. Film pour les nouvelles générations, l’ouvrage original d’Erich Maria Remarque a été passé au crible de Netflix – dont le business model nécessite de plaire au plus grand nombre – et à l’aune des productions de guerre reprenant les bases posées par Il faut sauver le soldat Ryan en 1998. N’étant pas de la génération cible et ayant lu le livre et vu les autres films, voici quelques éléments de réflexion sur cette « adaptation ».

  • Une photographie réussie

    Commençons par un point qui frappe tout de suite : la photographie est réussie. C’est certes une question de goût, mais la lumière associée à des images désaturées – couleurs rendues plus ternes – crée une distance, un grain et participe à une ambiance sombre.

    La reconstitution des tranchées, surtout celle après les combats, est bien rendue bien que l’on ne voie pas les soldats y travailler. La zone arrière, particulièrement le lieu de cantonnement en partie détruit, l’est aussi. Lumière et qualité de la reconstitution participent à immerger le spectateur dans la période. On a le froid, la boue partout, le ravitaillement insuffisant montrés sans excès. Ce ne sont pas des lieux propres. Les dents des acteurs ne sont pas éclatantes de blanc et leurs mains impeccablement manucurées. Il y a une recherche du réalisme dans ces détails.

    De nombreux plans de paysages viennent écraser les personnages, symbolisant probablement leur insignifiance dans un monde qui les dépasse et qui leur survivra. Les plans sur la nature permettent de montrer le passage du paysage de paix à celui de guerre où tout est mort ou doit mourir.

    La référence de la dernière image est un classique de l’image de guerre. La symbolique est particulièrement présente dans cette version.

  • Symboles et métaphores

    Le film intègre de nombreux éléments symboliques. On pourrait en critiquer le simplisme, ils illustrent en réalité la complexité de faire à la fois un film de guerre qui se veut réaliste et un film à messages plus profonds.

    Ainsi la première scène qui percute en mettant le spectateur tout de suite au cœur de l’action est le début d’une longue métaphore sur la déshumanisation des soldats. À travers le parcours des effets d’un soldat mort, on montre que l’humain est remplaçable dans une machinerie qui le dépasse. Le propos est appuyé par les sons, en particulier celui des machines à coudre rappelant les mitrailleuses, la chaîne de transmission du camion et l’accumulation des étiquettes.

    Le film utilise à foison les comparaisons mettant en place des oppositions.

– Les jeunes lycéens et leur enthousiasme manipulés par un professeur ou directeur du lycée (on ne sait pas trop dans le film) et les militaires (le nom sur l’uniforme, c’est que la capote était trop grande pour ce soldat).

– Les militaires qui vivent l’horreur et les civils qui sont perdus dans leurs propres considérations (Kat et la lettre de son épouse).

– L’officier supérieur qui vit dans l’opulence et le confort visibles dans la variété des plats et le morceau qu’il donne à son chien quand les soldats sont contraints de voler une oie. Le contraste est encore plus violent au niveau de la boisson : le premier boit du vin et jette le fond de son verre avant le suivant, Paul et Kat boivent une eau immonde utilisée pour le refroidissement de la mitrailleuse.

– L’opposition entre plénipotentiaires qui tergiversent pour signer l’armistice malgré la volonté du civil Matthias Erzberger – joué par Daniel Brühl – et la réalité du front.

    La déshumanisation lors des combats est rendue visible, outre par la violence extrême, par la mise en avant du visage de Paul à plusieurs occasions. Il n’a plus rien d’humain lorsqu’il doit prendre les plaques des  morts, le visage noirci par son séjour dans l’abri effondré.

    Lors du combat au corps à corps dans le trou d’obus, il est recouvert en partie de boue qui devient verte en séchant. Même utilisation de la boue qui sèche et se craquelle dans le combat final. Cette récurrence de la boue sur le visage est-elle une manière de montrer qu’il est déjà mort symboliquement ?

    Dans la dernière image, on peut probablement voir dans ce visage une référence au surréalisme du cinéma allemand des années 1920.

    Blessé à mort, Paul est abandonné dans un abri par les soldats français. Il remonte vers la lumière. La mort est donc une délivrance qui le fait sortir de la noirceur dans laquelle la guerre l’avait plongé.

