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Les Gaîtés de l’escadron, Maurice Tourneur, 1932

Ce film est l’adaptation cinématographique de la pièce de Georges Courteline qui eut un succès considérable au tournant du siècle, en atteste le nombre d’éditions et la notoriété de son auteur.

Cette comédie d’1h21 sortit en septembre 1932. Le réalisateur, Maurice Tourneur, n’en était pas à sa première adaptation, puisque ce film est un remake d’une version de 1913.

Il ne s’agit pas d’une simple mise en images des nouvelles mais de la pièce de théâtre qui fut adaptée par Édouard Norès (d’ailleurs crédité au générique du film). Le film suit donc le découpage de la pièce dans les grandes lignes. Certains passages ont été supprimés, tous ceux autour de l’infirmerie en particulier ou le bizutage d’un bleu, d’autres ont été raccourcis comme l’inspection de la chambrée ; d’autres ont été allongés ou ajoutés comme la scène de préparation de la revue de chambrée, mais qui était présente dans la nouvelle. On identifie facilement six des nouvelles de l’ouvrage original : « Un début », « Au chose », « La comète », « Potiron », « La soupe » et « Inspection trimestrielle ». À partir de ces pépites, les auteurs de la pièce puis du film ont réarrangé ces histoires afin de proposer un tout jouable, sur scène ou pour le cinéma. Par exemple, Les 25 dernières minutes du film sont essentiellement composées de « Inspection trimestrielle » dans laquelle est insérée « La soupe ». De même, les histoires de Potiron, de Fricot et Laplotte sont étirées sur une grande partie du film.

Le film évite en tout cas d’être une simple adaptation d’une suite de nouvelles manquant de lien et ne permettant pas une narration fluide. Simplement la version cinématographique peut profiter d’un plus grand nombre de décors, forcément limités au théâtre. On observe d’autres aménagements dans la structure, des anecdotes réunies sur un seul personnage. C’est particulièrement le cas de Vanderague qui reprend des péripéties attribuées à d’autres dans le livre ou la pièce.

Pourquoi évoquer un film de « comique troupier » sur des cavaliers quand ce site est surtout consacré aux fantassins ? C’est que ce film est probablement l’un de ceux qui restitue le mieux la vie de la caserne dans un corps imaginaire, fut-il une caricature. Le décor de la caserne est planté avec soin, de la chambrée à la cantine, de la cour aux différents lieux quotidiens du militaire, à l’exception des lieux d’aisance, de la cuisine, des couloirs et du manège.

En tout cas, on est dans une caserne de la fin du XIXe siècle, non dans une reconstitution ratée. Les extérieurs ont été tournés dans le quartier de cavalerie de Rambouillet ce qui donne une vision réaliste de la caserne d’avant 1914. On reconnaît l’entrée de la caserne avec son portail et les toits caractéristiques des bâtiments.

Vue de la caserne, sous la forme d’une maquette pour les plans aériens et d’ensemble.
AD78, 3Fi202 31.

De même, les sonneries au clairon rythment le film comme elles rythmaient la vie des conscrits. Toutefois, pour le spectateur actuel, contrairement aux contemporains qui avaient majoritairement connu la caserne, ces sonneries n’ont plus de sens, ce qui fait perdre un élément d’immersion dans l’histoire.

Le film se présente en fait comme une succession de saynètes habilement reliées afin d’en faire une histoire plus générale autour de quelques personnages, à commencer par le colonel et quelques figures récurrentes. Activités quotidiennes, rapports, punitions, hiérarchie, corvées, loisirs, période d’exercices pour les réservistes, inspection donnent un aperçu très riche de cette vie. Les personnages forment tout un éventail de clichés sur les comportements à la caserne.

Ce film est une adaptation réussie des écrits de Courteline. Si les nouvelles de Courteline avaient été publiées par quatre dans une série de petits livres un peu thématique, elles n’en restaient pas moins des nouvelles. C’est le quotidien d’une caserne où des hommes tentent d’échapper aux corvées mais sont rattrapés soit par les punitions qui pleuvent soit en allant à l’infirmerie ou en trouvant d’autres échappatoires. La débrouillardise, souvent aux dépens des autres, règne, la bêtise aussi. Les officiers ne sont pas mieux lotis, incompétents, alcooliques, laissant le pouvoir à de petits chefs, les sous-officiers, qui en abusent. La critique par l’absurde, bien dans l’esprit de Courteline est présente dans le film, tout comme les dialogues ciselés, joués par des acteurs dans le ton.