    Si la symbolique et la photographie du film ont fait l’objet de choix et d’un soin particulier, qu’en est-il de l’adaptation de l’œuvre d’Erich Maria Remarque ?

  • « Inspiration » plutôt qu’« adaptation »

    Les deux premières versions filmées du livre sont clairement des adaptations, reprenant la chronologie et les événements de l’œuvre originale. Tel n’est pas le cas du film Netflix.

    On retrouve évidemment une base : les cinq jeunes engagés, Paul, Tjaden, Albert, Ludwig et Franz auxquels s’ajoute Katcinsky dit « Kat ». Le groupe de lycéens est composé de sept membres dans le livre. Un choix a été fait ici. De même, leur instructeur, le terrible Himmeltos, est absent. Est-ce par peur de n’y voir qu’un nouveau sergent Hartman de Full Metal Jacket, quand bien même c’est le portrait qui est dressé de lui dans le livre ?

Sort des héros du film :

Paul BaümerEngagé volontaire contre la volonté de ses parents. Dernier survivant du groupe. Tué le 11 novembre 1918 au cours des combats.
Tjaden StackleetBlessé à la jambe en novembre 1918 pendant le deuxième assaut. Se suicide dans l’hôpital de campagne devant Paul et Kat.
Franz MüllerProche des civils. Perdu de vue au cours du deuxième assaut. Sort inconnu.
Ludwig BehmPremier tué du groupe dans un bombardement de nuit en 1917.
Albert KroppTué lors du deuxième assaut en novembre 1918 par une équipe de lance-flammes française.
Stanislaus KatcinzkyVétéran qui aide les jeunes recrues lors de leur arrivée au front en 1917. Chapardeur, débrouillard, combattant efficace, il est blessé par le tir au fusil de chasse d’un enfant. Meurt dans les bras de Paul avant d’arriver à l’hôpital de campagne le 10 novembre 1918.

    Mais pour le reste, on est dans l’inspiration. Rien dans le livre ne fait allusion aux négociations de Rethondes et pour cause : le livre s’achève en octobre 1918. Il a donc été choisi d’ajouter tout un arc narratif pour faire les parallèles mentionnés entre les négociations et la réalité du front, pour nourrir donc un message.

    On a un déplacement de la temporalité et il est vraiment problématique. D’abord il prend du temps qui n’est plus consacré à l’approfondissement des personnages. On en vient à ne pas avoir d’empathie lors de la mort des uns et des autres. La temporalité est tellement modifiée que c’est une moitié du film qui est consacrée à novembre 1918. Ensuite, il conduit à rendre totalement absente l’explication finale du titre ! Le « À l’Ouest rien de nouveau »  dénonce dans le livre et les précédents films la réalité sanglante du front face aux communiqués informant la population. Mais la mort de Paul étant décalée au 11 novembre 1918, impossible de dire que ce fut un jour où il n’y avait rien de nouveau. On peut y voir le choix de dire que cette violence monstrueuse est quotidienne. Ce choix résume bien l’adaptation qui transforme l’œuvre de base au point de lui faire perdre une partie de son sens. Même si le propos dénonciateur du livre se retrouve autrement, sa subtilité est remplacée par un propos certes compréhensible car répété et par une violence exacerbée.

  • Une fiction qui s’éloigne de la réalité

    Plus que ses prédécesseurs, ce film transforme le récit pour conduire le spectateur dans un tourbillon de violences. La scène d’introduction a déjà été évoquée avec un assaut d’une grande brutalité. Ce qui faisait avant le « climax », l’apogée du film de guerre sur 14-18, le fameux assaut de la tranchée ennemie, le choix a été ici de le multiplier. Une scène de bombardements, trois assauts (pas un, trois !) dont le dernier est suivi d’une contre-attaque française avec chars, lance-flammes et avions jusqu’au combat individuel dans le trou d’obus. Le tout représente 38 minutes et 32 secondes de violence sur les 140 minutes de film soit un peu plus de 25 %. Les trois scènes d’assaut sont toutes filmées de la même manière, assez classique, utilisant un long travelling latéral. La répétition appuie le propos dénonçant ces attaques stériles.

    La violence est montrée de manière toujours plus crue. Le film Il faut sauver le soldat Ryan avait été une claque en 1998 pour les spectateurs habitués aux films sans sang, sans éléments trop choquants. Sa violence plus réaliste est toujours une référence pour la séquence du débarquement ; la scène du soldat blessé au ventre et celle du combat autour d’un couteau complétaient cette violence nouvelle à l’écran. Dans le présent film, on est dans une surenchère qui conduit à une banalisation, dès le début. Corps touchés par les balles, corps mutilés par les obus, combat à coup de pelles, puis une violence toujours plus crue : un char écrase un blessé, des tués au lance-flammes, l’agonie interminable du soldat français, le suicide de Tjaden à coups de fourchette, encore un soldat tué à coups de pelle, puis un autre à coups de casque, la mise à mort dans la boue interrompue in extremis. Le son participe à cette violence avec le désormais impact des balles dans les corps (depuis 1998 aussi) auquel on peut ajouter celui des armes blanches jusqu’à celui de la baïonnette qui transperce Paul à la fin.

    Cette violence est si crue qu’elle peut pousser à détourner le regard. On est juste surpris qu’une scène d’amputation nous ait été épargnée. Montrer l’horreur de la guerre est une chose, en faire une telle récurrence nauséeuse en est une autre. Que peuvent en retenir les spectateurs peu au fait de ce conflit ? Une violence à l’arme blanche omniprésente quand on sait qu’elle fut anecdotique. Une absence d’émotions dans le combat pousse à ne faire aucun prisonnier. Si on s’éloigne de la violence seule, on peut ajouter une obéissance absolue aux ordres, y compris pour se faire massacrer à la fin.

    On retiendra aussi que l’état-major et les officiers supérieurs sont sourds aux pertes. Le film sous-entend, à défaut de le montrer clairement ou d’y faire allusion, que les jeunes hommes une fois équipés furent envoyés au front sans instruction. Un peu comme si l’apprentissage du métier des armes se faisait exclusivement au front sans avoir été précédé par plusieurs mois d’instruction en Allemagne. Les conseils donnés aux bleus par les vétérans sont, au contraire, réalistes.

    Pour revenir aux assauts suicidaires montrés par le film, il convient de rappeler que cette manière de faire (sortie groupée de la tranchée, par vague) était abandonnée en raison des pertes face aux mitrailleuses. Les Allemands avaient connu des succès importants au printemps 1918 grâce à leurs groupes d’assaut, les Stoßtruppen. Ils étaient chargés d’avancer en contournant les points de résistance.

    Probablement en raison de choix économiques, les tranchées sont très semblables et n’ont rien à voir avec les ébauches de fin de guerre.

    Attardons-nous sur l’avant-dernier assaut. Les Allemands prennent la tranchée française puis attendent la contre-attaque. On ne voit pas les hommes « retourner la tranchée », à savoir organiser des créneaux de tir sur ce qu’était avant le parados. Les chars s’avancent. L’ennemi du char est l’artillerie, toujours la grande absente du film. Les Saint-Chamond sont réalistes. Il s’agit de reconstitution réalisée sur un châssis de véhicules blindés probablement d’époque soviétique, un reste de surplus de l’armée tchèque (le film ayant été tourné dans ce pays). Les roulements font penser au BVP-1 tchèque.

    L’apparence et l’armement vont, sauf qu’ils étaient accompagnés d’infanterie. Ici, ils sont isolés et donc vulnérables. La deuxième vague de chars suit les lance-flammes qui agissent sans se couvrir, sans protection particulière.

    Au final, au niveau tactique, rien n’est réaliste, de l’assaut à l’utilisation de la plupart des armes. Cela finit même par faire penser à un jeu vidéo  où le héros, après avoir franchi le no man’s land et survécu au corps à corps dans la tranchée ennemie, doit se battre contre un premier « boss », les chars, puis un deuxième, les lance-flammes, puis une troisième, les avions, et même un quatrième, le soldat dans le trou d’obus.

    D’autres points ne sont pas réalistes. Il y a quelques détails comme la présence de képis dans les troupes françaises en 1918 alors qu’ils ne sont plus utilisés depuis fin 1915 au front. C’est assez anecdotique car la reconstitution des uniformes est assez réussie. Le parcours du 82e RIR allemand n’a pas été trouvé. Le 105e RI français, attaqué à la fin du film est dans la réalité au repos à l’arrière le 11 novembre 1918, loin de la Champagne où l’action est censée se dérouler. Difficile d’en faire le reproche aux costumiers. Évidemment, la plaine de Latierre et la commune d’Equisac n’existent pas et ne sont pas non plus dans le roman.