On peut juste s’interroger sur certaines scènes qui semblent avoir été coupées ou dont la conclusion manque. Ainsi, lors de la préparation de la revue de chambrée, quand Vanderague vide le fond du pot à eau dans la cour sur l’adjudant Flick en train de crier après deux soldats, la séquence s’interrompt et on passe à autre chose quand on attendait la réaction du sous-officier qui a dû être tournée.

  • Résumé du film :

Il s’ouvre sur un travelling sur une maquette représentant la ville qui s’endort, menant progressivement vers la caserne où retentit la sonnerie du dernier appel. Les cavaliers ayant eu permission de 10h00 rentrent précipitamment.

Dans une chambrée, appel avant l’extinction des feux. Un homme manque, Vanderague, parti remplir la cruche à eau, étant de corvée de chambrée. Repris pour son absence, il finit cette première scène en disant « Y’a du bon ! C’est du 813 demain matin ». Alors que la chambrée est endormie, deux hommes se lèvent habillés et prennent la poudre d’escampette, ouvrant le fil rouge de l’histoire. Vus par l’adjudant Flick, ils passent le mur en utilisant un tas de fumier puis partent à la recherche d’un débit de boissons. Dans le même temps, l’adjudant fait un contre-appel et promet à La Guillaumette et Croquebol qu’ils ne couperont pas à Biribi !

Le lendemain, Vanderague passe au bureau pour demander un balai et gagne « 4 jours » pour avoir égaré le sien et repart sans balai.

Arrive le capitaine Hurluret depuis l’entrée de la caserne jusqu’au bureau. C’est l’occasion de découvrir cet officier sorti du rang au corps marqué par la monte et à la moustache fort mal taillée.

Au bureau, il est en colère après les deux cavaliers qui ont fait le mur, fulmine et affirme qu’il va refuser toutes les permissions. Le brigadier arrive et demande… une permission pour le mariage de son frère, qu’il lui accorde ! Le discours est en contradiction avec ses actes, et ce sera ainsi dans tout le film : le capitaine fait des accès de colère mais est très gentil avec ses hommes. Une fois parti, on découvre un autre élément important de l’histoire : la prochaine inspection à l’improviste du général qui pourrait permettre à Hurluret de devenir enfin commandant.

Dans la cour, les hommes sont à la corvée de patates. Arrivé en retard à cause de son passage au bureau, Vanderague se fait apostropher par le brigadier et doit ramasser les épluchures. Un camarade lui donne une pelle vu qu’il n’a toujours pas de balai et il commence à ramasser comme il peut. Le lieutenant passe et le punit car il n’a pas de balai. Il retourne au bureau demander un balai et se fait aussi mal recevoir que la première fois. Il gagne une corvée de fourrage. Après s’être changé, il croise Fricot et Laplotte, deux punis chargés de la corvée de quartier. Il est puni une nouvelle fois par l’adjudant pour ne pas être en tenue : une nuit en cellule plus 4 jours et doit retourner se changer.

On suit alors Fricot et Laplotte qui viennent faire le plein de charbon et d’eau et font n’importe quoi sans que l’adjudant ne s’en aperçoive. Pendant ce temps Vanderague se change, arrive en retard à l’exercice et se retrouve dans une tenue inadaptée pour le fourrage et puni de 4 jours de plus !

La scène suivante se passe un autre matin dans les appartements du capitaine qui est en train de se laver pendant que son ordonnance, peu dégourdi, s’affaire. La blanchisseuse apporte le linge au capitaine et l’ordonnance prépare le petit-déjeuner : de l’absinthe Pernod !

Après la lecture de la décision, le capitaine s’enquiert des deux soldats absents. Dans le même temps, Fricot et Laplotte mènent la vie belle, fumant une cigarette autour de leur brouette. Pris sur le fait par Flick, ce dernier est déjugé par le capitaine qui cache les mégots.