    D’autres erreurs touchent à des évènements historiques précis. Les plénipotentiaires allemands traversèrent la ligne de front non en train mais en convoi automobile. Le fermier à qui les soldats volent une oie puis des œufs de cane réagit en tirant au fusil. Un tel acte contre un soldat ne serait pas resté sans conséquence, s’il avait seulement pu garder son fusil de chasse. Difficile de ne pas évoquer l’attaque de 10h45 le 11 novembre 1918 dont le motif est aberrant et le déroulement absurde. Il est probable que les pertes filmées pour cette attaque sont plus nombreuses que toutes celles du front ce 11 novembre. Il était possible de dénoncer autrement la guerre, l’absurdité de certaines décisions sans tomber dans cette caricature. Certes, il y eut quelques escarmouches le 11 novembre, mais rien de tel. On remarque d’ailleurs que cette invention symbolique se retrouve dans l’ouvrage Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre et dans le film qui en a été tiré.

    Peut-être aurait-il fallu juste respecter la fin du livre ?

  • En guise de conclusion

    Pour qui travaille avec des adolescents en Histoire, la question revient désormais régulièrement : « Vous pensez quoi de ce film sur Netflix ? » Il n’y a pas de doutes que ce film a été et sera vu par de nombreux élèves. Quelle image de la guerre retiendront-ils ? La question est loin d’être anecdotique car leur mémoire historique se construit aussi ainsi. La reconstitution a de réelles qualités, en particulier dans l’atmosphère et les choix de lumière sont une question de goût. Mais c’est d’abord la violence avant tout, entrecoupée de repos qui va retenir l’attention. Pourtant cette violence était rare, paroxystique, le film la montre récurrente et omniprésente en se focalisant sur deux moments, 1917 puis novembre 1918. Ils retiendront la manière de combattre et ses trois assauts allemands sans préparation d’artillerie. Ils se souviendront de l’utilisation des chars, des lance-flammes et des avions comme dans un jeu vidéo, loin de la réalité de leurs usages tactiques. Ils seront marqués par l’utilisation de l’arme blanche qui tue plus que les autres armes dans le film bien que ce fut le contraire dans une réalité moins spectaculaire. Ils garderont en tête l’idée qu’on ne fait pas de prisonniers, qu’on exécute sommairement sans état d’âme, jusqu’au héros tué à la baïonnette à la fin bien qu’il fut de dos et désarmé. En plus c’était à 11h00 le 11 novembre 1918. Ils seront marqués par cette attaque suicide de la dernière heure, du dernier quart d’heure même, sur ordre d’un officier supérieur qui ne va pas au bout du sacrifice demandé à d’autres. L’obéissance jusqu’au bout contraste avec la fête de la nuit précédente célébrant la paix. L’exécution des réfractaires à cet assaut rappelle plus la fin de la Seconde Guerre mondiale que celle de la Première.

    Au final un film qui a des qualités dont une lumière et un réalisme parfois impressionnant mais aussi des défauts qui restent toujours les mêmes dans ce type de production. Il mérite d’être regardé, en n’espérant pas une adaptation fidèle mais une inspiration riche en symbolique.

    Un dernier regret : que la version originale de ce film n’ait pas été tournée en allemand. Des mots allemands au milieu de textes en anglais, on a vu meilleure immersion.

  • Pour aller plus loin

Résumé de l’œuvre originale : https://parcours-combattant14-18.fr/remarque-erich-maria-a-louest-rien-de-nouveau/

Une unité française d’accompagnement des chars : le 262e RI :
https://combattant14-18.pagesperso-orange.fr/JMO/JMO_027.html

Distribution et fiche technique du film

« Behind the scenes » : https://www.ibc.org/features/behind-the-scenes-all-quiet-on-the-western-front-netflix/9266.article


Présentation du film (site allemand) : https://www.fbw-filmbewertung.com/film/im_westen_nichts_neues

  • Remerciements

À Quentin pour la séance le jour de la sortie et les riches échanges intergénérationnels autour du film.

  • À propos des captures d’écran

    Les captures d’écran de cet article ont été réalisées dans l’esprit de l’article L.122-5 du Code de propriété intellectuelle.


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