On retrouve Vanderague, toujours dans une tenue inadéquate, en train de faire boire son cheval, ce qu’il ne réussit pas à faire plus que les autres taches.

Les réservistes arrivent. Commence le cycle « Potiron », nom d’un personnage haut en couleur et gouailleur, absent. Imbroglio autour de l’arrivée de ces réservistes : un soldat a oublié de prévenir le lieutenant du télégramme reçu. L’étourdi détruit tout de suite le télégramme et un autre homme se fait punir à sa place.

Au magasin d’habillement.

Aucun lit n’a été prévu. Le lieutenant propose de les faire coucher aux écuries ce qui met le capitaine Hurluret en colère : il le menace de huit jours s’il ne trouve pas une solution. Le lieutenant menace alors le sous-lieutenant qui menace le sergent-major, qui menace les caporaux pour qu’ils trouvent des lits… Ces derniers s’en prennent aux hommes et les punissent d’une nuit en cellule pour des motifs plus ridicules les uns que les autres. Évidemment, Vanderague fait partie des choisis.

Potiron arrive à sa chambrée mais doit aller au bureau signaler son arrivée. Il est puni et part sans avoir vu le lieutenant qui le cherche et qui a toujours une étape de retard. S’en suit un jeu du chat et de la souris qui finit par retomber sur un brigadier. Potiron, insatisfait de l’ordinaire et de la cantine, file en douce en ville, passant l’entrée au moment ou le sous-officier fait du gringue à la charcutière.

À la cantine.

Commence un autre épisode : celui du vol du fromage de tête par Fricot et Laplotte. Madame Boivin s’emporte et file chez le capitaine qui finit pas payer la charcuterie dérobée.

On retrouve Potiron et de nombreux cavaliers permissionnaires dans un cabaret. Pendant ce temps, Flick cherche à faire dégeler l’eau des abreuvoir à Fricot et Laplotte qui sont en cellule. S’en suit un sketch un peu isolé alors que le capitaine Hurluret est à l’entrée de la caserne, espérant le retour des deux manquants au son du clairon qui sonne l’appel.

Nouvelle journée, soupe et mécontentement : Vanderague se plaint de la nourriture. Obligés d’aller manger à la cantine tant ce qui est servi leur déplaît, les hommes ne décolèrent pas. Madame Boivin leur conseille de se plaindre au général à la prochaine inspection. Vanderague se porte volontaire pour le faire. Potiron arrive, se met à danser sur une table mais est interrompu par Flick.

Fricot et Laplotte balaient le bureau, trop fort au goût du lieutenant qui est en train de mettre un motif à Potiron. Le lieutenant sort et Potiron rentre pour aller chez le major. Il se fait prendre ses cigarettes par les deux lascars et leur explique ce qu’il a fait pour paraître en mauvaise santé. En sortant, les deux hommes punis vident une partie de leur brouette de détritus sur le parquet.

On suit à nouveau Hurluret qui discute avec un réserviste puis se prend la tête avec Flick qui a porté déserteurs les deux manquants. Hurluret a maculé d’encre les pages dans le cahier de décision afin qu’ils ne soient pas portés déserteurs

Alors que le capitaine prend une absinthe avec deux membres du bureau, le général entre. L’inspection commence. C’est une longue séquence puisqu’elle dure plus de 20 minutes, jusqu’à la conclusion du film.

Le général, derrière ses « Cela n’a aucune importance », voit tout et n’arrête pas de faire des remarques sur des problèmes : une coupe de cheveux trop longue, boire de l’absinthe qui plus est avec des inférieurs, les détritus laissés par Fricot et Laplotte précédemment.

La visite de la prison est terrible : les hommes fument, boivent du vin, mangent le fromage de cochon volé. Ensuite, les hommes se préparent à l’inspection des chambrées. Vanderague, homme de jour, doit tout faire, obéir aux consignes contradictoires tout en prenant jour de punition sur jour de punition, ne pouvant tout faire en même temps. Lors de l’inspection, il ose dire ce qu’il pense de la soupe, mais n’est pas suivi par ses camarades. Il prend encore huit jours de prison.

Alors que la revue s’achève par le défilé, Hurluret ment au général à sa question sur d’éventuels déserteurs. Au même moment arrivent La Guillaumette et Croquebol entre deux gendarmes à cheval. La discussion se termine sur le constat du général que le capitaine est trop bon pour ses hommes, ce qu’Hurluret justifie, expliquant qu’il n’attendait de toute façon pas de promotion. Ainsi se termine le film sur Hurluret observant les deux déserteurs et les qualifiant de « chameaux ».

  • Observer la vie militaire

Dès les deux premières scènes, on voit ici le soin de la reconstitution de la vie de chambrée.

L’organisation est impeccable, chaque détail est correct (jusqu’au bonnet de nuit), les lits, les planches à bagages, le paquetage, l’étiquette, les effets immatriculés…

Il en est de même pour les corvées, l’appel, le râtelier d’armes, la planche à pain ou la tablette sur la porte indiquant la place de chacun !

Même l’expression de Vanderague « Y’a du bon ! C’est du 813 demain matin » est bien dans l’esprit. Le décompte des jours était un rituel.

Le souci du détail est tellement poussé que l’on peut déterminer que le film se passe en 1896 si l’on en croit un calendrier observable dans le bureau, époque du service de 3 ans pour la majorité et de un an pour les plus chanceux ou les dispensés.

Un second calendrier visible dans la chambrée confirme ce 1896. Grâce à une plaque sur une porte de chambrée, on apprend également l’unité dans laquelle on est : 2e escadron du 51e régiment de chasseurs à cheval. La chambrée qui est filmée est celle du 3e peloton.

On voit le rôle du brigadier, notamment lorsqu’il lit la décision du jour, qui donne les ordres lors de l’inspection. On découvre aussi le rôle de l’homme de chambre, chargé du pot à eau, du pot à cirage, de balayer, aérer…

Le fait d’avoir tourné dans une vraie caserne toujours dans son jus permet d’observer par exemple le sol pavé et accessoirement les hommes aux corvées, mais aussi l’entrée avec sa garde, son miroir et sa boite aux lettres.

Dans le bureau, les états, les dossiers, tout est aussi réaliste.

L’appel ou la lecture de la décision sont aussi des exemples de ce qui est rarement aussi bien montré dans un film.

Les hommes, comme toujours, ont des tenues correctes. Ici, les hommes ont revêtus leur bourgeron et leur pantalon de treillis pour le pansage et les corvées.

L’arrivée des réservistes correspond bien aux quelques images que l’on en a : des soldats qui les regardent arriver, l’appel, passage par l’habillement…

Plusieurs séquences montrent des scènes du quotidien à la caserne pour introduire la suite de l’histoire. Ici par exemple, cette vue des abreuvoirs démarre une anecdote autour de Vanderague et de son cheval.

Autre mésaventure de Vanderague, il arrive en retard à la corvée d’épluchage. On se croirait dans une photographie d’avant-guerre ; encore plus avec ce cliché pris depuis la fenêtre d’une caserne.

L’inspection est aussi bien résumée. Ici, les hommes attendent le passage en revue de la chambrée.

  • En guise de conclusion

Ce film est à voir pour qui s’intéresse aux parcours des hommes qui furent mobilisés pendant la Première Guerre mondiale car la vision de la vie de caserne, derrière la caricature, est vraiment soignée. C’est un film des années 1930, certes, mais l’histoire se tient et il peut être aussi vu comme une dénonciation de certains aspects de l’armée.

En outre, y découvrir Fernandel dans un rôle différent ou Raimu et Gabin dans leurs œuvres, peut-être déjà une motivation suffisante pour se lancer dans cette heure vingt de visionnage.

  • Pour aller plus loin :

Longue présentation du film dans la revue « Vu : journal de la semaine » du 21 septembre 1932 :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t52125540z/f15.item

Critique positive du film, de 2012 : L’âge d’or du cinéma français: « LES GAÎTÉS DE L’ESCADRON » (de Maurice Tourneur, 1932) (lagedorducinemafrancais.blogspot.com)

Galerie complète des personnages :
Les gaîtés de l’escadron | Courteline en biens communs

Papier écrit par Roland Dorgelès après le décès de Courteline à l’occasion de la sortie du film :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9744318/f5.item


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